Personnes itinérantes : comment se conjugue le droit au logement

Pour sortir durablement les personnes du cercle de l’itinérance et de la pauvreté, le logement social s’impose. La Politique nationale de lutte à l’itinérance est un outil pour y parvenir, mais d’autres solutions sont à considérer.

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Alice Lepetit, organisatrice communautaire
Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)

 

L’itinérance est un déni de droit. Les personnes itinérantes ou à risque de l’être se retrouvent trop souvent dans une situation de précarité extrême, dans laquelle leurs besoins de base ne sont plus comblés et leurs droits fondamentaux niés, bafoués ou impossibles à réaliser. Pour les personnes itinérantes, on pense bien sûr au droit au logement et à l’absence d’un toit stable et sécuritaire. Mais l’itinérance va bien au-delà. L’absence de ressources, l’isolement, la marginalisation, la judiciarisation des personnes viennent souvent avec un déni de leur droit à la citoyenneté, à la dignité, à la santé, à un revenu décent, ou tout simplement le droit d’être présent dans l’espace public.

C’est à partir de ces constats que la Politique nationale de lutte à l’itinérance adoptée en 2014 par Québec, Ensemble pour éviter la rue et en sortir, pose la lutte contre l’itinérance à partir d’une vision basée sur les droits des personnes. Ses cinq axes renvoient aux droits fondamentaux que sont le droit au logement, à la santé, à un revenu décent, à l’éducation et à l’insertion et le droit de cité. Dans cette vision, le droit au logement est intrinsèquement lié aux autres droits fondamentaux et ne peut être considéré isolément. Mais, au-delà de la reconnaissance, comment en faire un droit effectif pour les personnes qui sont parmi les plus marginalisées?

Face à ce défi, la Politique engage la responsabilité collective de la société. Elle reconnaît le pouvoir d’agir des personnes concernées et leur citoyenneté à part entière. Elle reconnaît également que les parcours des personnes sont multiples et témoignent d’une grande diversité de situations à laquelle une réponse unique ne peut être apportée. Enfin, elle nomme la responsabilité de l’État dans les moyens à mettre en place pour développer des politiques sociales en matière de logement, pauvreté, santé ou justice pour apporter des changements structurels, tant pour prévenir l’itinérance que pour permettre aux personnes d’en sortir.

L’itinérance : une diversité de réalités

L’itinérance a différents visages. Elle peut être visible dans la rue mais cette réalité ne doit pas occulter d’autres formes d’itinérance plus invisibles. Certaines personnes font du couchsurfing ou demeurent chez un conjoint violent pour ne pas se retrouver à la rue. D’autres encore habitent des logements insalubres, surpeuplés, non sécuritaires. Les femmes connaissent des situations d’itinérance particulièrement invisibles. L’itinérance touche des jeunes et des personnes aînées, des femmes, des hommes et des personnes transgenres. Les Autochtones sont surreprésentés parmi les personnes en situation d’itinérance notamment en milieu urbain. Les personnes immigrantes sont aussi de plus en plus nombreuses à vivre cette réalité. L’itinérance est encore très présente au centre-ville de Montréal, mais touche également de nombreux quartiers périphériques. Elle existe aussi en dehors des grands centres urbains.

Face à la diversité de ces visages, les solutions à apporter sont multiples. L’accès à un logement accessible, sécuritaire et permanent constitue un élément central de la lutte contre l’itinérance mais il est loin d’être le seul. Et, dans bien des cas, il ne peut suffire à assurer une sortie durable de l’itinérance. Pour prévenir la rue et en sortir, il est nécessaire de travailler pour l’accès des personnes à un toit mais au-delà, à un revenu, à des services de santé, à des espaces dans lesquels elles pourront redévelopper une confiance, des liens sociaux et un sentiment d’appartenance.

Créer des milieux de vie : le logement social avec soutien communautaire

En matière de logement, les solutions à développer sont tout aussi multiples. Plus de 3000 logements sociaux avec soutien communautaire ont été développés à Montréal pour les personnes itinérantes ou à risque de l’être. Des logements transitoires et permanents, des projets mixtes s’adressant à une population itinérante et d’autres s’adressant à des publics plus spécifiques (femmes, jeunes, aîné-e-s, utilisatrices et utilisateurs de drogues, etc.). Tous répondent à des besoins et offrent à leurs locataires un logement adéquat, adapté à leurs réalités.

Le logement social est une formule qui a fait ses preuves, reconnue comme telle par la Politique nationale de lutte à l’itinérance, et ce, tant pour prévenir la rue que pour en sortir. Dans les logements pour personnes itinérantes, des subventions permettent à la quasi-totalité des locataires de payer un loyer équivalent à 25 % de leur revenu. Ce sont des conditions gagnantes pour sortir durablement les personnes du cercle de l’itinérance et de la pauvreté. Le développement du logement social permet également de revitaliser des quartiers et d’offrir aux personnes sans-abri ou à risque de l’être, un logement de qualité, à long terme, une denrée de plus en plus rare sur un marché privé du logement soumis à la spéculation immobilière et à la gentrification.

Le soutien communautaire[1], offert systématiquement dans les logements destinés aux personnes itinérantes, leur permet d’avoir accès, au-delà de quatre murs, à un véritable milieu de vie. Le soutien communautaire constitue une forme d’intervention essentielle qui permet d’organiser des activités telles que des soupers communautaires et des jardins collectifs, de l’accompagnement dans les démarches pour avoir accès à un revenu ou à des services de santé, ou à de la médiation entre locataires lorsque nécessaire. Cette pratique permet aux personnes de briser l’isolement, de développer leur autonomie et responsabilité, d’avoir un ancrage dans leur milieu de vie. Elle permet de redonner aux personnes une chance de retrouver leur citoyenneté pleine et entière, une place dans une société.

Les Habitations de Méta d’Âme, un groupe par et pour les personnes utilisatrices d’opioïdes, en est un bon exemple. L’organisme offre à des personnes fréquentant son centre de jour des studios avec soutien communautaire, toutes ont vécu l’itinérance ou sont à risque de l’être. L’accès à un logement représente pour ces résident-e-s un moyen d’entamer des démarches pour diminuer ou arrêter leur consommation d’opioïdes, ou de s’engager dans un processus d’insertion. Ainsi, leur accès à un logement a des effets directs sur l’accès à des services de santé, à un revenu et la possibilité de retrouver une place dans une société qui les a trop souvent stigmatisés.

Les maisons de chambres offrent des unités en location incluant des services sanitaires de base dont un ou plusieurs sont partagés entre les locataires. Elles sont souvent le dernier rempart pour éviter la rue et parfois un tremplin pour en sortir. C’est pourquoi, le RAPSIM a développé depuis plus de 40 ans des interventions majeures en faveur de la sauvegarde de ce parc résidentiel. Plusieurs ont été préservées et transformées en logement social. Mais de nombreuses maisons de chambres privées ont été transformées en d’autres types de logement ou vendues pour en faire des projets plus lucratifs, entrainant l’éviction des personnes qui y vivent. Des défis importants persistent donc pour en assurer la préservation.

Pour qui… la ville?

Si le droit au logement est reconnu dans la Politique nationale de lutte à l’itinérance, son effectivité demeure tributaire des moyens et budgets qui y sont consacrés par les différents paliers gouvernementaux. La Politique constitue un outil important par la vision qu’elle porte mais le bilan à dresser de sa mise en œuvre demeure mitigé. Comme d’autres politiques publiques, elle fait les frais des mesures d’austérité des dernières années, des coupures à l’aide sociale aux réformes dans le système de santé, en passant par des investissements très insuffisants dans le logement social.

La reconnaissance symbolique d’un droit est importante, mais elle doit s’accompagner de moyens réels pour que les personnes les plus marginalisées puissent véritablement y avoir accès. Lorsque les politiques publiques sont insuffisantes et laissent la place au marché, c’est le droit à la ville qui est remis en question pour de nombreuses personnes. Le droit de vivre dans le quartier qu’elles connaissent, proches des ressources qu’elles fréquentent, d’avoir un espace salubre et sécuritaire, de vivre en toute dignité.

 

[1] Le soutien communautaire en logement social est une pratique d’intervention développée par les groupes communautaires en logement depuis plus de 15 ans et reconnue depuis 2007 par un cadre de référence national – Lien : http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-000980/

 

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