Désobéissance civile, droits humains et urgence climatique 

Celles et ceux qui font le choix stratégique d’utiliser la désobéissance civile le font après en être arrivés au constat que les moyens d’action traditionnels – manifestations, pétitions, campagnes de sensibilisation et autres – ne suffisent plus pour faire avancer les choses.

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Nicole Filion, Eve-Marie Lacasse et Lucie Lemonde
Ligue des droits et libertés

Nous sommes de plus en plus nombreux, les jeunes surtout, à prendre la mesure de l’ampleur de la crise climatique. Nous sommes aussi de plus en plus nombreux à dénoncer le mode de développement économique responsable de cette crise et à exiger que nos gouvernements agissent en conséquence. Cette crise exacerbe les inégalités liées à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, aux migrations et à la montée du racisme, à la santé des populations et à l’accès au logement. Malgré ces violations de droits humains, nos gouvernements n’ont aucun plan concret pour mettre un frein à cette crise et, pire encore, ils appuient des projets qui vont l’accentuer comme le troisième lien à Québec, le projet GNL au Saguenay – qui est actuellement devant le BAPE – et l’oléoduc Trans Mountain.

Face à cette irresponsabilité politique lourde de conséquences, des militant-e-s font le choix de recourir à la désobéissance civile et à diverses actions de contestation pour éveiller les consciences et faire bouger les dirigeant-e-s.

La LDL estime que certaines actions, bien qu’illégales, peuvent s’avérer légitimes et nécessaires dans le contexte actuel.

Selon le philosophe John Rawls, la désobéissance civile est « un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement[1] ».

Celles et ceux qui font le choix stratégique d’utiliser la désobéissance civile le font après en être arrivés au constat que les moyens d’action traditionnels – manifestations, pétitions, campagnes de sensibilisation et autres – ne suffisent plus pour faire avancer les choses. Pour elles et eux, ce choix de désobéir et d’en accepter les conséquences est donc devenu une nécessité. La « défense de nécessité » consiste à plaider que le geste posé, bien qu’illégal à première vue, est néanmoins légitime en raison de la présence de danger imminent ou de l’absence d’autre solution.

La désobéissance civile a plus d’une fois contribué à la reconnaissance de droits humains au Québec et ailleurs.

Rappelons les luttes menées par les Afro-Américains qui, dans les années 60 notamment, prenaient place dans les espaces réservés aux personnes blanches dans les transports publics et refusaient de les quitter à moins d’y être contraints ou d’être arrêtés par la police. On peut aussi rappeler le mouvement de résistance fondé sur la désobéissance civile mené par Gandhi, qui a mené à l’indépendance de l’Inde. Les exemples sur la scène internationale sont nombreux.

Au Québec, rappelons-nous la résistance à l’égard de la loi spéciale de 2012, qui, parmi plusieurs autres mesures, imposait, dans le cas de manifestations de plus de 50 personnes, d’aviser les forces de l’ordre par écrit, au moins huit heures à l’avance, de la date, de l’heure, du lieu, de l’itinéraire de la manifestation ainsi que des moyens de transport utilisés. Les Québécois-e-s sont sortis par milliers dans les rues, soir après soir, armés de leurs casseroles pour faire valoir le droit d’exercer leur liberté d’expression. C’était de la désobéissance civile.

On peut aussi penser aux manifestations organisées en réaction à l’arrestation de 220 personnes le 21 octobre 1977, dans un bar gai de Montréal, le bar Truxx, considéré comme une maison de débauche. À la suite de ces manifestations, le 6 décembre de la même année, l’interdiction de toute forme de discrimination sur la base de l’orientation sexuelle est ajoutée dans la Charte des droits et libertés du Québec. Ou encore à toutes ces femmes qui, pendant des décennies, ont défié les lois sur l’avortement. Le mouvement féministe et l’engagement sans faille du Dr Morgentaler, lequel n’hésitait pas à pratiquer des avortements dans l’illégalité, ont mené à la décriminalisation de l’avortement au Canada.

Autre exemple : la loi québécoise qui interdisait aux femmes d’être jurées a été abrogée en 1971, quelques mois après que des femmes eurent été emprisonnées pour avoir bondi dans le box des jurés lors du procès de Paul Rose, du Front de libération du Québec, en scandant « Discrimination! »

Les syndicats québécois ont aussi fait plusieurs actions de désobéissance civile afin que le droit de grève soit reconnu au Québec en 1964.

Ainsi, l’histoire récente du Québec nous démontre que, devant l’entêtement d’un gouvernement à ne pas voir un danger imminent ou devant son refus de considérer une injustice flagrante, alors que les moyens d’action traditionnels n’ont pas porté fruit, une action au départ illégale peut être légitime et nécessaire. Dans ce contexte, les personnes qui mènent des actions de désobéissance civile exercent leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

La Ligue des droits et libertés juge qu’il faut dès lors continuer de consacrer les énergies nécessaires à la défense du droit à la liberté d’opinion et d’expression, au droit de manifester et au droit d’association afin que l’exercice de la démocratie et la participation des populations aux prises de décisions fassent partie de l’agenda politique, surtout dans ce contexte d’urgence sans précédent.

[1] Théorie de la justice, (1971), Paris, Seuil, 1987, p. 405.

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