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Bochra Manaï, chercheure enseignante et citoyenne engagée
Entrevue réalisée avec Guillaume Hébert, chercher à l’IRIS et citoyen de Montréal-Nord
Guillaume Hébert est aujourd’hui chercheur à l’IRIS. Ses trajectoires personnelles et citoyennes l’ont fait grandir dans une famille souverainiste puis s’engager contre la brutalité policière à Montréal-Nord, dont il est originaire. Impliqué dans le collectif Montréal-Nord Républik, créé après que Fredy Villanueva ait été abattu par la police à Montréal-Nord. Il s’évertue à décliner les enjeux de racisme et d’inégalités sociales dans les autres espaces de la ville et dans les institutions qu’il fréquente. Il supporte la candidature de son ami Will Prosper dans la campagne électorale de 2012, puis s’engage dans le débat sur la Charte des valeurs comme allié sur les enjeux de racisme et d’islamophobie. Dans cette entrevue, il revient sur ses propres apprentissages en matière d’antiracisme et sur le rapport qu’entretiennent les progressistes du Québec et la gauche québécoise (définie ici comme une sensibilité politique érigée sur le socle de la solidarité humaine) avec les enjeux du racisme.
Lorsque l’on demande à Guillaume Hébert, ce qu’il pense du racisme au Québec, il évoque rapidement l’urgence avec laquelle il nous faut apprendre à écouter les expériences des personnes racisées. « Sur les enjeux d’antiracisme, il faudrait que ce soit des personnes racisées qui aient le haut du pavé, qui racontent leurs expériences et qui proposent des solutions. » Évoquant l’importance de saisir les privilèges qui entourent les blancs, il précise même que ces derniers « devraient davantage s’effacer, apprendre à mieux écouter et garder systématiquement à l’esprit qu’ils bénéficient à temps plein d’un rapport au monde fait de privilèges, et cela sans se soustraire à leurs responsabilités. » Guillaume Hébert indique que les étapes nécessaires consistent d’abord à « écouter ces discours », à leur reconnaître une légitimité et enfin à « agir et appliquer un changement dans les institutions : que ce soit dans les milieux universitaires ou les milieux militants. » Il ne nie pas que la société québécoise et la gauche en particulier aient pu faire des faux pas dans les relations avec les groupes racisés, mais il insiste sur l’importance de les éviter à l’avenir « pour agir avec responsabilité » et en vertu d’une réelle solidarité humaine.
Selon Guillaume Hébert, « les progressistes québécois ont une crainte et il faut la nommer ». Plusieurs craignent d’être assimilés à du « multiculturalisme canadien » lorsqu’il s’agit de défendre les droits des personnes racisées. Or, il semble fondamental pour ce citoyen et chercheur de reconnaître que les défis des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination ne sont que la continuité des luttes historiques de la gauche. Par exemple, comme il a fallu que les mouvements et institutions progressistes intègrent différemment les enjeux féministes au fur et à mesure des différentes vagues, il faut que la démarche antiraciste de la gauche soit au diapason avec les luttes des Québécois-e-s racisé-e-s. « Avoir une posture antiraciste c’est avoir une solidarité partagée avec toutes les franges de la société qui ne sont pas libres ou égales. »
Pour Guillaume Hébert, le projet de la gauche se distingue des projets politiques, notamment celui du libéralisme, qui n’attache de l’importance qu’à la diversité en apparence et met de l’avant une vision très instrumentale des enjeux du racisme. « Le projet de société à gauche n’a pas à craindre d’être « multiculturaliste », entendu au sens d’excessivement individualiste ou encore communautariste, parce qu’il réserve une place centrale à la solidarité et à une radicalisation de la démocratie, y compris dans la sphère économique, et qu’il s’éloigne par conséquent du libéralisme qui donne préséance à l’intérêt personnel, l’individualisme ou la propriété privée »
Quoi qu’il en soit, les progressistes et les individus qui se réclament de la gauche ont un rôle majeur dans la lutte contre le racisme systémique.
« Il nous faut nommer le problème, sans sombrer dans la culpabilité et il nous faut se demander pourquoi nous sommes en retard sur certaines luttes antiracistes, notamment dans le reste de l’Amérique du Nord. Du moment que l’on se débarrasse de nos réflexes coloniaux, nous devrions garder à l’esprit que notre idéal ne passe pas la diversité culturelle au hachoir économique. Je crois que les menaces aux valeurs québécoises ne sont pas dans le foulard que portent certaines québécoises de confession musulmane, mais résident bien plus dans le modèle promu par l’esprit de consommation aseptisé et standardisé d’un espace comme le Quartier Dix30… ».
Selon Guillaume Hébert, « le Québec vit un point de bascule dont il faut se saisir. Il y a peu, l’enjeu de la diversité était encore considéré comme un thème marginal, mais aujourd’hui il est au cœur même de la société et donc du changement social. » De plus, « si le Québec, comme la plupart des sociétés occidentales, sombre dans la stagnation économique, la vigilance des progressistes devrait redoubler face aux véhicules politiques et aux mouvements basés sur la xénophobie qui y trouveront un terreau fertile. »
En 2016, sur les enjeux antiracistes « il reste de nombreux angles morts chez de nombreux militant-e-s et individus qui se considèrent pourtant volontiers de gauche. On vit un tournant et c’est un moment clé. Quand on veut traiter de ces enjeux, il faut que ce soit fait avec responsabilité. Le point de bascule se fait parce qu’il y a une massification des militant-e-s antiracistes, un niveau de conscience qui s’aiguise et une diffusion plus large du vocabulaire antiraciste. Historiquement, il y a eu beaucoup de faux-pas dans la gauche et chez les mouvements progressistes. Nous devons urgemment regagner la confiance là où on a parfois semé la méfiance. »
Lorsque l’on demande à Guillaume Hébert où devraient s’opérer les changements en matière d’antiracisme, il note la nécessité de modifier les mécanismes dans les organisations progressistes et les institutions publiques, les méthodes de travail et de représentation. « Le travail que les organisations peuvent faire consiste à changer tant les discours que les pratiques. Il y a nécessairement plusieurs étapes à suivre. La première, consiste à reconnaître ce qui est problématique. La seconde consiste à se demander comment on fait pour transformer nos milieux et comment on adopte de nouveaux mécanismes. Il faut y mettre des ressources et de la cohérence. » En matière de représentation de la diversité, « on devrait se demander si nos institutions, petites et grandes, respectent l’évolution de la démographie québécoise. On devrait repenser nos politiques d’embauche, par exemple.
Pour des organisations de masses, comme les partis politiques, il convient de s’interroger sur la composition du membership et de mettre en œuvre des manières de le faire évoluer vers plus de diversité sans tomber dans le clientélisme. Comme l’évoquent certain-e-s militant-e-s politiques racisés, il serait aussi urgent de multiplier les dossiers sur lesquels on propose aux personnes racisées de travailler et d’assurer un rôle de premier plan. Les réseaux militants ou les instances décisionnelles devraient par ailleurs être plus représentatives. Et il faut du sérieux. Si un organisme se dote d’une « politique antiracisme », elle doit être appliquée en s’assurant qu’elle puisse réellement saisir les enjeux du racisme. »
Selon Guillaume Hébert, il y a des mécanismes et des réflexes qu’il faut développer et des craintes qu’il faut mettre de côté. « Par exemple, les espaces non-mixtes sont importants pour les personnes racisées, mais ils sont souvent mal compris. Nous devrions être sensibles au fait que ce ne sont pas des espaces contre les personnes blanches, mais des lieux de renforcement d’individus et de groupes vivant des inégalités. » Il évoque la possibilité pour les organismes, les institutions ou même les partis politiques de faire des faux-pas, mais souligne l’importance de se réajuster. « Un exemple récent de collectif progressiste qui avait un angle mort vis-à-vis de la question de la diversité est le mouvement Faut qu’on se parle. Après son lancement, il a été critiqué pour ses lacunes en matière de représentation des personnes racisées. Ce mouvement a réagi rapidement en admettant cette lacune et il s’est réajusté en impliquant un militant reconnu de l’antiracisme au Québec en la personne de Will Prosper, notamment actif dans la requête d’une commission sur le racisme systémique.
Lorsque l’on pense le Québec de demain, il semblerait qu’il incombe à la gauche une responsabilité de comprendre les luttes antiracistes. C’est une position de principe, c’est une stratégie et c’est une façon de montrer la solidarité réelle qui nous définit comme progressistes. Et Guillaume Hébert de conclure que « la gauche contemporaine et celle des prochaines décennies, devra être foncièrement antiraciste ou elle ne sera pas. »