Par Nicole Filion, le 13 novembre 2014
Je suis tout particulièrement touchée de recevoir ce doctorat honorifique de l’UQAM. En effet, par ce geste, l’UQAM rappelle sa mission en faveur de la démocratisation et l’accessibilité de l’enseignement universitaire. Elle rappelle également que cette mission privilégie le regard critique sur des enjeux sociaux.
Touchée parce que j’y vois également un appel à l’engagement des juristes qui y sont formé-e-s dans la lutte en faveur d’un changement de fond de notre société. En effet, le département de science juridique ne s’est-il pas donné comme priorité la promotion et la défense de la justice sociale, et n’oriente-t-il pas son programme de manière à ce que le droit trouve des réponses aux préoccupations des citoyennes et citoyens et des groupes sociaux d’ici ou d’ailleurs dans le monde ?
C’est ce qui m’a amenée au département des sciences juridiques de l’UQAM, alors que je croyais à l’époque, avoir fait le tour du jardin d’un secteur de la défense des droits, celui des sans emploi. J’étais à ce moment impliquée au Mouvement action chômage de Saint-Hyacinthe et je souhaitais élargir mes horizons militants, me donner une capacité d’intervention plus large.
Les années qui ont suivi la fin de mes études en droit m’ont fait réaliser qu’on ne peut jamais prétendre avoir fait le tour du jardin lorsqu’il s’agit de la défense des droits humains. En effet, ces droits, dont les principaux paramètres sont la liberté, l’égalité et la solidarité, sont actuellement bien loin d’être en voie de réalisation. Et, à ce propos, il y a urgence d’agir dans tous les domaines de la société, qu’ils soient économiques, sociaux et politiques, autant à l’échelle nationale qu’internationale.
Je pense ici aux enjeux environnementaux auxquels la planète est confrontée et qui trouvent écho ici au Québec, du fait des politiques actuelles en matière énergétique et d’exploitation des ressources minières et pétrolières. En plus de ne reposer sur aucun lien rationnel avec les connaissances scientifiques établissant qu’il s’agit d’un très mauvais choix, cet exemple démontre à lui seul combien, ceux et celles qui exercent le pouvoir actuellement le font sans égards aux obligations qu’imposent la recherche du bien commun et le respect de l’ensemble des droits humains.
Il y a également urgence d’agir considérant les enjeux soulevés par les politiques gouvernementales visant la redéfinition du rôle de l’État et l’imposition de mesures dites d’austérité, alors que les obligations de l’État en matière de droits humains commandent plutôt de s’assurer de la disponibilité de ressources suffisantes pour garantir la réalisation des droits tel que l’éducation, la santé, le logement, etc.
La politique étrangère du Canada est également extrêmement préoccupante, ses assises se référant à un univers idéologique conservateur de droite plutôt qu’aux engagements du Canada à l’égard de la communauté internationale. Ces engagements lui imposent plutôt d’œuvrer, comme l’énonce la Déclaration universelle des droits de l’homme, à la mise en place des conditions nécessaires pour favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande, car la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Il faut aussi agir pour lever les obstacles auxquels sont confronté-e-s ceux et celles qui expriment dans l’espace public le rejet de ces politiques. Ces obstacles prennent entre autres la forme d’une criminalisation de la dissidence et de pratiques policières axées sur le profilage politique. Elles s’appuient sur différentes dispositions qui ont tout particulièrement été adoptées pour casser le mouvement étudiant du printemps 2012 et mettre fin aux manifestations populaires d’une ampleur inégalée. Rappelons que plus de 3 500 personnes en ont fait les frais.
Dans ce contexte, comment se servir du droit comme levier d’intervention pour changer l’ordre des choses ?
Le recours au droit à cette fin implique nécessairement de lier la pratique du droit à la réalisation des droits humains et d’établir des liens avec les mouvements et groupes sociaux qui luttent pour une réelle transformation sociale. Le droit peut être un instrument de lutte dans la mesure où nous nous assurons de l’arrimer à des luttes sociales et politiques.
Dans cette perspective, la connaissance et la pratique du droit constituent un levier parmi d’autres certes, mais qui a toute son importance.
Elles permettent d’identifier et de comprendre les rouages de différentes règles de droit qui imposent des obstacles à la réalisation d’un projet de société défini en fonction des droits humains plutôt qu’en fonction des intérêts d’une petite minorité.
Elles permettent d’identifier certaines luttes ou stratégies de résistance judiciaires. Qu’on pense aux récentes interventions judiciaires concernant le projet de port pétrolier à Cacouna, ou encore la stratégie de résistance judiciaire actuellement menée pour défendre les manifestant-e-s arrêté-e-s en vertu de règlements municipaux et pour en contester la constitutionnalité.
Les lieux d’engagements et de pratiques du droit ne manquent pas. Et la communauté juridique ne doit pas non plus négliger la revendication d’outils qui favoriseront cet engagement tel que différentes mesures visant à assurer l’accès à la justice.
Il faut aussi poursuivre les interventions sur la scène internationale et ce, malgré le mépris qu’affichent nos gouvernements à l’endroit des rappels à l’ordre que lui sert la communauté internationale. Ces interventions ont le mérite de confirmer le bien fondé des luttes entreprises par différents acteurs sociaux du Québec.
Il ne s’agit là que de quelques perspectives d’interventions invitant les juristes à répondre à cette urgence d’agir. Le tout repose en fait sur notre détermination et la force de notre engagement. C’est ce qui m’a amené aux Services juridiques de Pointe-Saint-Charles-et-Petite-Bourgogne où j’ai pu lier pratique du droit et revendications sociales.
C’est cette même détermination qui continue de m’animer au sein de la Ligue des droits et libertés qui regroupe toute une communauté de militants et militantes dont l’engagement est lui-même source d’inspiration.
Car, et je terminerais là-dessus, la remise de ce doctorat honorifique ne fait pas que souligner l’engagement d’une militante en faveur des droits humains.
C’est aussi la reconnaissance du rôle incontournable que jouent dans notre société les organisations de défense des droits telle que la Ligue dont le parcours est intimement lié à l’histoire politique et sociale du Québec. Ce doctorat honorifique vient rappeler l’importance des luttes menées et à venir pour assurer la réalisation d’un projet de société défini en fonction des droits humains.