Crise climatique, droit à la santé et justice

Plusieurs déterminants sociaux de la santé se trouvent fragilisés par la crise climatique, portant atteinte au droit à la santé. Certaines populations à l’échelle planétaire ou, plus près de nous, certains groupes au sein de la population québécoise, sont plus durement touchés.

Retour à la table des matières
Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021

Jacques Benoit, co-initiateur de la Déclaration d’urgence climatique (DUC), membre de GroupMobilisation (GMob) et coordonnateur de la Coalition solidarité santé de 2011 à 2019

À l’été 2010, une vague de chaleur survenue du 4 au 10 juillet a fortement incommodé la population, causant près de 300 décès et 3 400 admissions aux urgences du Québec.

À la suite de cet événement, la Direction de la santé publique de la Montérégie a identifié comme personnes particulièrement vulnérables les bébés et les jeunes enfants, les personnes âgées, les personnes souffrant de troubles cognitifs ou de santé mentale et celles atteintes d’une maladie chronique ou consommant certaines classes de médicaments. Elle identifiait aussi des facteurs de risque augmentant la vulnérabilité déjà présente : si les personnes vivaient seules, sans réseau de soutien ou dans un état de pauvreté, si elles travaillaient à l’extérieur ou dans un environnement chaud ou si elles pratiquaient un sport ou une activité intense à l’extérieur. Chaque facteur soulignait une vulnérabilité ; la combinaison de plus d’un facteur augmentait le degré de dangerosité.

Bouleversements climatiques

La multiplication et l’intensification des canicules ne sont malheureusement qu’un exemple des bouleversements climatiques qui s’additionnent, créant une crise climatique aux effets délétères.

Les impacts sur nos conditions de vie sont déjà bien présents : les inondations des dernières années, la présence accrue d’espèces envahissantes et l’augmentation des insectes nuisibles, les six canicules d’affilée enregistrées dès la fin mai 2020, la sécheresse historique[1] qui a anéanti la première fauche de foin dans plusieurs régions du Québec, affectant plus de 4 000 productrices et producteurs agricoles, le mois de juillet 2020 le plus chaud au Québec depuis 100 ans[2] diminuant le rendement des récoltes de légumes et augmentant les prix pour la majorité des cultures. À cela, ajoutons les incendies de la côte ouest-américaine, du Canada jusqu’au Mexique, avec des effets sur la production maraîchère, des hausses de prix à la consommation qui ont déjà commencé à se faire sentir ici, ou encore les cinq ouragans simultanés venus de l’Atlantique.

Les effets économiques se transforment en effets psychologiques. Ainsi, lorsque des citoyen-ne-s victimes d’inondations ou de tornades voient leur vie partir en morceaux, c’est aussi leur santé mentale qui écope. Les cas de dépression augmentent, les problèmes de stress, d’anxiété, d’abus d’alcool, de violence familiale aussi. De nouveaux diagnostics apparaissent avec l’éco anxiété et le « deuil écologique »[3].

Plusieurs déterminants sociaux de la santé se trouvent ainsi fragilisés, portant atteinte au droit à la santé. Certaines populations à l’échelle planétaire ou, plus près de nous, certains groupes au sein de la population québécoise, sont plus durement touchés.

Lutter contre la crise climatique : une question de justice sociale

Pourquoi et comment établir ce lien devenu indispensable entre la lutte à mener contre les changements climatiques et les luttes en faveur de la justice sociale ?

La Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique (DUC)[4] offre des réponses à cette question en déclinant les principales conséquences de la crise climatique, conséquences multiples et diversifiées. L’intérêt de cette déclaration réside notamment dans le fait qu’elle a été endossée depuis deux ans par 525 municipalités/MRC représentant plus de 78% de    la population du Québec. Elle fait état des effets de la crise climatique qui mettent en danger des droits, comme le droit à la santé reconnu dans des traités de droits humains, cette crise allant jusqu’à mettre en péril toute forme de justice sociale.

Mentionnons ici des volets de cette déclaration concernant quelques-uns des effets de la crise climatique, en matière d’économie, de santé humaine, d’accès aux aliments et d’environnement.

Économie

Économies, sociétés et écosystèmes sont exposés à de graves risques pouvant entraîner un écroulement global : chute des revenus, diminution importante de la productivité, hausse majeure du prix des denrées, augmentation du chômage, chute du pouvoir d’achat, explosion des coûts de santé, effondrement des services publics, etc.

Santé humaine

La dégradation de la qualité de l’air liée à la hausse des températures se traduit déjà en multiplication des maladies cardio-respiratoires et en augmentation des cancers, de   la mortalité et de la morbidité dues aux coups de chaleur extrême; elle entraîne aussi la migration d’insectes responsables d’infections, la contamination biologique des réserves d’eau douce et la diminution des réserves d’eau potable ainsi que l’augmentation des risques de pandémie (pensons ici à la COVID-19), pouvant à terme entraîner un effondrement de la population mondiale.

Accès aux aliments

Les trois-quarts des terres cultivables de la planète sont endommagées,  réduisant   le   rendement   des   cultures   et   la productivité des terres agricoles; l’accroissement des précipitations violentes et des sécheresses sévères et persistantes détruit les récoltes et accélère la destruction des sols, entraînant une chute des stocks alimentaires; l’acidification des océans affecte les espèces marines ; la raréfaction généralisée des denrées déstabilise des populations entières, suscitant des migrations massives. La sécurité alimentaire de plus de quatre milliards d’êtres humains est ainsi menacée.

Environnement

Les activités humaines détruisent 80% de la couverture forestière mondiale, affectant l’un des principaux puits de carbone et accélérant ainsi les bouleversements climatiques; elles causent la disparition de 83% des mammifères sauvages et de 90% des gros poissons des océans, soit un taux d’extinction des espèces de 100 à 1 000 fois plus élevé que le taux naturel ; de plus, la fonte du couvert de glace arctique et antarctique dérègle les courants océaniques et les températures mondiales, affectant tous les écosystèmes.

Dans nos sociétés développées, ce sont les couches les plus démunies de la population qui en sont les plus affectées ; les pays les plus pauvres sont frappés encore plus durement parce qu’ils ont moins de ressources pour protéger leur population, dont souvent l’absence d’un système adéquat de soins de santé.

Bref, la crise climatique aggrave de façon flagrante les inégalités sociales déjà existantes.

Le premier ministre Legault ne cesse de répéter qu’il ne faut pas être alarmiste, qu’il faut plutôt être pragmatique. Or, le dictionnaire définit le terme pragmatisme comme étant un « comportement, attitude intellectuelle ou politique, ou étude qui privilégie l’observation des faits par rapport à la théorie ». On ne peut s’y tromper : la crise climatique est un fait, les dangers qu’elle fait courir à l’humanité sont réels et déjà perceptibles, et l’urgence d’agir, une nécessité !

Pour des actions immédiates

Pour défendre notre droit à la santé dans le contexte de la crise climatique, nous avons besoin d’un système de santé et de services sociaux qui soit résilient face aux effets de la crise climatique, universel, public, décarboné, décentralisé, géré démocratiquement, accessible à toutes et tous, et doté d’une première ligne interdisciplinaire proactive et préventive.

Si nous ne voulons pas que cette crise climatique mène à l’épuisement des ressources, nous devons cesser de l’alimenter : nous devons réduire au maximum nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour stopper le réchauffement climatique. Nous avons donc besoin d’un plan d’urgence climatique global, qui s’attaque aux causes, un plan mis en place d’ici 2022 tel que proposé dans le Plan d’urgence climatique des Chantiers de la DUC (C-DUC)[5] qui comprend onze domaines d’intervention urgente, dont l’un en santé et services sociaux où gouvernements, municipalités et citoyen-ne-s ont un rôle à jouer.

Si la crise de la COVID-19 nous rappelle qu’il vaut mieux prévenir que guérir, la crise climatique nous apprend que si nous ne prévenons pas, nous n’en guérirons pas.

Parce qu’il n’y aura ni vaccin, ni médicaments.


[1] https://www.lapresse.ca/affaires/2020-08-11/secheresse-historique-une-aide-de-21-millions-pour-les-producteurs-de-foin.php

[2]
http://www.environnement.gouv.qc.ca/climat/Faits-saillants/2020/juillet.htm

[3] « Certains appellent ce phénomène le « deuil écologique», d’autres la « solastalgia », un néologisme désignant un «mal du pays» qui survient lorsque le monde autour de soi change irrémédiablement. » https://journalmetro.com/actualites/national/1984351/les-chercheurs-se-penchent- sur-le-deuil-ecologique/

[4] https://bit.ly/33ankCJ

[5] https://bit.ly/2ISXhZB


Retour à la table des matières