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Nicole Filion, coordonnatrice
Ligue des droits et libertés
Alors qu’il y aurait tant à faire sur le front de la défense des droits et libertés au Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a, ces derniers temps, été fragilisée par une crise interne qui a connu plusieurs rebondissements. Mentionnons entre autres que la ministre de la Justice a confié à un expert indépendant le mandat de réaliser un diagnostic organisationnel de l’institution alors qu’un rapport externe, rendu public l’automne dernier, a qualifié l’institution d’organisme « sclérosé, à la gouvernance déficiente ».
Il y a lieu de s’inquiéter d’une telle crise à la CDPDJ. Mais ce qui doit nous alarmer, c’est la fragilité dans laquelle l’institution se retrouve alors que le gouvernement a entrepris d’en faire l’examen sur le plan organisationnel. Dans une telle situation de vulnérabilité, comment la CDPDJ pourra-t-elle défendre son indépendance, sa mission, ses mandats et l’ensemble de ses fonctions? Comment dans ce contexte défendre l’institution qu’est la CDPDJ?
Il faut tout d’abord se rappeler l’importance de son rôle, sans pour autant fermer les yeux sur les problèmes récurrents que connaît la CDPDJ. En effet, tout ne saurait se résumer à cette crise ponctuelle.
Un rôle « au seul bénéfice des citoyens et dans l’intérêt du public »
La CDPDJ est un organisme indépendant du gouvernement. Elle a pour mission d’assurer la promotion et le respect de l’ensemble des droits énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne, du Québec, sans compter son mandat en matière de protection de la jeunesse et d’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics. Elle s’est vu confier cette mission par l’État, « au seul bénéfice des citoyens et dans l’intérêt du public ».
Il revient à l’État cependant d’assurer la pérennité de l’institution en lui donnant les moyens nécessaires à la réalisation de l’ensemble de ses mandats, et ce, en toute indépendance. Ces mandats consistent notamment à : informer le public des droits reconnus par la Charte; enquêter sur des situations de discrimination et sur les atteintes aux droits des enfants et des jeunes; faire les recommandations qui s’imposent au gouvernement afin que ses lois soient conformes à la Charte; produire des recherches; offrir un service-conseil en matière d’accommodement raisonnable; veiller au respect des programmes d’accès à l’égalité.
La CDPDJ a démontré une capacité d’intervention indéniable lorsqu’il s’est agit de rappeler au gouvernement ses engagements en matière de respect des droits et libertés entre autres lors de la réalisation d’avis portant par exemple sur le profilage social ou le profilage racial. Ses recherches ont su démontrer l’existence de pratiques discriminatoires à l’égard de plusieurs groupes, dont les travailleuses et travailleurs migrants. Elle a fait reconnaître l’existence de la discrimination systémique et fait avancer la reconnaissance de l’approche intersectionnelle qui permet de comprendre et d’agir sur l’ensemble des sources de violations de droits pour assurer la réalisation du droit à l’égalité.
Un processus d’enquête à améliorer
Cependant, d’importants correctifs doivent être apportés au processus d’enquête car il ne répond pas présentement aux attentes des personnes qui portent plainte pour discrimination. Ce mandat doit être préservé parce qu’il assure l’accès à la justice en matière de discrimination, ce qui représente en soi un acquis important au Québec. En effet, lorsque la CDPDJ accepte la plainte d’une personne, celle-ci sera, le cas échéant, représentée par la CDPDJ devant le Tribunal des droits de la personne et toute autre instance d’appel, s’il y a lieu. C’est ainsi d’ailleurs qu’ont pu se faire sur le plan judiciaire d’importantes avancées en matière de discrimination.
Ce sont en fait les délais de traitement des plaintes qui demeurent inacceptables, le délai moyen étant de 598 jours depuis l’accueil jusqu’à la fin de l’enquête, selon le rapport annuel de 2016-2017. Or, il est possible de revoir ce processus afin de l’alléger. Sans aller dans le détail, mentionnons que l’enquête pourrait se limiter à la vérification des faits pertinents à l’application de la Charte, laissant au Tribunal des droits de la personne le soin d’apprécier la force probante de la preuve qui lui sera offerte.
Une indépendance à préserver, une autonomie à renforcer
Afin d’exercer pleinement ses mandats, la CDPDJ doit aussi conserver son statut d’indépendance à l’égard du pouvoir politique. Ses membres sont certes nommé-e-s par l’Assemblée nationale, mais chacun sait que pour obtenir le vote d’au moins les deux tiers des député-e-s, des tractations ont cours entre les partis. Ce qui s’avère inacceptable et nous impose de trouver les moyens pour y remédier.
Aussi, afin de renforcer l’autonomie de la CDPDJ face au gouvernement qu’elle est appelée à critiquer dans l’exercice de son rôle de chien de garde des droits et libertés, il serait judicieux que le budget de la CDPDJ soit totalement distinct de tout ministère. Ainsi, tel qu’il était recommandé dans le bilan des 25 ans de la Charte, la CDPDJ devrait être rattachée à l’Assemblée nationale du Québec pour tous les aspects de sa gestion, y compris les aspects budgétaires, comme c’est le cas, par exemple, pour le Protecteur du citoyen.
Enfin, le gouvernement doit assurer au régime de protection des droits de la personne un niveau de financement qui soit à la hauteur de la mission confiée à la CDPDJ qui, selon la Charte, doit assurer par toutes les mesures appropriées la promotion et le respect des principes reconnus dans cette Charte.