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Pierre-Luc Lupien, professeur de sociologie, Cégep de la Gaspésie et des Îles
Chercheur, Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable (CIRADD).
À l’image de ses paysages, les conditions de recours au droit du logement en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine (GÎM) peuvent varier considérablement d’une localité à l’autre. Ce court article n’a pas pour objectif d’épuiser la question, mais plutôt de partager quelques constats tirés d’entretiens menés auprès d’une quinzaine de personnes ayant vécu ou vivant en situation de précarité résidentielle. Ces entretiens ont été réalisés dans le cadre du volet qualitatif d’une recherche sur la précarité résidentielle en GÎM menée par le CIRADD, avec la collaboration du Centre de recherche de Montréal sur les inégalité sociales et les discriminations (CREMIS), à l’intention du Groupe de ressources techniques en logements collectifs-GÎM. La recherche nous a permis d’approfondir deux principaux types de situations, celle des immeubles à loyers multiples et celle des maisons unifamiliales. Chacune de ces situations résidentielles comporte ses caractéristiques matérielles, sociales et légales et touche des profils de population spécifiques. Les différentes manières de recourir ou non au droit du logement seront ainsi abordées en fonction de ces deux situations.
La première situation de précarité résidentielle est celle des immeubles à logements multiples. Plusieurs de ces immeubles se trouvent dans les centres régionaux de services. Leur état matériel pose des problèmes de salubrité, mais aussi de dangerosité, notamment en ce qui a trait aux risques d’incendie. Les rapports de certains organismes communautaires témoignent de situations alarmantes à ce sujet. Ces immeubles sont susceptibles de regrouper les populations dites « à problèmes » : pauvreté, consommation, troubles mentaux ou violence. Les intervenant-e-s rencontrés emploient le terme de ghettoïsation pour qualifier ce phénomène de ségrégation sociale.
La diversité des profils qui se retrouvent dans ce type de logement ne permet pas de tirer des conclusions générales sur les conditions de recours au droit du logement. Les hommes rencontrés en entretien, pour la plupart, vivent seuls dans ce type d’immeuble ; ils ont exprimé un sentiment d’impuissance et d’injustice à propos de la Régie du logement. « Je n’appelle pas la Régie du logement, parce que je me dis, la Régie du logement, j’ai comme l’impression qu’ils prennent plus pour les propriétaires que pour les locataires. » explique un participant. Certains participant-e-s ont manifesté des craintes de représailles et ont expliqué que le parc locatif appartient à trois propriétaires tout au plus. Un profil de population semble toutefois adopter une attitude plus revendicative par rapport au droit du logement, celui des femmes cheffes de famille monoparentale. Notons que les cinq participantes dont c’est la situation ont des trajectoires similaires : elles se sont retrouvées dans ce type de situation résidentielle dans un contexte de séparation, et pour certaines, dans un climat de violence conjugale. Plusieurs notent qu’elles ont été confrontées à des situations de discrimination dans l’accès au logement en raison de leurs enfants. C’est parmi ce sous-groupe de participantes que le recours au droit du logement semble le plus fréquent. Certaines évoquent leur obligation envers leurs enfants comme principale raison de leur recours : « Je suis toute seule avec deux enfants, je n’ai pas le choix de faire quelque chose » lance une participante dont une des filles s’est retrouvée avec des problèmes respiratoires en raison des mauvaises conditions de son logement. Le recours au droit est alors décrit comme une véritable lutte de tous les instants. Plusieurs font le lien entre leur santé psychologique et les tensions engendrées par leur requête.
Un autre type de situation de précarité résidentielle prend une place importante dans le récit des participant-e-s : les maisons unifamiliales. En GÎM, le taux de propriété est de 75 % (SHQ, 2016). Ce fort taux de propriété ne doit toutefois pas nous amener à conclure à une bonne situation socioéconomique. Ce type de situation se divise en deux sous-catégories : celle, bien entendu, des propriétaires, mais aussi celle des locataires de maison. En ce qui concerne ces derniers, leur profil s’écarte des stéréotypes voulant que ce soit uniquement des personnes en situation de pauvreté qui se retrouvent en position de précarité résidentielle. C’est notamment le cas d’une participante vivant aux Îles, professionnelle dans les services publics, qui, malgré un bon emploi, raconte avoir vécu une période de grande précarité résidentielle. Elle explique qu’elle a dû se résigner à louer des maisons consacrées au tourisme qui ne sont disponibles que 9 mois par année. Avec l’arrivée de l’été et des touristes, elle a failli se retrouver sans domicile. Elle a dû obtenir l’aide d’une travailleuse sociale pour se trouver un logis pour l’été. Au moment de l’entrevue, elle se disait maintenant « l’heureuse locataire d’une maison à l’année ». Il faut aussi préciser que les maisons louées le sont souvent sans bail écrit. Fréquemment, ces maisons sont à vendre, ce qui occasionne de nombreuses visites d’agent-e-s immobiliers et la possibilité qu’une vente écourte la location. Il est difficile d’évaluer la part de ce marché informel qui existe partout dans la GÎM. Pour ce qui est du recours au droit du logement, les participant-e-s dans ce type de situation n’en ont pas fait mention, malgré leurs critiques articulées de la situation.
En ce qui concerne les propriétaires de maison, les situations de précarité résidentielle concernent un autre profil de population, soit les personnes aînées. Bien que propriétaires de leur maison, souvent depuis longtemps, certaines d’entre elles, en raison de leur situation financière à la retraite ou encore d’une perte d’autonomie, parviennent de plus en plus difficilement à assurer les réparations requises pour maintenir leur domicile propre à l’habitation. L’étude a fait ressortir la situation spécifique des femmes aînées qui survivent à leur conjoint. Son décès est non seulement un moment difficile sur le plan émotionnel, mais entraîne aussi une diminution de revenu et de soutien social. Il devient encore plus difficile d’assurer la maintenance du domicile. Certaines participantes ont confié être à la merci des personnes qui proposent de s’occuper des menus travaux. Des situations d’abus ont été rapportées par les intervenant-e-s interviewés. Le constat de leur perte de moyens financiers ou d’autonomie semble avoir des impacts négatifs sur leurs recours à leurs droits et aux services. Elles hésitent à demander de l’aide des services publics et communautaires par crainte que cette demande ne mène à une évaluation négative de leur autonomie et ultimement à la perte du domicile. « Les personnes âgées veulent garder leur maison. Elles se laissent mourir de faim dans leur maison. » confie une intervenante. À la peur de perdre sa maison, d’être placée en hébergement de longue durée, s’ajoute celle d’être déracinée de son milieu d’appartenance en fin de vie.
Plusieurs autres situations de précarité résidentielle restent à documenter, comme c’est le cas du logement marginal (roulottes et camps de chasse) et des situations d’itinérance. Nous nous en sommes tenus à deux situations de précarité qu’il a été possible d’étudier lors du dernier projet de recherche. Chacune de ces situations concerne des profils de populations différents pour qui le recours au droit du logement n’est pas évalué de la même façon. Dans le contexte de la GÎM, en absence d’une association régionale de défense des droits des locataires, il importe de préciser en terminant que ce sont les organismes communautaires qui comblent le vide en sus de leur mission. Cette étude n’aurait pas été possible sans leur soutien.
Lupien, Pierre-Luc. 2016. Entre mer et déboires : Précarité résidentielle en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine à partir du vécu des personnes et de la pratique des intervenants, version avec annexes RPSN 2014038, Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable, Carleton-sur-Mer, 106 p.
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