Les Premières Nations au Québec et le droit au logement

Depuis longtemps, les communautés autochtones font face à des enjeux importants en matière de logement. Cette crise qui affecte le bien-être de ces collectivités se réglera-t-elle grâce au projet de loi C-262?

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Guy Latouche, urbaniste
Consultant pour l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL)

Le logement joue un rôle qui va bien au-delà de la satisfaction des besoins physiques des individus. Il occupe, dans nos sociétés, une place fondamentale. Il a, de ce fait, des répercussions sur une gamme de déterminants socio-économiques, y compris l’emploi, la santé, l’inclusion sociale et le niveau d’éducation.

Les conditions de logement ont une incidence sur le bien-être individuel et collectif. L’indice du bien-être des collectivités (IBC) est un outil qui permet de mesurer et de comparer le bien-être socio-économique des collectivités. Des quatre indicateurs mesurés par l’IBC, celui qui affiche la plus grande disparité entre les Premières Nations et les autres collectivités est le logement. Les conditions de logement sont beaucoup moins bonnes dans les réserves des Premières Nations que dans les collectivités non autochtones. Trop peu d’unités d’habitation sont bâties, et une grande part du parc de logements nécessite des réparations majeures[1].

Le droit au logement

Le droit au logement est un droit humain internationalement reconnu : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux … » (Déclaration universelle des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies, Article 25, 1). Il fait partie des droits de la personne énoncés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que le Canada a ratifié en 1976. Le Pacte est un traité international multilatéral qui reconnaît le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, et qui requiert des États qu’ils agissent en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits protégés. L’article 11 garantit le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris le droit au logement.

Par ailleurs, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) affirme clairement que ces derniers sont égaux à tous les autres peuples, et qu’ils ont, à ce titre, des droits collectifs essentiels à leur survie et à leur épanouissement, dont le droit fondamental à l’autodétermination. Cela inclut, sans discrimination d’aucune sorte, l’amélioration de leur situation économique et sociale, notamment dans le domaine du logement (article 21). Le gouvernement a des responsabilités à l’égard des Premières Nations. L’actuel gouvernement fédéral s’est engagé, peu de temps après son élection, à mettre en œuvre la DNUDPA, tout en appuyant la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Le logement chez les Premières Nations au Québec

Il est admis, depuis longtemps, que les communautés autochtones font face à des enjeux importants en matière de logement. Dans la foulée du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, en 1996, une multitude d’autres analyses ont établi un consensus sur la précarité de la situation. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones (CSPPA) relatait, en 2015, que : « … trop de membres des Premières Nations vivent dans des logements qui sont nettement inadéquats, alors que d’autres se heurtent à des obstacles qui les empêchent d’accéder à la gamme complète de logements libres hors réserve… La piètre qualité des logements et la surpopulation dans de nombreuses collectivités sont dramatiques… Des témoins partout au pays ont souligné la crise du logement qui sévit dans un grand nombre de ces collectivités au Canada, allant jusqu’à dire qu’il y a un état d’urgence[2] ».

Bien qu’il diffère d’une communauté à l’autre, le portrait du logement dans les communautés des Premières Nations au Québec est, globalement, le reflet d’une situation de crise. La diversité dont il est ici question s’explique notamment par le contexte socio-économique qui varie parfois de manière importante d’une communauté à l’autre. Dans l’ensemble cependant, les Premières Nations au Québec font face à de grands besoins. Il faut ajouter plus de 9 000 unités d’habitation au parc immobilier qui compte environ 15 000 logements. Le tiers des unités existantes nécessite des travaux de rénovation que l’on peut qualifier d’importants. Ces besoins trouvent leur justification dans l’état actuel du parc immobilier, le surpeuplement des maisons, la croissance démographique, les aspirations des membres qui vivent présentement à l’extérieur de leur communauté et la nécessité de reloger des populations[3].

Le contexte est tout aussi préoccupant à l’extérieur des communautés. Une récente analyse de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) démontre que la fréquence des besoins impérieux en matière de logement chez les ménages dirigés par une Autochtone hors réserve est plus élevée que dans tous les autres groupes de ménages. Cette analyse est basée sur les données de l’Enquête nationale auprès des ménages[4].

Ces grands besoins ont comme corollaire de grands défis. Au rythme de 250 nouvelles habitations construites en moyenne chaque année avec les budgets réguliers, la crise actuelle n’est pas près de s’estomper dans les communautés des Premières Nations au Québec. Or, un logement convenable est un besoin humain fondamental et un prérequis à la santé et la viabilité des communautés. Le contexte actuel du logement affecte la performance des Premières Nations dans plusieurs domaines qui ont des ramifications plus ou moins directes avec celui du logement, et de ce fait contribue à les placer dans une situation précaire.

Les causes structurelles et juridictionnelles

Les causes structurelles et juridictionnelles du retard en matière de logement des communautés des Premières Nations au Québec sont multiples. Des facteurs historiques ont contribué à une perte d’identité. Au plan culturel, les modèles d’habitation et d’aménagement du territoire ne rencontrent pas toujours les aspirations locales. La démographie, de son côté, avec le taux de croissance observé (deux fois supérieur à celui du Québec) et la jeunesse de la population (50 % ont moins de 25 ans), explique la demande soutenue. Le sous-financement et la difficulté d’accéder au capital font en sorte que les budgets réguliers répondent à moins de 20 % des besoins des communautés. Sous un angle politique, le domaine est une responsabilité partagée entre 2 intervenants fédéraux (Services aux Autochtones Canada et SCHL) et les Premières Nations sur un fond de manque de clarté et de désaccord sur les rôles et responsabilités. Au plan géographique, la réalité des régions éloignées, avec ses coûts élevés et un marché de l’habitation peu développé, voire inexistant, pose un défi de grande taille.

Les programmes fédéraux ne produisent pas les effets escomptés. Dans l’évaluation de son programme de logement à l’intérieur des réserves pour la période de 2011 à 2016, Affaires autochtones et du Nord Canada (aujourd’hui Services aux Autochtones Canada), affirme que l’approche et le programme actuels du ministère ne se traduisent pas par des résultats à long terme et ne résolvent pas les problèmes sous-jacents de capacités et de ressources dans les collectivités des Premières Nations. L’évaluation conclut que le programme doit être réformé[5].

Perspectives

Dans le cadre de son engagement visant à améliorer le logement et l’infrastructure pour les collectivités des Premières Nations, le gouvernement du Canada mobilise les Premières Nations et d’autres partenaires pour établir une approche à long terme efficace. Le gouvernement reconnaît qu’une nouvelle approche en matière de logement dans les réserves est nécessaire pour améliorer les résultats à long terme au bénéfice des collectivités des Premières Nations. Dès les premières étapes de mobilisation, les représentants des Premières Nations ont affirmé leurs attentes : plus de fonds, plus d’options de financement, plus de capacités à tous les niveaux et ultimement plus de responsabilités. S’il existe une réelle volonté d’améliorer sensiblement les conditions de logement des Premières Nations, le gouvernement doit la matérialiser en mettant en place des mécanismes qui veilleront à ce que les normes nationales fondamentales et les droits de la personne soient respectés.

En novembre 2017, le gouvernement du Canada a annoncé sa toute première Stratégie nationale sur le logement; un plan ambitieux visant à faire en sorte que les Canadiens disposent d’un logement répondant à leurs besoins et qui est abordable. Le plan prévoit que l’approche visant le logement des Autochtones doit être élaborée conjointement et fondée sur les principes de l’autodétermination, de la réconciliation, du respect et de la coopération. Tout récemment, la rédaction d’un mémoire au Cabinet, conjointement par les Premières Nations et le gouvernement fédéral, s’est avérée un pas dans cette direction.

Le projet de loi C-262, qui vise directement la mise en œuvre de la DNUDPA, a été adopté en deuxième lecture à la Chambre des communes. Le texte exige du gouvernement du Canada qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration. Pour être porteuses de succès, ces mesures doivent être élaborées en consultation et en coopération avec les peuples autochtones. Fait intéressant, le projet de loi prévoit que le ministre responsable remette annuellement, pour les 20 ans à venir, à chaque chambre du Parlement, un rapport sur la mise en œuvre des mesures en question et du plan d’action qui en découle.

La nouvelle loi imposera donc une reddition de comptes sur les progrès dans l’élimination de la crise du logement qui afflige les Premières Nations. Plus important encore, elle pourrait éventuellement s’enchâsser dans la loi canadienne d’une manière qui fera en sorte que les gouvernements subséquents ne puissent s’éloigner des engagements convenus.

Il est impératif de donner aux Premières Nations les moyens de mettre à niveau leurs capacités pour éliminer le retard accumulé et ainsi paver la voie à un transfert plein et entier de responsabilités en matière de logement qu’elles seront en mesure d’assumer.

 

[1] L’Indice de bien-être des collectivités : Rapport sur les tendances dans les collectivités des Premières Nations, 1981 à 2011, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2015.

[2] CSPPA, Le logement et l’infrastructure dans les réserves : Recommandations de changements, 2015.

[3] APNQL, Les besoins en logement des Premières Nations au Québec-Labrador, 2014.

[4] SCHL, Conditions de logement des ménages autochtones dirigés par une femme, recherche en action, 2017.

[5] Fiche d’information – Évaluation de 2016 du Programme de logement à l’intérieur des réserves d’AANC, 2017

 

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