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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Mathieu Francoeur,
coordonnateur, Mouvement PHAS (Personnes handicapées pour l’accès aux services)
Le mouvement québécois de défense des droits des personnes handicapées et de leurs proches est né dans les années 1970, dans la foulée des mobilisations d’autres groupes opprimés et discriminés. Bien qu’encore jeune, il a rapidement pris son essor et a obtenu plusieurs gains importants dès la fin de la décennie, qui se sont poursuivis dans les années 1980 et 1990. Mais depuis les années 2000 et à l’image de l’ensemble du milieu communautaire et autres mouvements sociaux, il a perdu de sa force, affaibli à la fois par les politiques néolibérales des gouvernements successifs et par un essoufflement du militantisme.
On ne parlait même pas de discrimination ou d’exclusion, mais de ségrégation. À l’époque, les étiquettes d’infirmes, de débiles et même de fous étaient courantes. La seule présence de ces personnes dans l’espace public était un enjeu de taille. La sensibilisation et la promotion des droits prenaient forme. Les choses se sont heureusement améliorées et on parle aujourd’hui de personnes avec un handicap physique, intellectuel ou un trouble du spectre de l’autisme (qui était un mystère à l’époque).
Des avancées pour les droits
Dans les décennies suivantes, diverses lois et politiques ont été obtenues de haute lutte par les associations et groupes de défense des droits qui inscrivaient leur lutte à l’intérieur d’un mouvement international. Par exemple, 1981 a été proclamée l’Année internationale pour les personnes handicapées par l’ONU. Aux États-Unis, l’Americans with Disabilities Act a été promulguée en 1990. Ici, l’État québécois a dû reconnaître certains droits et a mis en place des services et programmes adaptés qui répondaient en partie aux besoins des personnes handicapées. Une avancée importante a été la publication de la Politique À parts…égales en 1984. Après une longue et difficile désinstitutionnalisation, les personnes handicapées ont finalement été visibles aux yeux de l’ensemble de la population. La notion d’égalité des droits était à l’ordre du jour tout comme la marche vers l’intégration, la participation sociale, l’inclusion ou l’autonomisation – les termes ont évolué avec le temps!
Les personnes en situation de handicap et leurs familles partaient de très loin dans les années 1960 afin de sortir de l’isolement, de l’ignorance et du mépris.
Les enjeux étaient multiples : transport, éducation, emploi, hébergement et soutien à domicile, adaptation/réadaptation, etc. Tout était à faire! Certains services et programmes se sont développés mieux que d’autres. En parallèle, le milieu associatif des personnes handicapées se renforçait : groupes de base, regroupements régionaux et nationaux se sont multipliés.
Puis des reculs
L’évolution de l’exercice des droits a connu un ralentissement progressif à partir du début des années 2000, particulièrement pour ceux tributaires des services publics comme l’éducation et la santé et les services sociaux. Les diverses politiques de compressions et de privatisation ont stoppé le développement de services en cours et ont fait reculer ceux déjà existants.
De la mobilisation au lobbying
Dans ce contexte, la mobilisation que l’on avait connue depuis les débuts du mouvement a laissé de plus en plus place au lobbying, particulièrement de la part des regroupements régionaux et nationaux. Les manifestations et autres types d’actions ont été de plus en plus remplacés par des comités consultatifs, la rédaction de mémoires et la participation à des commissions parlementaires, ce qui a notamment eu pour conséquence de diminuer le rayonnement public et médiatique des enjeux et revendications des personnes handicapées et de leurs proches.
Démobilisation des groupes de base
Évidemment, pour certains dossiers plus locaux et spécifiques, comme l’accessibilité universelle ou le transport adapté au niveau municipal, la concertation avec les élu-e-s et les fonctionnaires peut être utile comme outil de sensibilisation et pour l’obtention de certains gains particuliers et à court terme. Mais sur le plan des grands dossiers nationaux (santé et services sociaux, éducation, emploi), cette stratégie s’est soldée par un échec, entraînant entre autres la démobilisation des groupes de base et leurs membres, qui se sont de plus en plus tournés vers la prestation de services tout en délaissant la défense collective des droits.
Renouveau de la mobilisation
Depuis les années 2010, en partie grâce aux nouvelles technologies de communication, on assiste à un retour d’une certaine forme de mobilisation parmi les groupes communautaires, mais, surtout, chez de nouveaux groupes citoyens et militants qui ont des revendications spécifiques : un meilleur soutien financier aux familles, une accessibilité accrue au métro de Montréal, des services de soutien à domicile plus souples et généreux, etc. Par exemple, des parents se sont réunis à travers des groupes sur Facebook pour partager leur réalité et organiser des campagnes de sensibilisation et de pression sur les élu-e-s. Certains autres font la promotion de nouveaux modèles de services d’hébergement plus ou moins privés en dehors du réseau public, tandis que d’autres adoptent une approche plus théorique, par exemple en développant le concept de capacitisme, ou encore juridique, en revendiquant des lois plus contraignantes ou en intentant des poursuites contre les autorités publiques pour non-respect des lois existantes.
Les organismes communautaires du milieu se sont fait imposer des partenariats et une concertation avec les ministères et autres organismes publics, et se sont retrouvés à essayer de minimiser les pertes causées par le désengagement de l’État.
La diversité des approches et des moyens d’action est une bonne nouvelle pour le mouvement, surtout parce qu’elle révèle une prise de conscience, un ras-le-bol du statu quo et des reculs successifs ainsi qu’un désir de (re)passer à l’action. De plus, ce renouveau de la mobilisation force les groupes communautaires établis à remettre en question leurs pratiques. D’un autre côté, on assiste à un éclatement des luttes qui fragilise la cohésion du milieu et qui ne contribue pas à consolider son rapport de force face à l’État, déjà malmené depuis longtemps…
Bien qu’elles constituent la plus importante minorité au Québec et au Canada en nombre (selon les chiffres de 2017 de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ), on parle de 16 % de personnes avec incapacité au Québec), les personnes handicapées et leurs réalités restent relativement invisibles aux yeux de la population et des décideurs. Cette situation entrave l’avancement de la lutte pour l’égalité et la pleine reconnaissance des droits. Nous devons donc (re)mobiliser notre mouvement et redoubler d’efforts pour solidifier nos alliances avec nos nombreux allié-e-s actuel-le-s et potentiel-le-s.
Continuons à aller plus loin ensemble!, documentaire du Mouvement PHAS et de Funambules Médias, 2018.