La Régie du logement, une machine à expulser les locataires

L’étude du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) démontre clairement que les pratiques de la Régie du logement témoignent d’une exécution partiale de la justice, et ce, au profit des propriétaires. Pour que le droit au logement soit respecté, la RCLALQ demande à la Régie d’être juste et équitable.

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Marjolaine Deneault, organisatrice communautaire
Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ)

Créée en 1980 suite à la publication du Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires[1], la Régie du logement avait pour but d’« assurer des relations non seulement harmonieuses, mais également équitables pour tous lorsque l’occupant d’un logement est locataire[2] ». Une décennie plus tard, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) sonnait déjà l’alarme[3] et émettait de sérieux doutes sur les orientations prises par ce tribunal. La crise du logement qui a sévi au tournant des années 2000 n’a fait qu’accentuer ce dérapage : les délais de traitement des dossiers ont bondi en flèche et la Régie ne s’est pas imposée comme organe de contrôle pour assurer la protection du parc de logements locatifs de la province.

Après deux années de recherches et d’enquêtes sur le terrain, le RCLALQ a publié en 2016 une nouvelle étude sur les pratiques de la Régie du logement dans laquelle nous venons à la conclusion que ce tribunal fait désormais une exécution partiale de la justice, et ce, au profit des propriétaires. De ce fait, les locataires l’utilisent rarement pour défendre leurs droits[4].

La résiliation du bail : la principale activité de la Régie du logement

Le Code civil du Québec prévoit que les locataires sont protégés par le « droit au maintien dans les lieux », ce qui signifie qu’un-e propriétaire ne peut forcer un-e locataire à quitter son logement à moins d’obtenir une décision de la Régie à cet effet. Toutefois, plusieurs dispositions du Code facilitent la résiliation du bail pour les propriétaires et la Régie priorise systématiquement ces causes dans sa procédure de mise au rôle. L’article 1971 prévoit notamment qu’un-e propriétaire peut obtenir la résiliation du bail dans le cas d’un retard de paiement de plus de trois semaines, et ce, peu importe le montant dû, ou si le paiement du loyer se fait souvent en retard.

En 2016-2017, c’est près de 62 % des demandes déposées à la Régie qui concernait le non-paiement du loyer et les retards fréquents[5]. Selon notre plus récente étude sur les activités de la Régie, cela fait près de vingt ans que ce type de demande en constitue la majorité[6]. Cette donnée témoigne à elle seule des difficultés structurelles que rencontrent les locataires pour payer leur loyer. Dans un contexte où, selon Statistique Canada, le tiers des ménages québécois consacrent plus de 30 % de leur revenu pour se loger[7], cela ne risque pas de changer.

Qui plus est, les demandes d’expulsions sont celles qui sont traitées le plus rapidement par la Régie : l’année dernière, le tribunal accordait une première audience en un mois et demi en moyenne dans les causes en non-paiement alors que ce délai pouvait atteindre plus de vingt mois pour les « causes civiles générales » telles que les demandes en dommages et intérêts ou en diminution de loyer portées par les locataires[8]. Année après année, ces données se répètent et confirment que la priorité de la Régie est de répondre aux demandes de résiliation de bail avant toutes les autres causes, comme celles, par exemple, des locataires victimes d’insalubrité. Pour le RCLALQ, cela témoigne d’une partialité flagrante de ce tribunal dans l’exécution qu’il fait de la justice en faveur des propriétaires, puisqu’il autorise l’expulsion de dizaines de milliers de ménages locataires chaque année. On relèvera par ailleurs qu’il est impossible pour un-e locataire d’avoir recours aux services de conciliation de la Régie pour conclure une entente de paiement avec son propriétaire en cas de non-paiement de loyer.

D’autre part, sauf rarissimes exceptions, les locataires ne peuvent pas invoquer l’état du logement, la négligence de la ou du propriétaire, la perte d’un emploi ou un problème de santé pour justifier le non-paiement de leur loyer et la ou le propriétaire obtiendra rapidement la résiliation du bail. Le jour de l’audience pour non-paiement de loyer, les locataires peuvent, certes, demander une « réunion des demandes » s’ils ont préalablement déposé une demande à la Régie pour obtenir l’exécution de travaux par exemple, mais elle ne sera pas nécessairement accordée par le tribunal.

Par ailleurs, un-e locataire peut être expulsé de son logement même si elle ou il paie toujours son loyer de manière irréprochable. C’est ce que nous appelons les « expulsions sans faute » puisqu’elles sont permises par la législation et qu’elles prévalent sur le droit au maintien dans les lieux des locataires. La forme la plus connue est la reprise du logement par la ou le propriétaire. En théorie, un logement peut être repris par son propriétaire pour se loger elle-même ou lui-même, ou pour loger un-e membre ascendant ou descendant de sa famille. Mais en pratique, la reprise de logement est souvent utilisée pour expulser des locataires qui habitent leur logement depuis plusieurs années et qui ont réussi à conserver un coût de loyer abordable. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent les centaines d’avis de reprise de logement colligés par le RCLALQ année après année. En 2017, près de 68 % des ménages visés par une reprise payaient moins cher que le loyer moyen et ils occupaient leur logement en moyenne depuis douze ans[9].

Pour une Régie du logement juste et équitable

Avec sa campagne lancée en 2016 « La Régie du logement, assez du deux poids, deux mesures », le RCLALQ réclame une réforme complète de cette institution afin que cesse l’exécution partiale de la justice en faveur des propriétaires et pour que les locataires reprennent confiance en leur capacité à faire valoir leurs droits. Les témoignages des ménages locataires nous montrent bien que cette perte de confiance est majeure, puisque plusieurs d’entre eux préfèrent quitter leur logement que d’ouvrir un dossier à la Régie. Certains, surtout dans les cas de non-paiement de loyer, refusent même de se rendre à leur audience en sachant que le litige est tranché d’avance[10]. En plus de réclamer que les locataires puissent évoquer des motifs de défense dans les cas de non-paiement de loyer, nous demandons que ce type de cause ne soit pas systématiquement priorisé et que, sauf exceptions, la mise au rôle s’effectue plutôt par le principe du « premier arrivé, premier servi » afin de réduire les délais qui sont tout simplement inacceptables pour les causes portées par les locataires.

Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver des exemples démontrant qu’il est possible de faire mieux. Avec la Commission de la location immobilière, un tribunal administratif qui possède une mission semblable à celle de la Régie, notre voisin ontarien réussit à faire beaucoup mieux en ce qui concerne les délais. En 2014-2015, les locataires de l’Ontario n’attendaient pas plus de 23 jours ouvrables en moyenne pour se faire entendre[11] alors que les locataires québécois doivent souvent attendre des dizaines de mois avant d’obtenir une audience. Il est plus qu’urgent que le deux poids, deux mesures cesse à la Régie du logement et que les locataires du Québec puissent disposer d’un véritable accès à la justice en matière de droit du logement.

[1] Ministère des affaires municipales, Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires, Gouvernement du Québec, Éditeur officiel, 1978.

[2] Ibid., p.5.

[3] RCLALQ, Régie du logement : autopsie d’une fraude, L’Artère, 1992.

[4] Dans le Rapport annuel de gestion 2016-2017 de la Régie, on peut voir que seulement 12 % des demandes sont introduites par les locataires. Voir Régie du logement, Rapport annuel de gestion 2016-2017, Gouvernement du Québec, 2017, p.64-65.

[5] Idem.

[6] RCLALQ, La Régie du logement sous la loupe. L’exécution partiale de la justice. 2016, p.25.

[8] Régie du logement, op. cit., p. 66.

[9] RCLALQ, Faits saillants de la compilation des atteintes au parc locatif, 2017.

[10] Martin Gallié, Le droit et la procédure d’expulsion pour des arriérés de loyers : le contentieux devant la Régie du logement, UQAM, 2016.

[11] Tribunaux de justice sociale Ontario. Rapport annuel 2014-2015, 2015.

 

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