L’asile politique : un déplacement plus qu’essentiel

Les droits à la dignité, à la santé et au logement des personnes refoulées à la frontière entre le Canada et les États-Unis sont en jeu.

Un carnet rédigé par
Deux intervenantes de première ligne auprès des demandeurs d’asile au Québec, militantes de la Ligue des droits et libertés

Le 20 mars, le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé que les demandeurs d’asile arrivant à la frontière terrestre entre les États-Unis et le Canada seront désormais refoulés. Certains organismes et avocat-e-s se sont rapidement prononcés contre cette décision, exposant avec raison les dérives qu’elle représente cette décision. En temps de crise sanitaire où chacun-e reste chez soi et n’a accès à la souffrance de l’autre qu’à travers les médias, nous souhaitons aussi parler des expériences humaines qui résulteront certainement de cette décision. Les droits à la dignité, à la santé et au logement de personnes parmi les plus vulnérables sont en jeu.

Pour comprendre les impacts dévastateurs de cette fermeture, vous devez connaître un peu leurs parcours semés d’obstacles. En tant qu’intervenantes, nous travaillons de très près avec ces personnes seules, ces grandes familles et ces femmes monoparentales, qui ont toutes en commun de fuir le danger et la persécution et ont souvent échappé à la torture ou la mort. Elles arrivent très souvent sans le sou et criblées de dettes à notre porte, ayant dépensé toutes leurs économies pour faire le trajet jusqu’à chez nous, dans l’espoir d’y trouver la paix.

Une migration éprouvante jusqu’au Canada

Certaines personnes s’envolent vers les États-Unis munies d’un quelconque visa, plus facile à obtenir qu’un visa canadien. Elles montent ensuite vers le Canada et le chemin Roxham en autobus et en taxi. D’autres, plus souvent vulnérables, font la grande traversée entre l’Amérique du Sud et le Canada, bien souvent en cherchant en chemin les moyens de payer le prochain transport en autobus vers le nord. En chemin, elles vivent la détention, la faim, le danger et la peur, et bien souvent des agressions sexuelles.

Ces personnes souhaitent passer entre les mailles du géant américain pour venir plaider la persécution vécue devant un commissaire canadien. Plus rapide à offrir une audience, le système canadien reconnait des types de persécution que son voisin américain rejette, notamment la persécution liée au genre. Ces personnes choisissent de passer par  une route « irrégulière » comme Roxham puisqu’en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs – que la Ligue des droits et libertés  condamne- elles seraient refoulées aux États-Unis si elles se présentaient à un poste frontalier régulier. Dans les derniers mois, une cinquantaine de personnes par jour franchissaient ainsi la frontière.

Dès leur arrivée au Canada, elles sont arrêtées et conduites auprès des autorités, où elles peuvent débuter leurs démarches légales de demande d’asile. Les services d’urgences de la Croix-Rouge sont également présents afin d’apporter les premiers soins à celles ayant des problèmes de santé. Depuis le début de la pandémie, ces services avaient mis en place une quarantaine pour les personnes rencontrant des symptômes de la COVIC-19 et s’assuraient que toutes soient traitées afin que la maladie ne se propage pas. Ensuite, les personnes qui n’ont ni famille ni ressources au Québec, sont emmenées en autobus vers des refuges ou elles pourront rester quelques semaines et entamer leurs démarches d’intégration, telles que l’obtention de leur permis de travail et la recherche d’un logement.

La fermeture de la  frontière canadienne : des milliers de personnes à la rue?

Dès le 21 mars, des milliers ou des dizaines de milliers de ces migrant-e-s en transit vers le Nord seront ainsi bloqué-e-s à toutes les frontières, souvent dans des camps de fortune. Mais attardons-nous à ce sur quoi nous avons du pouvoir, notre propre frontière. Attardons-nous sur le sort qui leur sera réservé à quelques centaines de kilomètres à peine de notre quarantaine qui, pour certain-e-s, est somme toute douillette.

Les rumeurs courent vite parmi les personnes demandeuses d’asile. Celles qui auront entendu parler de la fermeture de la frontière vont essayer de rester chez des ami-e-s, des connaissances ou dans les refuges pour sans-abri aux États-Unis. Bien d’autres, les plus vulnérables, analphabètes, unilingues, ou déconnectées des médias monteront certainement vers le nord sans être mis au courant.  En plus du risque élevé de détention lors du refoulement, notre grande inquiétude est la capacité et la volonté des autorités américaines de prendre soin de ces personnes refoulées, mais remises en liberté.

Le Québec a, depuis de nombreuses années, mis en place un système d’hébergement qui, bien qu’imparfait et très temporaire, assure un lit et trois repas par jour à Montréal à tout demandeur d’asile sans ressource qui vient d’arriver au pays. Ce n’est pas du tout le cas aux États-Unis : si les refuges sont pleins, le demandeur d’asile dormira à la station d’autobus ou au McDonald. Ironie du sort : ces endroits sont maintenant fermés et les refuges semblent pleins. Par exemple, le refuge Vive[1], qui accueille de nombreux demandeurs d’asile à Buffalo avant la route vers le Nord, ne prend aucun nouveau résident avant le 5 avril. Devant ce scénario inédit, nous pensons qu’un grand nombre de personnes qui souhaitaient venir demander l’asile au Canada cherchent présentement un toit où s’abriter aux États-Unis. Où sont-elles, surtout les plus vulnérables d’entre elles?

Santé mise en danger

Certains de ces demandeurs d’asile qui venaient vers nous se trouvent sans statut légal aux États-Unis. D’autres ont un visa temporaire de travail ou de tourisme, qui arrive à échéance rapidement. Depuis avril 2019, demander l’asile aux États-Unis entraîne l’impossibilité de le faire au Canada[2], et nous pensons que la plupart des personnes en chemin vers le Canada tenteront de se débrouiller aux États-Unis sans y demander l’asile, en attendant la ré-ouverture de la frontière. Sans statut, elles vivront avec une peur constante d’être arrêtées et déportées, puisqu’ICE (United states immigration and customs enforcement) continue les contrôles et les arrestations malgré la crise[3].

Il est déjà reconnu et démontré que les migrant-e-s sous-utilisent les soins de santé qui leur sont accessibles depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et ses politiques hautement répressives[4]. Les migrant-e-s, et surtout les personnes sans statut, fuient autant les forces de l’ordre que toute institution qui pourrait les identifier. 45% des personnes sans statut n’ont aucune couverture médicale aux États-Unis2, et évidemment toutes celles qui viennent d’arriver n’en ont pas.

De plus, de nombreux acteurs du milieu assurent qu’il est possible que la COVID-19 affecte particulièrement ces communautés, qui vivent bien souvent dans des milieux de vie hautement peuplés où la mise en œuvre de la distanciation sociale et de l’isolement est presque impossible. Le droit à la santé de ces personnes refoulées nous semble donc gravement en péril. Nous nous questionnons également sur la possibilité que plusieurs personnes cherchent à emprunter des chemins moins fréquentés pour passer notre frontière. Comment pourra-t-on s’assurer de leur état de santé, sans la Croix-Rouge sur place et sans quarantaine obligatoire en ces temps de crise?

Réouverture de la frontière

Depuis le 21 mars, comme intervenantes, nous ne pouvons qu’imaginer ce qui arrive à ces personnes coincées ou refoulées chez notre voisin. Nous les connaissons, nous avons écouté leurs souffrances vécues au pays d’origine, mais aussi aux États-Unis, où règnent plus de discrimination et un manque de services flagrant. Nous n’appuyons pas du tout la décision de notre gouvernement, qui va à l’encontre du droit à la dignité, à la santé, à la paix, et à la sécurité.  Nos politiques face aux groupes les plus vulnérables de notre société en temps de crise est un baromètre de notre humanité collective. Nous exigeons la ré-ouverture de notre frontière, maintenant. Si elle demeure ouverte aux voyages essentiels, qui ose prétendre que demander l’asile et la protection contre la persécution n’est pas un voyage essentiel?


[1] https://www.jrchc.org/vive/

[2] https://nationalpost.com/pmn/news-pmn/canada-news-pmn/trudeau-defends-changes-to-asylum-laws-that-have-refugee-workers-alarmed

[3] https://www.nytimes.com/2020/03/18/us/coronavirus-immigrants.html

[4] https://www.politico.com/news/2020/03/17/trump-immigration-coronavirus-134112


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.