Retour à la table des matières
Kim Bouchard, avocate
Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal
Dans un passé pas si lointain, la protection sociale de la travailleuse enceinte était une question absente du débat public. Aujourd’hui, l’interruption d’emploi aux fins de maternité et d’obligations parentales est un droit reconnu et protégé. La législation provinciale établit les balises requises pour protéger la travailleuse enceinte et son emploi. Le congédiement, ou toute autre mesure de représailles envers une salariée exerçant ses droits, est formellement interdit.
Toutefois, nul n’est à l’abri d’une perte d’emploi. En pareil cas, le régime fédéral d’assurance-chômage[1] verse un soutien de revenu temporaire aux personnes admissibles. Pour avoir droit aux prestations régulières, il faut avoir cotisé au régime, cumuler le nombre d’heures requis durant la période de référence (habituellement, il s’agit des 52 semaines précédant la demande de prestations) et posséder un motif de fin d’emploi valable.
Lorsque le droit aux prestations est acquis, les prestataires disposent normalement d’une période de prestation de 52 semaines à l’intérieur de laquelle des prestations peuvent être payées. Durant cette période, il est possible de combiner les prestations régulières avec les divers types de prestations spéciales (maternité, parentale, maladie, soignant et compassion).
Se pose ici la question : Quelle protection le régime d’assurance-chômage offre-t-il aux travailleuses absentes du marché du travail en raison de leur maternité et qui perdent leur emploi pendant cette absence ou peu de temps après? Pour la plupart, ces femmes n’ont pas travaillé durant la période de référence, elles n’ont pas eu la possibilité de cotiser au régime ni d’accumuler les heures requises. Et la période de prestation est beaucoup trop courte pour leur permettre d’utiliser les prestations reliées à la naissance d’un enfant et les prestations régulières prévues pour les cas de chômage.
Le présent texte prétend que l’absence ou la réduction de couverture de ces chômeuses résulte de l’application de normes d’apparence neutre qui ont un effet discriminatoire envers les femmes, en violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Une discrimination historique
En 1950, à peine 20 % des femmes sont actives sur le marché du travail. Conformément à l’esprit de l’époque, on considère a priori que les épouses, à la charge de leur mari, sont destinées à devenir mères et ménagères. Ainsi, toute femme mariée perd son droit aux prestations durant les deux ans qui suivent son mariage, à moins qu’elle ne prouve un nouvel attachement au marché du travail. Toutes les années à travailler et à payer des cotisations avant le mariage sont pour ainsi dire effacées.
Au cours des années 60 et 70, les femmes entrent massivement sur le marché du travail et nous assistons à un nouvel éveil des luttes féministes. Dans ce contexte de changements des mentalités et d’augmentation du salariat féminin, le Parlement canadien modifie en 1971 la Loi sur l’assurance-chômage et crée des prestations spéciales de maternité, d’une durée de 15 semaines, afin de protéger le salaire des travailleuses enceintes et favoriser le maintien de leur lien d’emploi.
Toutefois, pour éviter que les femmes ne trouvent un emploi qu’aux seules fins d’obtenir du chômage-maternité, la prestataire devra accumuler 20 semaines de travail dans la dernière année, dont 10 durant sa grossesse. En comparaison, seulement 8 semaines de travail sont exigées pour obtenir des prestations régulières.
La loi prévoit de plus une inadmissibilité au bénéfice des prestations régulières pour une période débutant huit semaines avant l’accouchement et se terminant six semaines après celui-ci, même si la travailleuse prouve qu’elle est apte au travail[2].
Ces dispositions sexistes sont contestées en 1979 dans le cadre de l’arrêt Bliss[3]. Toutefois, le plus haut tribunal du pays statuera que « toute inégalité entre les sexes dans ce domaine n’est pas le fait de la législation, mais bien de la nature ».
Aujourd’hui, l’interruption d’emploi due à la maternité est devenue une responsabilité collective et la Loi sur l’assurance-emploi ne discrimine plus directement les travailleuses requérant des prestations spéciales. Par contre, les femmes se retrouvant en chômage suite à la naissance d’un enfant ne pourront bénéficier pleinement des prestations régulières. Cela constitue nécessairement la perte d’un droit dont la salariée aurait bénéficié si elle n’avait pas été enceinte et était demeurée au travail.
Pas de protection pour le salaire perdu
La Loi sur l’assurance-emploi accorde une indemnité de revenu maximale de 15 semaines en prestations de maternité et de 35 semaines en prestations parentales. Notons que les prestations versées sous l’égide du Régime québécois d’assurance-parentale (RQAP) sont assimilées techniquement aux prestations d’assurance-emploi[4] et équivalent au même nombre de semaines de prestations versées sous le régime fédéral.
Au Québec, les mères bénéficient en moyenne de 17,2 semaines de prestations maternité. 98 % d’entre elles réclament aussi des prestations parentales de 28,9 semaines[5] en moyenne, pour un total de 46,1 semaines payées. La situation est semblable pour les mères canadiennes qui utilisent en moyenne 43 semaines en tout.
Dans chaque cas où des prestations spéciales et des prestations régulières sont versées, le nombre total de semaines pour lesquelles des prestations peuvent être versées ne peut être supérieur à 50. Alors, dans les faits, il est impossible pour une femme d’être consécutivement protégée en cas de maternité et contre le risque de chômage. Tout comme dans les années 1940, la travailleuse doit rétablir son droit aux prestations pour être à nouveau couverte par le régime.
Ce sont majoritairement les mères qui s’absentent temporairement de leur emploi dans l’année qui suit la naissance d’un enfant pour s’acquitter des charges familiales. À cette occasion, elles subissent déjà une baisse de revenu. Les conséquences économiques découlant d’une perte d’emploi imprévue dans ce contexte sont donc assumées individuellement par les femmes.
Cet état de grande précarité place les femmes dans une position de vulnérabilité et de dépendance face à l’autre parent devant assumer l’entièreté des dépenses. Ce constat est encore plus troublant dans le cas de familles monoparentales, majoritairement dirigées par une mère seule, ou de femmes aux prises avec des problèmes de violence conjugale.
Il est préoccupant de constater que l’Enquête sur la couverture de l’assurance-emploi préparée par Statistique Canada n’ait jamais documenté ce phénomène. Cela participe à l’invisibilisation des inégalités sociales subie par les femmes sur le marché du travail et reproduite par la Loi sur l’assurance-emploi. Afin de ne plus pénaliser injustement les femmes, la Loi devrait énoncer que toute absence liée à la grossesse, à la maternité et aux responsabilités parentales constitue un motif acceptable pour obtenir une prolongation de la période de référence ou de la période de prestation.
La pleine égalité devant la loi est un objectif qui commande à l’État de tout mettre en œuvre pour que ses politiques sociales s’arriment aux réalités du monde du travail. La présence massive des femmes sur le marché du travail et les responsabilités familiales qu’elles continuent d’assumer rend ceci plus impératif que jamais.
Au Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal, nous croyons que toutes les travailleuses ont droit à une pleine protection en cas de chômage, indépendamment de toute absence liée à la grossesse, à la maternité et aux responsabilités parentales. C’est pourquoi, nous avons récemment initié un processus de contestation judiciaire afin que les mères aient accès aux prestations régulières d’assurance-chômage si elles se retrouvent sans emploi, conformément au droit à l’égalité protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Ce combat s’inscrit dans la longue histoire de la discrimination subie par les chômeuses depuis la création du programme d’assurance-chômage canadien en 1940.
L’exemple de Madame Marchand
Madame est à l’emploi depuis le 1 janvier 2005. Elle devient enceinte en septembre 2016. Du 1er mai 2017 au 22 avril 2018, celle-ci recevra le maximum de prestations de maternité et parentales en vertu du Régime québécois d’assurance parentale. Entretemps, le 1er septembre 2017, l’entreprise procède à une restructuration et la congédie. Le 23 avril 2018, Madame Marchand fait une demande de prestations régulières d’assurance-emploi puisqu’elle est en chômage. Toutefois, comme Madame n’était pas au travail en raison de sa maternité, elle n’a accumulé aucune heure de travail durant la période de référence de 52 semaines qui précède sa demande de chômage (22/04/2017 au 23/04/2018). Elle n’aura donc pas droit aux prestations d’assurance chômage suite à la perte de son emploi. |
Le Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal est un organisme communautaire qui se consacre entièrement à la défense individuelle et collective des droits des sans-emploi, depuis près de 50 ans.
[1] Nous utilisons sciemment le vocable assurance-chômage plutôt qu’assurance-emploi. Une assurance-chômage est une protection en cas de chômage et non pas un système de régulation de la main d’œuvre. Les réformes opérées dans les années 1990 au régime canadien d’assurance-chômage, ainsi que la Loi sur l’assurance-emploi adoptée en mai 1996, ont radicalement changé les fondements idéologiques et les objectifs de ce système de protection sociale des travailleuses et des travailleurs. Les mots ont leur importance. Faire disparaître les mots, c’est un premier pas pour effacer ce qu’ils représentent.
[2] Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 30 et art. 46.
[3] Bliss c. Le Procureur Général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183.
[4] Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 76.19(1).
[5] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Rapport sur le portrait des prestataires du Régime québécois d’assurance parentale 2015, septembre 2017.