Commentaires sur la légalité des fouilles à nu d’élèves par les autorités scolaires

Si, selon l’arrêt M.,une norme plus souple est applicable aux autorités scolaires pour les fouilles sommaires par palpation des élèves ou les fouilles de leurs effets personnels, il n’existe pas de norme différente dans les cas de fouilles à nu des élèves. À ce jour, aucun tribunal canadien n’a autorisé les directions d’école à fouiller à nu une adolescente.

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Lucie Lemonde, professeure
Département des sciences juridiques, UQÀM

Le droit de ne pas être soumis à des fouilles abusives est un droit fondamental garanti à l’article 8 de la charte canadienne et à l’article 24.1 de la charte québécoise[1]. Ce droit est garanti tant aux adultes qu’aux enfants. Comme l’écrit le juge Lebel, « les élèves ne méritent pas moins que les adultes de bénéficier d’une protection constitutionnelle, malgré leur âge, leur vulnérabilité et leur présence dans un milieu scolaire » [2].

Les droits des citoyens concernant le respect de leur vie privée, surtout à l’égard de leur corps, de leur domicile et de leurs effets personnels, sont protégés contre toute ingérence abusive de l’État. C’est pourquoi, règle générale, un mandat émanant d’un arbitre neutre et fondé sur des motifs raisonnables et probables, établis sous serment, de croire qu’une infraction a été commise, est exigé avant de pouvoir procéder à une fouille[3].

La Cour suprême a toutefois reconnu que ces exigences ne s’appliquaient pas avec la même rigueur dans toutes les situations. Par exemple, l’obtention d’une autorisation préalable n’est pas exigée pour les fouilles aux douanes où l’expectative de vie privée est moindre puisque les voyageurs s’attendent à faire l’objet d’une fouille. Dans ce contexte, l’interrogatoire de routine, l’examen des bagages, la fouille par palpation et la nécessité de retirer en privé suffisamment de vêtements pour permettre l’examen des renflements corporels suspects ne sont pas abusifs au sens de l’art. 8[4].

Dans l’affaire R. c. M. (M.R.)[5], la Cour suprême a également jugé qu’une norme plus souple devait s’appliquer pour les fouilles superficielles d’un élève par les autorités scolaires. Selon la Cour, l’élève à l’école s’attend subjectivement à ce que sa vie privée, à tout le moins en ce qui concerne son corps, soit respectée et il n’y a aucune raison que cette attente n’existe plus du seul fait que l’élève se trouve à l’école[6]. Cependant, si elle existe, cette attente raisonnable au respect de sa vie privée est moindre dans l’environnement scolaire. Les élèves savent qu’ils peuvent parfois faire l’objet, eux ou leurs effets personnels, d’une fouille pour saisir les objets interdits comme de la drogue ou une arme[7].

La Cour est d’avis qu’étant donné que les autorités scolaires et les enseignant-e-s ont l’obligation de fournir un climat propice à l’apprentissage et exempt de drogues ou d’armes, ils doivent pouvoir agir rapidement. Exiger un mandat ou une autre autorisation préalable à une fouille sommaire serait clairement irréalisable dans l’environnement scolaire. Il faut une attitude plus souple que pour les fouilles effectuées par la police.

La Cour met toutefois des balises à l’exercice du pouvoir de fouille des autorités scolaires et cite avec approbation l’affaire Jersey c. T.L.O.[8], de la Cour suprême américaine, à l’effet que, pour être acceptable, une fouille ne doit pas être trop envahissantes et doit être adaptée en fonction de l’âge et du sexe de l’élève et de la nature de l’infraction.

En résumé, donc, les enseignements de R. c. M. (M.R.), sont les suivants :

  • Il n’est pas essentiel d’avoir un mandat pour fouiller sommairement un élève;
  • L’autorité scolaire doit avoir des motifs raisonnables de croire à un manquement à la discipline de l’école;
  • La fouille doit être effectuée de manière raisonnable et être autorisée par une disposition législative qui est elle-même raisonnable[9];
  • La fouille exécutée par les autorités scolaires doit être elle-même raisonnable et appropriée eu égard aux circonstances et à la nature du manquement dont on soupçonne l’existence;
  • Chaque fouille doit être effectuée de façon aussi délicate que possible et tenir compte de l’âge et du sexe de l’élève.

Dix ans plus tard, la Cour suprême a rendu une autre décision sur la constitutionnalité d’une fouille en milieu scolaire. Dans l’affaire R. c. A.M, le directeur, sans motif spécifique de croire à la présence de drogue dans son école, avait invité les policiers à venir inspecter les lieux avec des chiens renifleurs. Les policiers ont trouvé de la drogue dans le sac à dos d’un élève. La fouille a été jugée abusive et la preuve a été écartée en vertu de l’article 24(2) de la Charte.

Cette affaire est moins pertinente dans la mesure où elle concerne les pouvoirs de fouille des policiers et non ceux des autorités scolaires. Elle demeure intéressante cependant sur l’étendue du droit à la vie privée des élèves à l’école.

D’entrée de jeu, la Cour déclare de façon non ambiguë que la vie privée des élèves doit être protégée, même en milieu scolaire. Le juge LeBel écrit : « Le fait d’entrer dans la cour d’une école n’équivaut pas à traverser la frontière d’un État étranger. Les élèves doivent pouvoir aller à l’école sans intervention injustifiée de l’État, mais sous réserve, toujours, de la discipline scolaire normale[10]. » La Cour précise aussi que, quand il s’agit de fouilles dans le cadre scolaire, il faut tenir compte de ses effets sur l’ensemble des élèves, tels la gêne et l’embarras[11].

Un élève a une grande expectative de vie privée à l’égard de son sac à dos qui, tout comme les serviettes, les sacs à main et les valises, contient de nombreux effets personnels. La Cour ajoute : « Certes, les adolescents ne s’attendent pas vraiment à ce que leur vie privée échappe aux regards attentifs et aux fouilles de leurs parents, mais j’estime qu’il est évident qu’ils s’attendent à ce que la police ne puisse pas, en se fondant sur des conjectures, procéder au hasard à l’examen du contenu de leurs sacs à dos. Il s’agit d’une attente raisonnable à laquelle la société devrait être favorable[12]. »

Et la Cour conclut que les élèves n’ont pas renoncé à leur attente au respect de la vie privée en laissant leurs sacs à dos dans le gymnase.

Dans une affaire récente, la Cour d’appel du Québec a décidé que la déclaration incriminante faite par une élève de treize ans en larmes au directeur de son école était une déclaration faite à une « personne en autorité » au sens de l’article 146 de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents[13]. En conséquence, la déclaration n’est pas admissible puisqu’elle ne répond pas aux exigences de la loi, soit qu’on ne lui a pas expliqué qu’elle n’était pas obligée de parler, que tout ce qu’elle dirait pourrait être retenu contre elle et qu’elle avait le droit de consulter un avocat. Il est possible de conclure de cette décision de la Cour d’appel que les directions d’école ont l’obligation de respecter les garanties procédurales et les principes de justice fondamentale dans leurs actions répressives à l’égard des élèves.

Si dans R. c. M. (M.R.), la Cour a dit que l’attente raisonnable en matière de vie privée d’un élève à l’école était moindre que dans d’autres circonstances, le juge Cory a pris la peine de souligner que « les écoles ont l’obligation d’inculquer à leurs élèves le respect des droits constitutionnels de tous les membres de la société » et que « l’apprentissage du respect de ces droits est essentiel à notre société démocratique et devrait faire partie de l’éducation de tous les élèves. C’est par l’exemple que ces valeurs se transmettent le mieux, et elles peuvent être minées si les personnes en autorité font fi des droits des élèves »[14].

Il n’est pas inutile de rappeler ici les obligations internationales du Canada et du Québec à ce sujet. Le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant[15] qui garantit le droit à la vie privée des enfants (article 16) ainsi que le droit de tout enfant suspecté d’infraction à un traitement de nature à favoriser son sens de la dignité, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui et qui tienne compte de son âge (article 40).

Il ne faut pas oublier que la décision de R. c. M. (M.R.) a été rendue dans le cadre d’une fouille peu intrusive et peu humiliante. Le directeur d’une école secondaire, qui avait des motifs de croire qu’un élève allait apporter de la drogue à une activité parascolaire, lui a demandé de vider ses poches et de relever son bord de pantalon. Le directeur a retiré un sac contenant de la marijuana de sa chaussette, puis a fouillé son casier sans succès. Ce type de fouille n’a rien à voir avec une fouille à nu d’une adolescente et avec une inspection de ses sous-vêtements.

Dans l’affaire R. c. Golden, la Cour suprême a retenu la définition suivante de la fouille à nu : « action d’enlever ou de déplacer en totalité ou en partie les vêtements d’une personne afin de permettre l’inspection visuelle de ses parties intimes, à savoir ses organes génitaux externes, ses fesses, ses seins (dans le cas d’une femme) ou ses sous-vêtements[16] ». La Cour qualifie la fouille à nu d’atteinte importante à la vie privée et d’expérience « humiliante, avilissante et traumatisante[17] ». Elle s’exprime ainsi: « Les qualificatifs employés par les personnes pour décrire l’expérience qu’elles ont vécue lorsqu’elles ont été ainsi fouillées donnent une idée de la façon dont une fouille à nu, même lorsqu’elle est effectuée de façon raisonnable et non abusive, peut affliger les personnes détenues : “humiliant”, “dégradant”, “avilissant”, “bouleversant” et “dévastateur”. Certains commentateurs vont jusqu’à parler de [traduction] “viol visuel” pour décrire les fouilles à nu. Les femmes et les minorités en particulier peuvent éprouver une véritable crainte des fouilles à nu et vivre de telles fouilles comme une expérience équivalant à une agression sexuelle. Sur le plan psychologique, les fouilles à nu peuvent être particulièrement traumatisantes pour les personnes qui ont déjà subi des agressions[18]

En 2010, la Cour a répété que « les fouilles à nu sont fondamentalement humiliantes et constituent de ce fait une atteinte importante aux intérêts intangibles de la personne, peu importe la manière dont elles sont effectuées[19] ».

C’est pourquoi, mis à part la fouille incidente à une arrestation légale, une fouille à nu effectuée sans un mandat est jugée illégale et abusive. Si, selon l’arrêt M. (M.R.), une norme plus souple est applicable aux autorités scolaires pour les fouilles sommaires par palpation des élèves ou les fouilles de leurs effets personnels, il n’existe pas de norme différente dans les cas de fouilles à nu des élèves, à cause du caractère intrinsèquement intrusif, envahissant et humiliant des fouilles à nu. À ce jour, aucun tribunal canadien n’a autorisé les directions d’école à fouiller à nu une adolescente[20].

 

Bibliographie

[1] Les deux chartes s’appliquent aux autorités scolaires, l’école étant une branche du gouvernement : Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; R. c. J.M.G. (1986), 56 O.R. (2d) 705; R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393.

[2] R. c. A.M., 2008 CSC 19, para 35.

[3] Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.

[4] R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, para 52 et 53.

[5] R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393.

[6] Id., para 32.

[7] Id., para 33.

[8] 469 U.S. 325 (1985), p 343.

[9] Au para 51, la Cour explique que, même si la loi ne mentionne pas explicitement le pouvoir de fouiller, ce pouvoir est implicite dans le devoir d’assurer la sécurité. C’est le cas de la Loi sur l’instruction publique, L.R.Q. c. I-13.3, Voir LSJPA — 1020, 2010 QCCQ 4749.

[10] R. c. A.M., 2008 CSC 19, para 1.

[11] Id, para 36.

[12] Id, para 63.

[13] R. c A, M., CAQ, No 200-08-000162-148, 27 novembre 2014.

[14] R. c. M. (M.R.), précitée note 1, para 3.

[15] R.T. Can. 1992 no 3.

[16] R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679, 2001 CSC 83 para 47.

[17] Id, para 83.

[18] Id., para 90.

[19] Ville de Vancouver c. Ward, 2010 CSC 72, para 71. En conséquence, si la fouille à nu est contraire à l’article 8 de la charte canadienne, cela donne ouverture à l’octroi de dommages-intérêts en vertu de l’article 24(1) de cette même charte.

[20] Voir les commentaires de Me Véronique Robert, Le droit au silence, Fouille à nu, viol visuel

 

 

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