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Chloé Serradori, agente de liaison et d’analyse
Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ)
Que ce soit à cause de la peur ancestrale de la folie, de l’ignorance de ce qui se passe réellement dans le système psychiatrique ou d’une acceptation résignée des impacts du manque de ressources financières et humaines, la tolérance de la société envers la manière dont sont traitées les personnes ayant des problèmes de santé mentale est un frein à la réalisation de leurs droits humains.
Cette tolérance alimente l’immobilisme de nos gouvernements à répondre à leurs responsabilités de promouvoir, de protéger et d’assurer la réalisation des droits humains. En fait, ils s’engagent davantage sur le chemin de l’austérité, des coupures, et de la prédominance de la sécurité au détriment de la liberté.
De plus, maintenant, tout devient un problème facilement diagnostiqué de « maladie mentale » et traité par une médication : irritabilité, anxiété, mauvaise humeur, déprime, timidité, exubérance, etc. L’adolescence est un problème de santé mentale, la violence est un problème de santé mentale. Les problèmes sociaux, les émotions, les caractéristiques personnelles et les étapes normales de la vie sont médicalisés. On ferme les yeux sur les causes.
Ce contexte fait que la société en vient à cautionner les abus et la maltraitance.
Portrait sombre s’il en est et qui a des impacts importants sur les personnes qui vivent ou ont vécu avec un problème de santé mentale. Sur le terrain, nous constatons que la coercition sévit de plus en plus dans le système psychiatrique, que la maltraitance s’enracine et que le modèle biomédical régit la justice; tout ça, sans trop de sursauts de la part de la société.
De manière générale, les traitements forcés sont en continuelle augmentation. Cela veut dire qu’il y a des personnes, jugées inaptes à consentir, qui sont obligées, par une ordonnance de cour demandée par un médecin ou un établissement, de prendre une série de médicaments psychotropes et parfois même de subir des traitements intrusifs (gavage, électrochocs), en moyenne durant trois ans, sans possibilité de recours. De 1990 à 2000, ce mécanisme d’exception n’était pratiquement pas utilisé. En 2016, le Curateur public indique qu’il y a eu au moins 1354 ordonnances de soins, uniquement pour des personnes sous curatelle publique. Dans toute cette démarche, on constate que les personnes sont peu informées, rarement présentes à la cour et peu représentées, ce qui est corroboré par les groupes de promotion et de défense des droits en santé mentale.
La contention physique (être attaché-e), l’isolement (être dans une chambre d’isolement, être confiné-e à sa chambre sans possibilité de sortie, être assis-e sans bouger sur une chaise) et la contention chimique (traitement chimique pour contrôler le comportement d’une personne) sont encore utilisés. Depuis plusieurs années, de nombreux scandales liés à ces mesures de contrôle ont éclaté, sans réels changements dans l’ensemble des milieux. Les données sur les décès accidentels associés à l’usage de contention du Bureau du coroner en chef rapportent 21 décès liés à l’usage de contentions pour la période de 2000 à 2012. « Strangulation et pendaison accidentelles », « matériel dangereux entraînant des chutes » et « suffocation » sont les trois causes les plus fréquentes.
Dans le cas où la personne est considérée dangereuse pour elle-même ou pour les autres, le recours à l’enfermement forcé, pour une durée déterminée par le juge, est aussi en continuelle augmentation. Ce mécanisme qui enfreint le droit à la liberté est régi par une loi exceptionnelle, et nous remarquons, année après année, que les délais ne sont pas respectés, que la personne est peu représentée, que la dangerosité est souvent confondue avec la dérangerosité pour justifier l’enfermement. Parfois on fait planer la menace de ce recours judiciaire pour amener les personnes à prendre une médication.
Les départements de psychiatrie sont généralement verrouillés, les cellulaires y sont interdits, le port des vêtements civils monnayé comme un privilège, les sacs des personnes qui visitent sont fouillés quand ce ne sont pas ces personnes elles-mêmes. Bref, tout le contraire de ce qui se passe en santé physique.
Ce portrait désolant démontre combien, malgré une lutte acharnée pour défendre les droits et libertés et les promouvoir sur toutes les tribunes, l’acceptation d’abus et de maltraitances est entrée dans notre quotidien.
Comment éveiller la vision critique de la société à ces traitements cruels, inhumains et dégradants? Plusieurs mouvements civiques nous ont appris la patience, la détermination, la mobilisation et la vigilance pour changer les choses, notamment :
- Écouter les personnes et les croire
- Unir nos forces, c’est-à-dire renforcer notre solidarité et notre mobilisation, informer les autres de nos enjeux et porter les leurs
- Avoir un langage accessible, imagé, frappant
- Exiger l’enseignement des droits et libertés dès les premières années d’école
- Donner des exemples concrets de ce que permet la réalisation des droits
- Informer la société des abus et de la maltraitance, les dénoncer systématiquement
- Refuser de participer à des pratiques qui provoquent de la maltraitance
- Exiger des sanctions et des réparations
- Intervenir dans les médias qui ont une influence sur l’opinion publique, afin de contrer systématiquement les erreurs, la désinformation et le sensationnalisme
- Demander des preuves, en particulier les recherches qui confirment les théories auxquelles se réfèrent certain-e-s professionnel-le-s de la santé et certain-e-s professeur-e-s
- Utiliser les médias sociaux
- Associer droits et plaisir, en particulier le droit à la culture, mais aussi le droit au respect, à la liberté
- Assurer une vigilance
- Dénoncer au niveau international l’immobilisme de nos gouvernements et leur non-respect des droits
- Faire de la réalisation des droits un enjeu électoral
- Indiquer aux instances décisionnelles qu’aucune justification thérapeutique ne doit permettre des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Enfin, précisons qu’il n’existe pas de droits en santé mentale, les droits sont les mêmes pour tous les citoyens et toutes les citoyennes. De plus, ils sont indivisibles, qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux, culturels, individuels ou collectifs, et interdépendants, c’est-à-dire que la privation d’un droit entraîne forcément le recul de certains autres, de même que l’amélioration d’un droit en fait progresser plusieurs.
Peut-être que ces moyens contribueront à réveiller une société soporisée qui accepte l’inacceptable. Espérons-le!