Contribution : Pour un rejet du paradigme du «terrorisme»

La Ligue des droits et libertés et la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles considèrent qu’il est vain et non nécessaire de tenter de proposer une définition du « terrorisme » qui pourrait être universellement reconnue en droit international. Les deux organisations appellent au rejet du paradigme du « terrorisme » qui est une source majeure de violations de droits humains à travers le monde.

Appel à contributions : définitions des termes « terrorisme », « organisation terroriste » et « extrémisme violent »

Pour un rejet du paradigme du « terrorisme »

Contribution présentée par la Ligue des droits et libertés et la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

CONTRIBUTION – PDF

Au rapporteur spécial sur les droits de l’homme et la lutte antiterroriste

1er décembre 2025


Table des matières

Présentation de la Ligue des droits et libertés

Présentation de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

1. Rejeter le paradigme du « terrorisme » en droit international

Un exercice vain

Un exercice non nécessaire

2. Canada: une Loi antiterroriste dangereuse et instrumentalisée

Une législation inutile

Une législation dangereuse

La liste canadienne des entités terroristes : carte blanche à l’arbitraire

Projet de loi C-9 : nouveau recul des droits s’appuyant sur la liste des entités terroristes

3. Une dérive observable mondialement, sous prétexte de lutte au terrorisme

Conclusion

 

Présentation de la Ligue des droits et libertés

La Ligue des droits et libertés (LDL) est une organisation indépendante, non partisane et sans but lucratif basée au Québec, Canada, qui vise à défendre et à promouvoir les droits humains en mettant de l’avant leur universalité, leur indivisibilité et leur interdépendance. Depuis sa création en 1963, la LDL a influencé plusieurs politiques gouvernementales et projets de loi en plus de contribuer à la création d’instruments et d’institutions voués à la défense et la promotion des droits humains, tels que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Elle intervient régulièrement dans l’espace public pour porter des revendications et dénoncer des violations de droits humains auprès des instances gouvernementales sur la scène locale, nationale ou internationale. La LDL est également membre de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC). Pour en savoir plus, visitez liguedesdroits.ca

Présentation de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) est une coalition nationale d’organisations de la société civile canadienne qui a été créée suite à l’adoption précipitée de la Loi antiterroriste de 2001. La coalition regroupe 45 ONG, syndicats, associations professionnelles, groupes confessionnels, organisations environnementales, de protection des droits humains et des libertés civiles, ainsi que des groupes représentant des communautés immigrantes et réfugiées au Canada. Le mandat de la CSILC est de défendre les libertés civiles et les droits de la personne dans le contexte de la soi-disant “guerre au terrorisme”. Pour en savoir plus, visitez iclmg.ca/fr

 

1. Rejeter le paradigme du « terrorisme » en droit international

À l’automne 2025, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et la lutte antiterroriste a lancé un appel à contributions visant à « identifier un modèle de définition internationale du terrorisme conforme au droit international, y compris le droit international des droits humains, le droit international humanitaire et le droit international des réfugiés »[1]. Le Rapporteur spécial formule dix questions détaillées auxquelles les intervenant·es sont invité·es à répondre afin d’établir les balises d’une telle définition.

La « lutte contre le terrorisme » et la multiplication des définitions du terme « terrorisme » sont une cause majeure de violations des droits humains ainsi que du droit international à travers le monde[2]. La Ligue des droits et libertés et la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC), deux organisations de défense des droits humains basées au Canada, soumettent qu’il est non seulement vain de tenter de proposer une définition du « terrorisme » qui pourrait être universellement reconnue en droit international, mais que cet exercice n’est pas nécessaire, car le terme « terrorisme » n’est pas une notion nécessaire et essentielle en droit international.

Un exercice vain

D’une part, cet exercice serait vain, en raison de la politisation et de l’instrumentalisation du terme « terrorisme » à des fins d’intérêts géopolitiques par les États. Cela n’est pas étranger au fait que les travaux et les négociations sur le projet d’une convention générale contre le terrorisme international n’ont pas abouti depuis 2001.

Alors que jusqu’à la fin du 19e siècle, le terme « terrorisme » désignait les actes de violence d’un gouvernement contre sa propre population (« terrorisme d’État » ou « terrorisme parrainé par l’État »), son sens a subi une transformation de sorte que son sens dominant « se situe à l’antipode de ses racines ». Il est associé principalement à l’action d’acteurs non étatiques[3],  incluant souvent des mouvements de libération nationale et de décolonisation.

Le désaccord entre les États repose en partie sur le cadre d’application d’une éventuelle définition du terme « terrorisme », dépendamment de ce qui sert les États. D’un côté, des États occidentaux coloniaux souhaitent exclure de la définition les actes de violence commis par les États ainsi que les contextes de conflits armés. De l’autre, certains États du Sud global, dont d’anciens États colonisés, souhaitent exclure les organisations de libération nationale. Cela reviendrait à ne pas appliquer la notion aux mêmes acteurs, ce qui est problématique pour un concept juridique, qui plus est un concept de droit pénal. Ce désaccord illustre bien à quel point le terrorisme est devenu un terme péjoratif avec une forte dimension politique.

Mentionnons également que sur le plan politique, le terme « terrorisme » est souvent utilisé par des gouvernements pour discréditer des groupes et mouvements contestataires, sans égard à la nature de leurs actions.

Un exercice non nécessaire

D’autre part, cet exercice ne nous apparait pas nécessaire, car le terme « terrorisme » n’est pas essentiel et nécessaire en droit international. En effet, tel que le démontre la professeure de droit international de l’Université du Québec en Outaouais Camille Marquis Bissonnette : « [L]e terme « terrorisme » n’est pas essentiel au paysage juridique international en ce qu’il comprend des phénomènes et des crimes qui sont tous englobés par d’autres termes juridiques existants[4] ». Nous distinguons à cet égard les actes commis en « temps de conflit armé » et ceux commis en « temps de paix » :

En temps de conflit armé, par exemple, ce qui est couramment désigné par les médias ou les États comme du terrorisme est généralement couvert par d’autres qualifications du droit international humanitaire, qui peuvent qui plus est constituer des crimes de guerre : prise d’otages, attaque indiscriminée, attaque contre la population civile, attaque contre des biens culturels, usage de boucliers humains, etc. […]

En temps de paix, par ailleurs, les actes désignés comme terroristes sont déjà criminalisés en droit commun sous d’autres noms : meurtre, enlèvement, détournement de moyens de transport, trahison, destruction de propriété, atteinte aux agents de l’État, etc.[5]

C’est également un constat établi par le Comité international de la Croix-Rouge[6] :

Qualifier de « terroristes » des actes de violence visant délibérément des civils ou des biens de caractère civil dans une situation de conflit armé n’a guère de sens en termes juridiques, puisque ces actes constituent déjà de graves violations du DIH [droit international humanitaire]. […]

Comme le DIH n’est applicable qu’en cas de conflit armé, il ne réglemente pas les actes terroristes perpétrés en temps de paix. Ces actes sont cependant soumis au droit, c’est-à-dire à la législation nationale et au droit international, en particulier le droit relatif aux droits de l’homme.

Enfin, et tel que le documentent de nombreux rapports du Rapporteur spécial, les multiples législations nationales relatives au « terrorisme » à travers le monde sont une source importante de violations des droits humains et du droit international.

Pour ces raisons, nous soumettons qu’il est souhaitable d’orienter nos efforts collectifs vers un rejet du paradigme du « terrorisme » en droit international.

2. Canada: une Loi antiterroriste dangereuse et instrumentalisée

La Loi antiterroriste a fait l’objet de vives critiques de la société civile depuis 2001. De nombreuses organisations, dont les nôtres, se sont opposées à son adoption et ont demandé son abrogation à plusieurs occasions. Cette loi, adoptée dans la précipitation en décembre 2001, a modifié une vingtaine de lois, principalement le Code criminel, la Loi sur la preuve et la Loi sur les secrets officiels. Il s’agit d’une législation inutile et dangereuse pour les droits humains.

Une législation inutile

Elle est d’une part inutile, car le Code criminel et la législation canadienne contiennent amplement de dispositions permettant aux forces policières d’intervenir. À cet égard, l’Association du Barreau canadien a compilé en 2001 une longue liste de lois en vigueur permettant déjà de faire face à des actes pouvant relever du « terrorisme »[7].

Il convient de mentionner que l’auteur de la tuerie de masse islamophobe la plus importante survenue au Canada depuis 2001 a été poursuivi et accusé en vertu de dispositions du Code criminel n’ayant pas trait au terrorisme, soit meurtre avec préméditation et tentatives de meurtre. L’événement a eu lieu le 29 janvier 2017, lorsqu’un jeune homme blanc se rend au Centre culturel islamique de Québec, à l’heure de la prière, et décharge son arme sur les personnes présentes. Il tue 6 hommes musulmans et en blesse 19 autres. Cet attentat islamophobe n’a pas été traité comme un acte terroriste, bien qu’il ait été motivé par une haine antimusulmane. Plusieurs ont critiqué le traitement différencié dans la désignation des crimes violents, soulignant que si le meurtrier avait été musulman, des accusations en vertu de la législation sur le terrorisme auraient certainement été déposées, illustrant à nouveau le caractère arbitraire du concept de « terrorisme ».

Une législation dangereuse

La Loi antiterroriste est d’autre part dangereuse pour la protection des droits humains. Au nom de la « lutte contre la terreur », elle nie ou affaiblit considérablement la protection de plusieurs droits et libertés au fondement d’une société libre et démocratique. Tel que nos organisations en font état dans plusieurs mémoires au sujet de cette législation, il s’agit notamment de la présomption d’innocence; du droit à la vie privée et à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, entre autres intrusions; du droit de ne pas être importuné, interrogé, arrêté et détenu sur la base d’un simple soupçon ou d’un profilage racial, religieux ou ethnique; du droit à un procès public, juste et équitable, et du droit d’appel; du droit à une défense pleine et entière; du droit d’être protégé contre l’emprisonnement arbitraire et la torture; du droit au cautionnement en attendant son procès et de faire contrôler la légalité de son incarcération par habeas corpus; du droit d’asile; du droit à l’information et à la liberté de la presse; de la liberté d’expression, dont le droit de manifester publiquement et collectivement[8].

Également, dans le domaine de l’immigration et de la protection des personnes réfugiées, un mécanisme particulièrement préoccupant consiste à déclarer interdit de territoire, sur la base de « motifs raisonnables de croire », toute personne non citoyenne présumée appartenir à une organisation ayant commis des actes « terroristes »[9]. Fréquemment utilisé contre des personnes demandeuses d’asile, ce mécanisme entraîne leur déportation sans examen de la demande d’asile, y compris vers des situations où elles courent un risque réel de persécution, de torture ou même de mort, alors qu’aucune participation personnelle à des actes de violence n’a à être démontrée. De nombreuses personnes érythréennes ont ainsi été déclarées interdites de territoire au Canada pour le seul motif d’avoir, d’une manière ou d’une autre, soutenu la libération de l’Érythrée, y compris par des activités purement civiles et non violentes[10]. Cela illustre comment la notion de « terrorisme » sert à contourner les garanties du droit des personnes réfugiées et justifier l’exclusion de personnes en quête de protection.

La liste canadienne des entités terroristes : carte blanche à l’arbitraire

Nos organisations dénoncent également la liste canadienne des entités terroristes[11] et en demandent l’abolition. Alors qu’elle est présentée comme un outil destiné à protéger la sécurité des personnes au Canada et dans le monde, dans les faits, elle constitue plutôt une liste opaque et arbitraire qui porte atteinte aux libertés d’association et d’expression ainsi qu’à l’application régulière de la loi (due process) devant les tribunaux.

Nous reproduisons ici des extraits d’un communiqué de presse publié le 17 octobre 2024 par la Coalition pour la surveillance des libertés civiles résumant nos critiques à l’égard de cette liste et notre appel à l’abolir définitivement :

L’inscription d’une organisation sur la liste est un processus secret et discrétionnaire par lequel le gouvernement peut prendre en compte n’importe quelle information, y compris des renseignements non vérifiés. L’inscription sur la liste permet au gouvernement de contourner les poursuites pénales ou les procès, plaçant le fardeau sur l’entité inscrite sur la liste de contester les informations à l’appui, dont la plupart sont tenues secrètes pour des « raisons de sécurité ». Il n’existe pas non plus de procédure cohérente pour contester une telle inscription à cette liste. Il en résulte une violation effective du principe de l’application régulière de la loi (due process) et de la présomption d’innocence.

Les conséquences de l’inscription sur la liste sont graves. Les avoirs sont gelés, toute utilisation de biens appartenant à l’organisation inscrite sur la liste ou contrôlés par elle constitue un délit, de même que la fourniture de toute forme de soutien financier ou en nature. De plus, l’inscription sur la liste stigmatise l’organisation et toute personne accusée d’y être associée en la qualifiant de « terroriste », quelles que soient ses actions personnelles, sans qu’il soit nécessaire de porter des accusations criminelles ou de prouver sa culpabilité devant un tribunal. […]

Comme il est illégal de soutenir une entité inscrite sur la liste de quelque manière que ce soit, y compris financièrement, cela signifie que l’organisation ne peut pas collecter de fonds ou payer un avocat pour organiser sa défense et contester l’inscription sur la liste des entités terroristes devant un tribunal. Il est donc extrêmement difficile, voire impossible, d’être retiré de la liste, ce qui constitue une fois de plus une violation du droit à un procès équitable.

La liste des entités terroristes est un instrument politique, souvent utilisé de manière discrétionnaire pour servir les intérêts géopolitiques du Canada et de ses alliés.

Historiquement, la liste sert à détourner l’attention de la violence exercée par les gouvernements sur leurs propres populations et sur les populations d’autres pays, par le biais de l’action militaire et de la répression exercée par les forces de sécurité nationales et la police, comme cela a été le cas pendant la longue « guerre contre la terreur ». Cette liste renforce la politique de deux poids deux mesures qui consiste à autoriser la violence et la répression des libertés civiles, au nom de la lutte contre le terrorisme, de la part du Canada et de ses alliés, tout en criminalisant les réactions à cette violence, ou même les critiques pacifiques de cette violence.

Si le gouvernement canadien estime que des organisations et des individus représentent une menace pour le public, ces preuves doivent être présentées en audience publique, où les accusés peuvent se défendre de manière appropriée contre les accusations. La CSILC réitère son appel à l’abolition de la liste des entités terroristes du Canada. L’utilisation de processus d’inscription secret doit cesser [12].

Mentionnons également que le gouvernement du Canada reconnaît lui-même que « l’inscription d’une entité sur la liste ne signifie pas que celle-ci a commis un crime »[13].

La liste canadienne contient actuellement 87 entités, dont des organisations de libération nationale ou d’autodétermination, exposant les Canadien·nes impliqué·es au sein de mouvements sociaux pacifiques à des risques d’accusations criminelles et des atteintes injustifiées à leurs droits et libertés. Par ailleurs, au cours de la dernière année, suivant le pas des États-Unis, le gouvernement canadien y a ajouté des cartels de narcotrafiquants, dont les activités criminelles ne correspondent même pas à la définition d’« activité terroriste » dans la loi canadienne[14].

Nous sommes ainsi d’avis qu’une définition de « terrorisme » en droit international échouerait à prévenir ce genre d’instrumentalisation politique, d’arbitraire et de traitement différencié, dans son application par les États. La voie à suivre pour éviter que le concept de « terrorisme » soit utilisé pour justifier des violations des droits et libertés serait plutôt de rejeter le paradigme qu’il sous-tend, sachant que des infractions criminelles, moins sensibles aux aléas politiques et à l’arbitraire existent déjà en droit commun.

Projet de loi C-9 : nouveau recul des droits s’appuyant sur la liste des entités terroristes

Nos organisations souhaitent également porter à l’attention du Rapporteur spécial le projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse, crime haineux et accès à des lieux religieux ou culturels)[15], présentement à l’étude à la Chambre des communes du Canada. Ce projet de loi propose la création d’une nouvelle infraction au Code criminel à l’effet de « fomente[r] volontairement la haine contre un groupe identifiable en exposant dans un endroit public [un symbole] principalement utilisé par une entité inscrite sur la liste des entités terroristes, ou principalement associé à une telle entité […] ou à ce point semblable à un [tel] symbole ».

Son libellé laisse une grande place à l’arbitraire dans l’application, d’abord en raison des termes vagues et imprécis qu’il contient, et ensuite du fait de l’association à des entités inscrites sur la liste canadienne des entités terroristes, laquelle est dénoncée depuis des années pour son caractère lui-même arbitraire et opaque. La nouvelle infraction criminelle proposée constituerait selon nous une violation injustifiée aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association, ainsi qu’au droit à l’égalité sur les motifs de race, d’origine nationale, ethnique ou de religion, lesquels sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, un instrument constitutionnel de protection des droits humains[16].

Au lieu de répondre aux critiques, des députés envisagent d’ajouter une nouvelle infraction antiterroriste (initialement présentée sous le projet de loi C-257[17]) au projet de loi C-9, ce qui porterait davantage atteinte aux droits humains. Cette nouvelle infraction criminaliserait le fait de « faire la promotion de toute activité terroriste, de tout groupe terroriste ou de toute activité d’un groupe terroriste ». Une telle infraction serait déjà problématique compte tenu du caractère vague du terme « promotion » et de la nature politique et malléable du concept de « terrorisme ». Or, ce problème est amplifié par le fait que les promoteurs de cette mesure ont explicitement déclaré que leur objectif est de pouvoir criminaliser les personnes qui manifestent pacifiquement contre l’occupation israélienne et le génocide à Gaza[18]. Une infraction similaire, mais plus restreinte, soit celle contre « la préconisation ou la fomentation de la perpétration d’infractions de terrorisme en général », a été retirée du Code criminel en 2019, car elle violait les protections offertes par la Charte canadienne des droits et libertés.

3. Une dérive observable mondialement, sous prétexte de lutte au terrorisme

La situation au Royaume-Uni est particulièrement inquiétante pour les défenseur·ses des droits humains. Après avoir désigné « entité terroriste » le groupe militant « Palestine Action », qui avait perturbé les installations d’Elbit Systems – un fabricant d’armes utilisées par l’armée d’occupation israélienne – le Royaume-Uni a procédé à l’arrestation de centaines de citoyen·nes pacifiques, dont des personnes âgées, des personnes en situation de handicap et des vétérans, pour le simple fait d’avoir affiché une bannière ou un vêtement avec la mention « I oppose genocide, I support Palestine Action »[19].

Le Royaume-Uni et les États-Unis sont aussi des exemples de la nature problématique du concept d’« extrémisme violent ». Non seulement le terme extrémisme est aussi malléable que le terme terrorisme, mais son étymologie se prête parfaitement à villifier les idées éloignées du statu quo, et donc capture souvent les critiques du statu quo, notamment l’opposition aux « valeurs britanniques », telle que le parlementarisme[20] (opposé par exemple par l’anarchisme au profit de la démocratie directe) et l’anti-capitalisme, les opinions « extrêmes sur la migration, la race et le genre » ainsi que les opinions « anti-américanistes »[21].

De plus, les régimes de prévention de l’« extrémisme violent », tel que Prevent au Royaume-Uni, ont été sévèrement critiqués, notamment par Amnesty International UK qui a récemment déclaré :

Conçu comme un outil de « prévention du crime », le programme Prevent est censé nous protéger en identifiant les personnes susceptibles de se radicaliser et de basculer dans le « terrorisme », et en les en empêchant de passer à l’acte. Or, dans les faits, la grande majorité des personnes signalées dans le cadre de ce programme ne représentent aucune menace et ces signalements n’entraînent aucune suite. Prevent porte gravement atteinte à la vie et aux libertés de milliers d’innocent·es et pousse nombre d’entre eux et elles à l’autocensure par crainte d’être dénoncé·es[22]. [notre traduction]

Qui plus est, le fait que les régimes de prévention de l’extrémisme violent se concentrent sur les idées et idéologies des personnes, plutôt que seulement sur les intentions d’user de violence contre autrui, ont mené à des évènements tragiques qui auraient pu être évité, tel que le meurtre de trois enfants (dont l’auteur avait été signalé trois fois à Prevent avant les meurtres en raison de son obsession pour la violence, mais la police n’a pas fait de suivi, ne le considérant pas comme extrémiste en raison d’une « absence d’adhésion à une seule idéologie radicale[23] ») et détourne de précieuses ressources pour la prévention de la violence contre des personnes dans d’autres contextes, tels que les violences racistes et basées sur le genre, qui sont endémiques.

Aux États-Unis, le 22 septembre 2025, le président Donald Trump a désigné par décret le mouvement « Antifa » comme « organisation terroriste »[24]. Ainsi des mouvements sociaux et des groupes de la société civile sont désignés comme des entités « terroristes » à des fins politiques par les gouvernements au pouvoir.

Conclusion

Enfin, au vu de ce qui précède, il nous parait clair que l’usage du terme « terrorisme » sert trop souvent à justifier des atteintes aux droits humains et au droit international, sans être un outil juridique nécessaire et essentiel.

Il convient plutôt, selon nous, de rejeter le paradigme du « terrorisme » et de mettre tous les efforts sur le plan international pour reconnaitre les droits des peuples à l’autodétermination, pour assurer l’exercice des droits civils et politiques, et pour protéger les organisations de la société civile de l’arbitraire, rappelant le droit de défendre les droits.

 


 

[1] Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et la lutte antiterroriste, Appel à contributions : définitions des termes « terrorisme », « organisation terroriste » et « extrémisme violent », 2025.

[2] Entre 2001 et 2023, « la guerre au terrorisme », initiée à la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York, aurait causé 940 000 morts directes, et entre 3,6 et 3,8 millions de morts indirectes, dont une large proportion de civil·es en Iraq, en Afghanistan, en Syrie, au Yémen et au Pakistan. Voir: Cost of War Project, The Watson School of International and Public Affairs, Brown University, https://costsofwar.watson.brown.edu/costs/human

[3] Camille Marquis-Bissonnette, « Le terme terrorisme et ses incidences sur la protection des personnes en droit international. Terrorisme, le mot qui blesse ? », Bruylant, Collection Mondialisation et droit international, 2024, p. XIX-XX.

[4] Ibid., 401.

[5] Ibid., p. 401-402

[6] Comité international de la Croix-Rouge, « Que dit le DIH au sujet du terrorisme ? », 22 janvier 2025.

[7] Association du Barreau canadien, « Mémoire à propos du projet de loi C-36 Loi antiterroriste », octobre 2001, p. 12.

[8] Ligue des droits et libertés, « La Loi antiterroriste de 2001 : une loi trompeuse, inutile et… dangereuse », Mémoire présenté au Comité spécial du Sénat sur la Loi antiterroriste et au sous-comité de la sécurité publique et nationale du Comité sur la justice, les droits de la personne, la sécurité publique et la protection civile de la Chambre des communes du Canada, 9 mai 2005, p. 18 ; Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, « Dans l’ombre de la loi », Rapport en réaction au 1er rapport annuel de Justice Canada sur l’application de la Loi antiterroriste (C-36), 14 mai 2003 ; Ligue des droits et libertés, « Projet de loi C-36 (Loi antiterroriste) », Document d’analyse juridique, novembre 2001;

[9] Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, art. 34(1)c)f).

[10] Canadian Council for Refugees et al, « From liberation to limbo: A Report on the Impact of Immigration Security Inadmissibility Provisions on the Eritrean Communities in Canada, and Recommendations for Reform, submitted to the Ministers of Citizenship and Immigration and Public Safety » April 2010.

[11] Sécurité publique Canada, Entités terroristes inscrites.

[12] Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, « Une Coalition canadienne des libertés civiles dénonce et appelle à la fin de la liste des entités terroristes qui est arbitraire, secrète et attentatoire aux droits humains », Communiqué presse, 17 octobre 2024.

[13] Sécurité publique Canada, Entités terroristes inscrites.

[14] Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46). 83.01 (1). Extrait de la définition d’« activité terroriste » :

b) Soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger :
(i) d’une part, commis à la fois :

(A) au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique,

(B) en vue — exclusivement ou non — d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada. »

[15] Chambre des communes du Canada, projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse, crime haineux et accès à des lieux religieux ou culturels), Première session, quarante-cinquième législature, 3-4 Charles III, 2025.

[16] Ligue des droits et libertés, Consultations sur le projet de loi C-9, Loi visant à lutter contre la haine, « Mémoire présenté devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne », Chambre des communes du Canada, 6 novembre 2025 ; Coalition pour la surveillance des libertés civiles, Consultations sur le projet de loi C-9, Loi visant à lutter contre la haine, « Mémoire présenté au Comité permanent de la justice et des droits de la personne », Chambre des communes du Canada, 14 novembre 2025.

[17] Chambre des communes du Canada, projet de loi C-257, Loi modifiant le Code criminel (promotion d’une activité ou d’un groupe terroriste), Première session, quarante-cinquième législature, 3-4 Charles III, 2025.

[18] Joel Ceaucu, « MP Roman Baber introduces a private member’s bill to fill a gap in the Combatting Hate Act », The Canadian Jewish News, 21 novembre 2025.

[19] Sylvia Hui et Jill Lawless, « Police arrest almost 900 at London protest supporting banned group Palestine Action », Toronto Star, 15 septembre 2025.

[20] UK Government, New definition of extremism (2024), 14 mars 2024.

[21] The White House, « Countering Domestic Terrorism and Organized Political Violence » 7ième mémorandum présidentiel sur la sécurité nationale, 25 septembre 2025.

[22] Amnesty International UK, « The Prevent duty and its chilling effect on human rights », 14 octobre 2025.

[23] Sean Seddon and Ian Aikman, « How red flags over Southport killer were repeatedly missed », BBC News, 22 janvier 2025.

[24] The White House, « Designating Antifa as a Domestic Terrorist Organization », Décret présidentiel, 22 septembre 2025.