Retour à la table des matières
Lina Solano Ortiz, Frente de Mujeres Defensoras de la Pachamama, Équateur
Traduction : Amelia Orellana-Côté
Dans le système capitaliste-impérialiste, l’industrie minière s’impose et se développe par la violence. La violence exercée contre les femmes par cette industrie s’exerce de multiples façons, autant avant le début de l’exploitation qu’après le cycle de vie des mines. Dès le moment où les entreprises envahissent le territoire, elles ont recours aux violences physiques et sexuelles pour déposséder et contrôler. Elles violent, portent atteinte aux droits, et mettent en péril les communautés et les écosystèmes où vivent les femmes et leurs familles. Cela divise les communautés et détruit le tissu social, en enlevant aux femmes leurs moyens de subsistance, en surexploitant leur force de travail, en masculinisant les espaces. Ces dynamiques renforcent le patriarcat, ce qui a pour effet d’augmenter les niveaux de violence intrafamiliale, la prostitution et la criminalisation des femmes qui défendent les droits. Une fois tout le minerai extrait, les communautés doivent composer avec les conséquences sociales et environnementales telles que les dommages irréversibles à la santé des femmes et de leur famille, et ce, sans que personne ne réponde de ces crimes.
Violence contre les femmes avant, pendant et après l’exploitation minière
Dans ce système patriarcal, les femmes sont exploitées, opprimées et exclues. Elles représentent la population avec le plus haut taux de pauvreté, de chômage, d’analphabétisme et sont soumises à différentes formes de violence et de discrimination dans le domaine public et privé. Dans les communautés rurales, leurs espaces de participation sont limités et leurs besoins sont moins pris en compte. Dans les prises de décision, elles n’ont pas le même poids que les hommes qui accaparent la représentation communautaire, utilisant souvent des figures féminines qui se prêtent à leur manipulation. Quand une entreprise minière s’approprie des territoires à travers des concessions faites par l’État, violant par le fait même des droits tels que celui à l’autodétermination, les opinions, aspirations, positions et exigences des femmes paysannes et autochtones des communautés ne comptent pas. Les sociétés privées, les gouvernements, les États et dans certains cas, les membres mêmes des communautés cherchent des prétextes pour les exclure, par exemple en disant que l’exploitation minière est un sujet strictement « technique » et qu’elles n’ont pas les compétences pour en discuter.
Dans le cas de l’Équateur, lorsque le gouvernement a cédé les territoires aux grandes entreprises pour la prospection et l’exploitation minière ultérieure, les communautés n’ont été ni informées, ni consultées, malgré le fait que ces droits étaient déjà reconnus dans la Constitution. Des milliers de femmes des territoires donnés en concession ont appris, des années plus tard, que leurs propriétés se trouvaient dans les zones accaparées par les transnationales. Préoccupées par les graves conséquences sociales et environnementales de l’industrie minière, elles ont commencé à protester.
Lorsqu’elles ont décidé de faire entendre leur voix, elles ont du faire face à la violence des entreprises, de l’État et de celles et ceux qui appuient les compagnies minières dans leurs communautés et même dans leurs propres familles. On peut citer le cas des membres du Frente de Mujeres Defensoras de la Pachamama, qui ont subi les persécutions, la judiciarisation, la criminalisation et d’autres violations de leurs droits par l’industrie minière, allant même jusqu’à être injustement privées de liberté. Elles ont été faussement accusées, par exemple de « terrorisme organisé », amenées devant les tribunaux, insultées et discriminées par les autorités gouvernementales, y compris par le président actuel Rafael Correa. Parfois, des membres de leur famille, de leur communauté ou de leur organisation ont même dû affronter la persécution et la criminalisation. Conséquence de la destruction du tissu social, elles ont même été agressées physiquement par des hommes qui soutenaient les entreprises Iamgold et International Mineral Corporation (IMC) qui opèrent les mines Quimsacocha (aujourd’hui Loma Larga) et Rio Blanco, situées respectivement à Victoria del Portete et Molleturo[1].
C’est un scénario qui se répète dans tous les territoires affectés par l’industrie minière. Les femmes sont ignorées et ne peuvent compter sur aucun mécanisme leur permettant de faire valoir leurs demandes légitimes. Au contraire, elles deviennent la cible d’attaques continuelles de la part des grandes entreprises et des États qui les considèrent comme des « obstacles » à l’implantation de mégaprojets. Un cas emblématique est celui de Máxima Acuña de Chaupe, une paysanne de Cajamarca au Pérou, impliquée dans le conflit autour du mégaprojet aurifère Conga. Máxima et sa famille subissent depuis plusieurs années le harcèlement constant de l’entreprise Yanacocha, du gouvernement et de la police. Les forces de sécurité de l’entreprise ont exercé de la violence physique contre les Chaupe et ont tenté de les expulser de leur terre. L’entreprise les poursuit aussi pour invasion d’une propriété privée. Maxima et sa famille sont entre autres la cible de menaces, d’intimidation, de campagnes de salissage, de dommages à leur propriété.
Les femmes doivent alors affronter le pouvoir des corporations minières pour défendre leurs droits. Les usurpateurs répondent en utilisant différentes formes de violence envers les femmes, y compris le viol, afin de les expulser de force de leurs terres. Un des cas emblématiques illustrant les recours à la violence sexuelle lors d’expulsions est celui des autochtones Maya-Q’eqchis de Lote Ocho, au Guatemala.
« Le 17 janvier 2007, un nombre indéterminé de femmes de la communauté Lote Ocho ont été victimes de viols durant l’expulsion violente menée par des agents de sécurité engagés par la Compañía Guatemalteca de Níquel (CGN), accompagnés par des agents de la police nationale et de l’armée. La CGN était, à cette époque, une filiale de l’entreprise transnationale HudBay Minerals, dont le siège social se trouve au Canada. Lorsque les agents sont arrivés à la communauté de Lote Ocho, les hommes étaient occupés à des travaux agricoles dans les champs. Les agents ont surpris les femmes, dans leurs maisons ou à l’extérieur alors qu’elles essayaient de s’enfuir, et les ont violées devant leurs enfants. Plusieurs d’entre elles ont été violées à répétition, certaines par 10 agresseurs différents[2].»
Le climat d’hostilité continuelle vécu par les femmes, avant même que ne commence l’exploitation minière, met en péril leur vie, leur intégrité, leur santé physique et émotionnelle, en les soumettant à des niveaux élevés de stress. Ce climat engendre des sentiments de frustration vis-à-vis des entreprises et des pouvoirs publics complices du saccage minier.
L’industrie minière est une activité qui fait appel à une main-d’œuvre principalement masculine, ce qui crée une véritable « masculinisation » des territoires où elle s’implante. Les femmes dépouillées de leurs moyens de subsistance deviennent plus dépendantes économiquement des hommes, ce qui se traduit par une augmentation des niveaux de violence intrafamiliale.
Les femmes font aussi face à la violence institutionnalisée des gouvernements et d’autres actrices et acteurs impliqués dans les conflits miniers tels que les narcotrafiquants, réseaux de traite de personnes et autres groupes armés. En analysant le cas du Mexique, Laura Carlsen signale que
« les femmes qui s’organisent contre l’industrie minière, les mégaprojets et autres invasions de leurs terres font face à des adversaires extrêmement puissants et brutaux. Les compagnies de sécurité privées engagées par les envahisseurs, les forces gouvernementales de sécurité et les forces paramilitaires attaquent fréquemment les gens qui défendent leurs terres, dont les leaders sont souvent des femmes (…) L‘Initiative mésoaméricaine des femmes défenseures des droits humains a présenté un rapport sur les attaques contre les défenseures de droits en 2012. Dans la région, 38 personnes ont été assassinées, pour la plupart des femmes défendant des terres, des territoires ou des ressources »[3].
Une des formes de violence directe que génère l’industrie minière envers les femmes est la prostitution et la traite, un problème grandissant qui affecte des milliers de femmes, incluant des filles et des adolescentes. Par exemple, à Bosconia en Colombie, l’implantation de l’industrie minière a engendré des taux élevés de prostitution infantile et juvénile. Citant une enquête journalistique d’août 2013 sur la prostitution infantile, Dana Baron rapporte que des « bureaux de recrutement » de mineures et de prostituées jusqu’à 26 ans viennent de plusieurs grandes villes […]. Ces réseaux criminels érigent leur campement près des mines pour offrir des services de divertissement aux travailleurs »[4].
Lorsque le minerai s’épuise, les entreprises abandonnent les territoires dévastés en laissant des séquelles douloureuses pour les communautés et, plus particulièrement, pour les femmes. Lorsque leur santé, ou celle de leurs enfants ou d’autres membres de leur famille, se voit affectée en raison de la contamination minière, leur charge de travail augmente puisque ce sont généralement elles qui assument les soins aux personnes malades. Dans la vallée de Siria, au Honduras, de graves problèmes de santé chez les enfants dus aux opérations de la mine San Martin d’Entre Mares, filiale de la compagnie canadienne GoldCorp, ont été documentés. En 2008, lors de la fermeture de la mine, les dénonciations de la part des communautés se sont multipliées à cause des terribles dommages environnementaux et sociaux laissés par 8 ans d’exploitation aurifère à ciel ouvert. « Une étude révèle que, dans une des communautés affectées par l’exploitation minière, la mortalité infantile est 12 fois plus élevée que la moyenne nationale. Chez les enfants des travailleurs de la mine, le taux de mortalité atteint 33 fois la moyenne nationale »[5]. Malgré des recours intentés, jusqu’aux tribunaux internationaux, les personnes affectées par Goldcorp n’ont pas obtenu justice.
Les femmes font face à la violence minière avec dignité et courage
Malgré toute la violence exercée contre les femmes dans les territoires dominés par l’industrie minière, elles continuent d’être des protagonistes de la résistance des peuples en défense de la Pachamama (Terre-mère), de la vie et de la souveraineté. Elles jouent un rôle fondamental dans la dénonciation et dans la lutte pour le respect des droits violés.
L’augmentation des formes et du niveau de violence est une dure réalité pour des milliers de femmes des communautés affectées par les intérêts du capital transnational minier. Cette réalité a en revanche poussé plusieurs d’entre elles à refuser le rôle de victime, à sortir du seul cadre domestique ou communautaire, et à aller de l’avant afin de s’organiser, lutter, dénoncer, revendiquer, protester et, dans certains cas, devenir d’actives défenseures des droits, démontrant que « là où il y a oppression, il y a résistance ».
Bibliographie
[1]. Ces deux paroisses appartiennent au canton de Cuenca, dans la province d’Azuay (au sud de la région andine de l’Équateur).
[2]. « Abriendo brecha en la búsqueda de justicia: Violencia Sexual contra Mujeres Q´eqchis. » http://site.adital.com.br/site/noticia.php?lang=ES&cod=78687.
[3]. « ¿Por qué “la seguridad” induce más violencia contra las mujeres ». Laura Carlsen. Avril 2014. http://www.cipamericas.org/es/archives/11957.
[4]. « Impactos de la minería en los derechos de las mujeres rurales? », Dana Barón. http://cinep.info/cinep/images/stories/Documentos/ciendias80/2_mineria.pdf.
[5]. “Actividad minera en Región de Honduras deja rastros de enfermedades, destrucción ambiental y desempleo”. Giorgio Trucchi. Septembre 2014. http://nicaraguaymasespanol.blogspot.com/2014/09/actividad-minera-en-region-de-honduras.html. L’auteur fait référence à une recherche « Contamination de l’eau dans la zone d’exploitation minière du projet San Martin et les répercussions sur la santé humaine », réalisée en 2006 par Flaviano Bianchini.