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Vincent Greason, coordonateurde la Table régionale des organismes volontaires d’éducation populaire de l’Outaouais (TROVEPO) et CA de la Ligue des droits et libertés
En mai 2017, le gouvernement de l’Ontario annonce la création d’un projet pilote pour « déterminer si un revenu de base peut apporter un meilleur soutien aux travailleurs vulnérables, améliorer les résultats en matière de santé et d’éducation pour les personnes à faible revenu et contribuer à ce que tout le monde participe à la croissance économique de l’Ontario ». Distinct de l’aide sociale, le revenu de base consiste en un paiement mensuel versé aux personnes ou aux familles admissibles afin de leur garantir un niveau de revenu minimum, quelque soit leur statut d’emploi. Le projet pilote se déroulera du printemps 2017 au printemps 2020.
Un survol du projet ontarien [1]
Le projet pilote ontarien s’adresse à quatre mille (4 000) personnes à faible revenu, choisies au hasard dans trois territoires cobayes spécifiques de la province. Les personnes choisies recevront un revenu de base dont le montant correspond à 75 % de la Mesure de faible revenu (MFR). Cette mesure n’est pas celle du panier de consommation (MPC), l’indicateur privilégié par le gouvernement du Québec pour mesurer la pauvreté. La MFR est un peu plus généreuse et ressemble davantage à la mesure de sortie de la pauvreté utilisée par l’Organisation des Nations unies (ONU).
Dans le projet ontarien, une personne seule pourrait recevoir jusqu’à 16 989 $ par an; un couple, jusqu’à 24 027 $. Les personnes handicapées recevront un supplément de 500 $ par mois. Au revenu de base, s’ajouteront, sans pénalité, des crédits d’impôt et d’autres prestations généralement disponibles aux personnes à faible revenu, telles les prestations pour enfants. Les programmes de médicaments et de soins dentaires demeurent disponibles, aux mêmes conditions, aux personnes éligibles.
Les participant-e-s au projet pilote peuvent poursuivre leurs études, trouver un emploi ou continuer à travailler tout en recevant le revenu de base. Dans un tel cas, le montant du revenu de base sera diminué de 0,50 $ pour chaque dollar gagné en travaillant.
Les participant-e-s qui reçoivent des prestations fédérales, en provenance de l’assurance-emploi (AE) ou du Régime de pensions du Canada (RPC), verront le montant de leur revenu de base mensuel diminué d’autant. Les personnes de 65 ans ou plus sont exclues du projet pilote car, au dire du gouvernement ontarien, les prestations déjà versées aux aîné-e-s sont plus avantageuses financièrement que le revenu de base proposé.
Le projet pilote et les droits humains
Le concept de « droits humains » ne figure nulle part dans la littérature gouvernementale associée au projet sur le revenu de base. Pas surprenant, puisque le montant du revenu garanti par celui-ci (soit 75 % de la MFR) ne répond pas aux exigences du droit à un niveau de vie suffisant, enchâssé dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
Ceci dit, comme une bonne partie du mouvement anti-pauvreté ontarien le souligne, gagner 75 % du MFR plutôt que 30 % représente une avancée pour les personnes concernées. Toutefois, alors que 1,8 million d’Ontarien-ne-s vivent présentement sous le seuil de la MFR, seules 4 000 personnes sont touchées par le projet pilote… de trois ans… lancé en pleine période électorale. On laissera à « plus tard » (soit après l’évaluation du projet pilote) l’amélioration du sort de celles et ceux qui doivent actuellement dépenser 40 ou 50 % de leur revenu pour le logement ou 25 % de leur paye pour le service de garde. Encore une fois, le pouvoir public utilisera un projet pilote (comme il utilise d’autres études et consultations du genre) pour ne pas agir aujourd’hui sur d’autres enjeux reliés au respect des droits économiques et sociaux tel que le contrôle des loyers, un tarif réduit pour le transport en commun, un régime public et universel de services de garde à prix modique (l’Ontario n’est pas le Québec!) et une bonification des rentes des accidenté-e-s du travail.
Autrement dit, introduit après plusieurs années de démantèlement de l’État social et d’affaiblissement des programmes sociaux et des services publics, le projet pilote ontarien ne remet aucunement en question les dérives du néolibéralisme. Or, c’est souvent par ces programmes que passe la réalisation des droits sociaux et économiques. Le revenu de base émerge d’un contexte général de privatisation et d’austérité qui a vu, tant le gouvernement de Kathleen Wynne que celui de son prédécesseur du Parti libéral, sabrer dans les services publics, privatiser Hydro Ontario et faire subir des reculs importants aux travailleuses et travailleurs. Quant aux programmes sociaux ontariens, abandonnés depuis longtemps, leur insuffisance n’est plus à démontrer. Expérimenter un nouveau mode de soutien public est, en soi, une forme de reconnaissance politique que le régime actuel ne fonctionne pas.
Dans ce sens, le projet pilote se distingue en ouvrant une brèche dans un consensus fondamental du capitalisme voulant que le salariat fournisse, directement ou indirectement, la principale source de revenu d’un-e citoyen-ne. Ce consensus se trouve à la base de la pression exercée sur les prestataires d’aide sociale et sur les chômeuses et chômeurs pour réintégrer le marché du travail le plus rapidement possible et à des conditions les plus basses possibles. Il se trouve également au cœur du maintien d’un bassin abondant de main-d’œuvre à bon marché qui entraîne la baisse des coûts et des conditions du marché du travail. Expérimenter une nouvelle logique extra-salariale, spécifiquement dans un moment historique caractérisé par des reculs néolibéraux, n’aura-t-il pas l’effet d’amoindrir encore plus la pression sur le patronat et l’État visant à remettre davantage de richesse entre les mains de celles et ceux qui la produisent?
Chose certaine, en choisissant de miser sur un projet pilote de revenu de base, le gouvernement de l’Ontario évite de modifier en profondeur son régime fiscal. Encore une fois, il s’attaque à la pauvreté par le bas au lieu de considérer l’autre cause des inégalités croissantes, celle des privilèges des plus riches. Il poursuit dans la voie de la fiscalisation de la lutte à la pauvreté[2], qui place les politiques sociales à la remorque des budgets et des choix budgétaires. Ainsi, le ministre des Finances devient un architecte de politiques sociales!
[1] Pour plus d’informations, voir : https://files.ontario.ca/170423_bi_brochure_fr_pg_by_pg_proof.pdf
[2] Comme bien d’autres programmes, le projet ontarien adopte un modèle d’impôt négatif. La personne participant au projet pilote y est éligible en fonction de son revenu et celui-ci détermine le montant de la prestation à recevoir.