Présentation du dossier: Décolonisation et droits des Peuples autochtones

La méconnaissance de la situation marquée par le colonialisme et le racisme dans laquelle continuent d’évoluer les peuples autochtones du Canada n’est pas sans conséquences sur les liens de solidarité. La LDL souhaite contribuer au développement des solidarités et fournir un certain nombre de repères permettant de mieux comprendre la situation.

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Nicole Filion, coordonnatrice à la Ligue des droits et libertés
Samuel Blouin, membre du comité sur les droits des peuples autochtones
Ligue des droits et libertés

Génocide culturel : c’est ainsi que la Commission de vérité et de réconciliation, dans son rapport publié en juin 2015, qualifie la politique du Canada à l’égard des autochtones, notamment en ce qui concerne l’établissement et le fonctionnement des pensionnats. Vingt ans plus tôt, la Commission royale sur les peuples autochtones proposait de mettre un terme au colonialisme imposé par le Canada aux peuples autochtones et la mise en place d’un troisième ordre de gouvernement, celui-ci autochtone.

Malgré l’ampleur des travaux de ces deux commissions, la somme des informations traitées et rendues publiques, la répercussion dans l’espace public des recommandations formulées dans l’un et l’autre de ces rapports, ce n’est malheureusement qu’une faible proportion de la population qui est au fait de la situation des peuples autochtones et de leurs droits et qui s’intéresse réellement à la question. Les récents événements survenus à Val-d’Or et les réactions d’étonnement dont ont fait écho les médias ont été révélateurs à ce sujet. Or, cette méconnaissance de la situation marquée par le colonialisme et le racisme dans laquelle continuent d’évoluer les peuples autochtones du Canada n’est pas sans conséquences sur les liens de solidarité qu’il nous apparait pourtant si nécessaire de développer pour soutenir leur lutte dans la reconnaissance de leurs droits.

Par cette revue qui s’adresse volontairement à un public large, la Ligue des droits et libertés (LDL) souhaite contribuer au développement de ces solidarités et fournir, dans un premier temps, un certain nombre de repères permettant de mieux comprendre la situation (Historique par Pierre Trudel, Inégalités sociales par Carole Lévesque, Situation des étudiant-e-s autochtones, par Emanuelle Dufour et Marie-Pierre Bousquet).

La Ligue des droits et libertés s’intéresse depuis de nombreuses années aux droits des Autochtones. Son Comité d’appui aux nations autochtones (CANA) a été particulièrement actif dès 1977 afin de soutenir leurs luttes et revendications à propos du droit à l’autodétermination. En plus de ses multiples interventions, notamment dans le cadre de la guerre du saumon (Rivière Moisie) et de la crise d’Oka, le CANA a réalisé un important travail de sensibilisation auprès de la population québécoise avec sa campagne Les autochtones et nous : vivre ensemble.

En 1995, la LDL a également représenté la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) au début des travaux de l’ONU visant l’élaboration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Ce sera d’ailleurs à la suite de l’adoption de la Déclaration, en 2007, que la LDL s’engagera dans la Coalition sur les droits des peuples autochtones qui avait alors pour objectif de joindre sa voix à celles des Autochtones afin d’amener le Canada (qui s’était opposé à son adoption par l’ONU) à y adhérer, ce que le Canada fera quelques années plus tard. Tout en poursuivant son implication au sein de la Coalition, la LDL a, dans les dernières années, mis sur pied un comité de travail dont le mandat était de préciser le rôle de la LDL au sein des luttes pour la défense des droits des peuples autochtones.

Les travaux de ce comité ont permis l’élaboration de lignes directrices, adoptées lors de l’assemblée générale de juin 2015, dans lesquelles la LDL « reconnaît que les peuples autochtones du Canada continuent d’évoluer dans un cadre marqué par le colonialisme et le racisme ». Car, pour la LDL, il s’agit là du fil conducteur pour comprendre la situation et agir en soutien aux revendications des droits des Autochtones. Sur cette base, la LDL s’engage à poursuivre le travail de sensibilisation de la population amorcé depuis de nombreuses années et à intervenir auprès de nos gouvernements pour soutenir la reconnaissance des droits des Autochtones. La LDL situe l’ensemble de ce travail dans une perspective de reconnaissance réciproque de nation à nation et de recherche de stratégies communes sur des questions d’intérêt commun (Voir l’encadré).

Ces récents travaux de la LDL pourront peut-être inspirer d’autres organisations à entreprendre des démarches similaires dont l’intérêt consiste à favoriser une meilleure connaissance de la situation par leurs membres qui sont appelés à adopter de telles lignes directrices puis à se mobiliser pour soutenir les revendications autochtones.

D’autres avenues sont aussi explorées dans cette revue, avenues par lesquelles il est possible de tisser des liens de solidarité entre nations et organisations autochtones et allochtones. Ainsi, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et Femmes autochtones du Québec (FAQ) ont signé une Déclaration solennelle de solidarité qui a littéralement pris racine à même les luttes communes menées par les deux organisations, les appuis mutuels qu’elles se sont donnés, nous relate Michèle Asselin dans une entrevue réalisée auprès d’elle, qui était alors présidente de la FFQ.

D’autres initiatives visant le développement de solidarités entre Autochtones et Allochtones sont aussi mises en lumière dans la revue. Sur les enjeux environnementaux et de développement économique, des écologistes autochtones et allochtones entreprennent, de la base, de nouer des rapports d’interconnaissance mutuelle en vue d’une défense conjointe du territoire, comme l’expose l’entrevue réalisée par Maryse Poisson avec deux militants écologistes. Lorsque vient le temps d’agir ensemble, les rapports entre Autochtones et Allochtones ne sont jamais simples du fait de la colonisation qui continue de peser sur cette relation. À une autre échelle, Martin Papillon retrace les avancées dans la reconnaissance des droits des peuples autochtones ainsi que les obstacles à cette reconnaissance. Il faut donc retenir de ce numéro que les relations entre Autochtones et Allochtones se déploient sur un éventail qui peut aller du dialogue en vue de la transformation radicale du rapport à l’environnement à la négociation entre conseils de bande et compagnies minières. En effet, l’objectif de ce numéro n’est pas de proposer une lecture unilatérale des enjeux autochtones, mais plutôt d’en dresser un portrait pour les Allochtones intéressés à en apprendre davantage et à agir dans le sens de la reconnaissance des droits des peuples autochtones.

Ce portrait ne saurait être complet sans faire écho aux nombreuses expériences et revendications portées par des Autochtones ou avec des Autochtones. Ces voix s’élèvent autant pour une meilleure représentation des Autochtones dans les arts en vue d’un rapprochement interculturel (Wapikoni Mobile) que pour la revitalisation des langues et cultures autochtones, pilier de la décolonisation et de l’autodétermination des peuples autochtones (Ellen Gabriel). Anahi Morales Hudon nous propose quant à elle une incursion au sein de mouvements autochtones qui luttent pour le droit à l’autodétermination au Mexique et parmi lesquels des femmes contribuent au renouvellement des revendications. Femmes autochtones du Québec conclut ce numéro avec un plaidoyer pour la réconciliation, un chemin exigeant qu’il nous faut impérativement emprunter collectivement.

Le gouvernement fédéral libéral récemment élu a témoigné de sa volonté d’emprunter ce chemin : respect de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mise en œuvre des recommandations de la Commission de Vérité et de Réconciliation en collaboration avec les peuples autochtones, négociations de nation à nation, examen complet de la législation fédérale imposée unilatéralement. Sa plate-forme électorale concernant les enjeux autochtones, détaillée et ambitieuse, laisse place à beaucoup d’espoir, mais suscite aussi inévitablement des attentes que le gouvernement ne pourra décevoir qu’au péril de perpétuer encore un peu plus des rapports coloniaux conduisant à des violations massives de droits, souvent impunies, le cas de Val-d’Or en étant seulement l’exemple le plus récent. Concernant cette dernière situation, les actions du gouvernement québécois seront également à surveiller.

Ce numéro de revue fournit certaines connaissances et outils analytiques aux Allochtones afin qu’elles et ils soient en mesure de tenir responsables nos gouvernements sur les enjeux autochtones. En effet, c’est ultimement sur les épaules de nos gouvernements que repose l’obligation de mettre fin à la domination coloniale en consultation avec les peuples autochtones et dans le respect de leur droit à l’autodétermination.

Demander la fin du colonialisme canadien et québécois et le respect des droits des peuples autochtones commande toutefois une éthique de la solidarité, dont personne ne saurait prétendre détenir les clés. Une chose est cependant certaine : ces revendications doivent s’exprimer avec une conscience constante de notre propre position comme Allochtones. Conséquemment, nos leviers d’actions résident d’abord et avant tout dans la révision de nos schèmes de pensée, de nos actions et de celles de nos gouvernements. Il est temps que les Allochtones et les organisations non autochtones s’engagent en ce sens, humblement, il va sans dire. C’est en faisant notre bout de chemin que nous pouvons espérer progresser dans la construction de solidarités entre Autochtones et Allochtones pour vaincre le colonialisme.

 

Lignes directrices
pour la Ligue des droits et libertés
sur les droits des peuples autochtones
Mai 2015

La Ligue des droits et libertés (LDL) reconnaît les peuples autochtones du Canada comme étant ses premiers habitants.

La LDL reconnaît que les peuples autochtones du Canada continuent d’évoluer dans un cadre marqué par le colonialisme et le racisme autant sur le plan individuel que structurel.

La LDL reconnaît que les non-Autochtones participent à perpétuer ce rapport colonial qui entraîne des violations des droits des Autochtones.

La LDL considère que la reconnaissance et le respect du droit à l’autodétermination des peuples autochtones sont incontournables pour sortir du rapport colonial qu’entretiennent les États canadien et québécois.

La LDL reconnaît que les peuples autochtones ne pourront exercer pleinement leur droit à l’autodétermination tant que les États canadien et québécois ne reconnaîtront pas les titres ancestraux sur les territoires non cédés et occupés par les Autochtones*.

La LDL reconnaît que les Autochtones vivant en milieu urbain font face à des défis spécifiques, notamment en matière d’itinérance, de logement, de pauvreté, d’emploi et de reconnaissance de leurs droits à titre d’Autochtones.

La LDL s’engage à :

  1. Contribuer à l’éducation et à la sensibilisation en informant la population, et particulièrement les membres de la LDL, des obstacles historiques et actuels auxquels sont confrontés les peuples autochtones.
  2. Intervenir auprès de l’État et des non-Autochtones pour dénoncer le colonialisme, le racisme, et la violation des droits des Autochtones, ainsi que pour soutenir la reconnaissance et le respect des droits des Autochtones, tels qu’inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, particulièrement celui à l’autodétermination mais sans jamais perdre de vue l’interdépendance des différents droits.
  3. Reconnaître et honorer adéquatement les territoires non cédés par les peuples autochtones locaux, et occupés par les non-Autochtones .
  4. Contribuer à la connaissance réciproque de nos peuples, à l’enrichissement du dialogue et aux efforts nécessaires afin d’établir des relations respectueuses d’égal à égal avec les peuples autochtones, permettant ainsi de s’informer des questions d’intérêt commun et de discuter des stratégies et solutions possibles.

*Lors des activités publiques de la LDL, au moment jugé le plus pertinent (ce peut être dans le cours d’une présentation, durant l’activité ou autrement), la déclaration suivante serait prononcée : « Nous reconnaissons être réuni-e-s sur un territoire non cédé de la nation Mohawk (si l’activité se tient à Montréal) et souhaitons que les revendications à propos de ce territoire fassent l’objet d’un règlement conclu suite à une démarche menée en consultation et en coopération avec cette nation, impliquant son consentement donné librement et en connaissance de cause ».

Puisque nous avions convenu qu’une telle déclaration soit accompagnée de commentaires explicatifs, voici ceux, dont nous pourrions nous inspirer en les adaptant au langage de la LDL, qui ont été faits par Roméo Saganash au moment où celui-ci a fait, à la Chambre des communes, la présentation de son projet de loi visant la mise en œuvre de la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones (Projet de loi C-641):
Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais souligner que nous sommes réunis sur des terres algonquines non cédées. Je tiens donc à remercier le peuple algonquin de nous permettre d’être ici ce soir. Il est important, dans le contexte du projet de loi dont nous sommes sur le point de débattre, de reconnaître que nous sommes réunis ici ce soir dans cette auguste Chambre sur des terres non cédées.
L’histoire de ce territoire et sa situation actuelle est toute canadienne à plus d’un égard. Ce territoire n’a pas été conquis par la guerre, pas plus qu’il n’a été acheté ou loué à ses propriétaires légitimes. Contrairement à de grandes parties du Canada, aucun traité n’a été signé, que ce soit il y a des siècles ou à l’époque moderne. Comme à bien des endroits au Canada, des colons sont arrivés pour faire de ce territoire leur chez-eux tout en repoussant les peuples autochtones de la région en marge de la société.
De nouvelles localités ont été fondées à proximité d’autres existantes. Les villages sont devenus des municipalités, puis une ville que nous appelons maintenant Ottawa, notre capitale nationale. C’est une belle ville constituée de communautés florissantes qui illustrent bien la diversité de notre pays. Malgré tout, nous ne pouvons oublier que cette ville a été construite sur des terres algonquines non cédées, et je remercie à nouveau le peuple algonquin de nous accueillir.
http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Pub=Hansard&Doc=185&Parl=41&Ses=2&Language=F&Mode=1#8614980

 

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