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Bill Clennett, demandeur d’accès à l’information
Membre du CA de la Ligue des droits et libertés
Le 24 septembre 2018, la Chambre des communes a adopté en troisième lecture le projet de loi C-71 intitulé Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu. Lors du débat, Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a expliqué que ce projet de loi entrainait des modifications à des lois relatives au transport, à la classification, à la vente et aux permis d’armes à feu[1]. Ce qu’il n’a pas mentionné, toutefois, concerne le contenu de la partie II de ce projet de loi.
Alors que la Partie I apporte une correction partielle – et insuffisante – à la déréglementation des armes à feu mise en œuvre par le gouvernement Harper[2], la partie II répond pour sa part à une contestation juridique en lien avec la destruction des données du registre des armes d’épaule. En quelque sorte, elle règle hors cour ce litige. Le présent texte relate l’histoire ayant mené à cet aboutissement.
Elle débute le 27 mars 2012, alors qu’est déposée une demande d’accès à l’information pour les documents ciblés pour destruction par le projet de loi C-19 (Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule). La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a eu besoin de trois mois pour envoyer une première réponse à cette demande d’accès à l’information, enjoignant au demandeur de verser une somme de 1 150 $ aux fins de la recherche et de la préparation des documents demandés. Subséquemment, la GRC s’est objectée à la formulation de la requête d’accès à l’information. Il aura fallu l’intervention du bureau de la Commissaire à l’information du Canada pour que se règle la question des frais et que soit convenue une nouvelle formulation de cette demande, le 25 octobre 2012. A partir de cette date, la demande visait « la base de données du registre d’armes à feu ».
Entretemps, la Commissaire à l’information du Canada de l’époque écrivait au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile le 13 avril 2012 afin de lui enjoindre de sauvegarder le registre des armes à feu pendant la période de considération de la demande d’accès à l’information incluant tous les recours devant les tribunaux. Le ministre Vic Toews confirmait par écrit au début du mois de mai que le gouvernement entendait respecter ses obligations[3].
Toutefois, le 5 novembre 2012, le ministre Toews faisait la déclaration suivante à la Chambre des communes : « Monsieur le Président, le gouvernement conservateur est fier d’annoncer qu’en date de mercredi soir, tout le contenu du registre des armes d’épaule avait été détruit, à l’exception des données touchant le Québec[4]. » En fait, la destruction des données avait commencé le jour même de la clarification du libellé de la demande. Rappelons que, selon les articles 67.1(1) et (2) de la Loi sur l’accès à l’information, l’entrave au droit d’accès par la destruction de l’information visée par une demande d’accès peut être considérée comme un acte criminel entrainant une peine maximale de deux ans d’emprisonnement.[5]
Le demandeur a dû attendre jusqu’au 1er février 2013, soit trois mois après la destruction des données du registre des armes d’épaule, pour recevoir en guise de réponse un CD contenant de l’information déjà divulguée dans le cadre d’une autre demande d’accès à l’information. Jugeant cette réponse insatisfaisante, le demandeur a déposé une plainte auprès de la Commissaire à l’information du Canada.
Le 26 mars 2015, la Commissaire à l’information du Canada concluait que la réponse de la GRC était incomplète. Elle communiquait alors ses recommandations au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. De plus, elle avisait le Procureur du Canada du fait que la destruction des données du registre pouvait constituer une infraction afin qu’il institue une enquête dans cette affaire. Décidément, les relations n’étaient pas au beau fixe entre la Commissaire Legault et le gouvernement Harper.
Le détective Dave Truax, enquêteur chargé du dossier, a confirmé dans une lettre à la Commissaire à l’information du Canada[6] que diverses accusations étaient envisagées, dont les infractions d’entrave au droit d’accès et de méfait à l’égard de données informatiques, mais il y avait un hic…
Cinq semaines après avoir été informé d’une possible infraction découlant de la destruction des données du registre, le gouvernement Harper avait inséré discrètement une disposition dans une loi omnibus sur le budget. L’article 230 de cette loi soustrayait à la responsabilité criminelle toute action découlant d’une demande d’information postérieure à octobre 2011 et concernant le registre des armes à feu. Ainsi, à partir du 25 octobre 2011, plusieurs dispositions de la Loi sur l’accès à l’information ne s’appliquaient pas aux données contenues dans ce registre. Cette modification, en raison de sa nature rétroactive, forçait donc le détective Truax à conclure qu’à la lumière de ces changements il n’existait pas d’infraction criminelle pouvant justifier une enquête[7]. De plus, de telles modifications rendaient caduque la demande d’accès à l’information du demandeur. À toutes fins pratiques, la GRC se voyait octroyer une amnistie! Devant cette situation inacceptable, la Commissaire à l’information du Canada et le demandeur ont choisi la seule voie possible. Ils ont introduit devant les tribunaux un recours afin de contester la constitutionnalité de cette loi rétroactive de nature criminelle. Le 22 juin 2015, ils ont déposé un avis de requête devant la cour alléguant l’inconstitutionnalité de cette modification rétroactive de la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule.
La fin du règne Harper a toutefois permis à tout le monde de souffler. Et la discrète partie II du projet de loi C-71 proposé par le ministre Goodale, lequel a été adopté en septembre 2018, annule ces dispositions législatives rétroactives.
La GRC sera peut-être trouvée coupable d’entrave, mais il reste que toutes les données du registre des armes à feu (armes d’épaule et armes restreintes et prohibées) visées par la demande d’accès à l’information, sauf celles du Québec, … ont été détruites!
Ces faits sont réels et ne tiennent pas du roman policier ou du roman d’espionnage. Six années de tergiversations suite à une demande d’accès à l’information, c’est déjà un déni de droit. Mais lorsqu’un gouvernement adopte une loi rétroactive qui met à l’abri d’une condamnation un corps policier ayant commis une infraction, il s’agit d’une atteinte à l’État de droit. Enfin, la pression ministérielle entourant la destruction du registre et des données concernées témoigne du peu de respect que certains gouvernements portent aux institutions démocratiques. Certes, la modification inacceptable a été supprimée, bien que fort discrètement; mais un demandeur d’accès à l’information doit-il s’attendre, lorsqu’il ose s’attaquer à un sujet sensible et à des acteurs non rompus à l’imputabilité, à un tel jeu du chat et de la souris?
[1] Canada, Parlement, Débats Chambre des communes, 42e Lég, 1re Sess, Vol 148, No 322 (le 20 septembre 2018)
[2] Pour en savoir davantage : polysesouvient.ca
[3] https://wikiinfo.ca/fr/enquete_registre_armes_a_feu/
[4] Canada, Parlement, Débats Chambre des communes, 41e Lég, 1re Sess, Vol 146, No 176 (le 5 novembre 2012)
[5] Débat sur l’origine de l’article 67.1(1) : Canada, Parlement, Débats Chambre des communes, 36e Lég, 1re Sess, Vol 135, No 045 (le 5 décembre 1997)
[6] https://wikiinfo.ca/fr/enquete_registre_armes_a_feu/
[7] Idem
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