Droits des personnes réfugiées: prendre nos responsabilités au sérieux

Avec ce dossier, la LDL désire expliquer la complexité des enjeux associés aux droits des personnes réfugiées. Au-delà de la question du nombre de personnes accueillies, il faut nous interroger sur ce qui, au départ, favorise les crises politiques internationales. Il faut aussi remettre en question l’interception des personnes migrantes et repenser la question du statut des personnes réfugiées ainsi que leur intégration.

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Christian Nadeau, président
Ligue des droits et libertés

La guerre civile en Syrie a provoqué un exode massif de sa population vers les pays limitrophes et vers l’Europe. L’Union européenne se trouve confrontée à la plus grave crise migratoire jamais connue, la plus importante depuis 1945. En 2015, 1,8 million de réfugié-e-s en provenance de Syrie et d’Irak ont gagné le territoire de l’Europe. Si l’Allemagne a au départ voulu ouvrir ses frontières, plusieurs pays européens ont soit fermé leurs portes, soit accepté un nombre très limité de personnes réfugiées. L’Autriche, qui semblait vouloir suivre l’exemple allemand, a récemment érigé une clôture grillagée sur sa frontière avec la Slovénie et annoncé des quotas pour les demandes d’asile. Le 12 avril, l’Autriche a même menacé l’Italie de la construction d’un mur à sa frontière. Des pays comme la Hongrie ont cédé aux sirènes sécuritaires et sont allés jusqu’à barricader leurs frontières avec des barbelés. En avril dernier, la police macédonienne a tiré des gaz lacrymogènes contre des personnes migrantes qui, désireuses d’emprunter la route des Balkans, tentaient d’entrer désespérément en Macédoine depuis le camp d’Idomeni.

Si l’aide aux personnes réfugiées est rendue nécessaire en raison des guerres qui sévissent au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde, nous ne dirons jamais assez qu’elle est la responsabilité des États, dont le Canada, qui portent aujourd’hui un masque humanitaire tout en profitant du marché des armes et en tirant les ficelles de la guerre pour mieux servir leurs intérêts respectifs. L’Union européenne a pu ainsi négocier en mars dernier en toute quiétude avec la Turquie un accord provisoire suivant lequel toute personne migrante arrivant en Grèce sera automatiquement refoulée vers la Turquie, laquelle en échange pourra renvoyer à son tour chaque Syrien-ne déjà en Turquie vers l’Europe, à la condition que ce nombre ne dépasse pas 72 000 personnes. Pourtant, comme chacun sait, la Turquie, qui cherche par cet accord à masquer les dérives autoritaires du gouvernement actuel, ne peut en aucun cas représenter un refuge sûr pour les personnes à la recherche d’un asile politique.

Au Canada, le gouvernement libéral a promis d’accueillir 25 000 personnes réfugiées, une cible qui a été atteinte en février dernier. Il s’agit d’un chiffre important. Mais en considérant les capacités d’accueil d’un pays riche comme le Canada, il est permis de croire que nous aurions pu faire beaucoup mieux. Reste à savoir pourquoi et comment. Pourquoi ? D’une part, parce que nous sommes nous aussi responsables des malheurs qui affligent le Moyen-Orient. D’autre part, par respect pour les droits humains, ces droits fondamentaux que tout le monde semble prendre pour acquis, mais dont les exigences se trouvent rarement satisfaites. Une fois bien compris ce que signifie exactement un respect fondamental des droits humains, il devient très difficile de justifier les choix publics qui prévalent à l’heure actuelle, au Canada comme ailleurs, et qui vont bien au-delà de la seule question du nombre de personnes réfugiées accueillies. Avec ce dossier, la Ligue des droits et libertés espère expliquer la complexité des enjeux associés aux droits des personnes réfugiées. Au-delà de la question du nombre de personnes accueillies, il faut nous interroger sur ce qui, au départ favorise les crises politiques internationales; remettre en question l’interception des personnes migrantes et repenser la question du statut des personnes réfugiées, leur intégration. La LDL souhaite ainsi documenter les nombreux obstacles qui se dressent sur le chemin de ces femmes et de ces hommes qui se trouvent forcés de fuir leur pays.

Depuis l’élection de Justin Trudeau, le Canada présente un nouveau visage sur la scène internationale. Loin du discours rétrograde, militariste et peu soucieux des droits humains qui était la marque du gouvernement précédent, le gouvernement actuel laisse partout entendre que les choses ont changé. Le Canada serait bel et bien de retour sur la scène internationale et il ne laisserait pas l’Europe se dépêtrer seule dans cette crise des personnes réfugiées. Assumer ses responsabilités devait se traduire par des gestes concrets, ce dont témoigne l’accueil de 25 000 Syriens et Syriennes. Reste à évaluer ce que signifie un tel chiffre en termes d’efforts réels du gouvernement pour venir en aide à des populations en détresse. Reste à voir aussi si le Canada se veut aussi ouvert et accueillant qu’il le prétend. Dans un tel dossier, comme dans de nombreux autres, la pratique est souvent diamétralement opposée aux beaux principes affichés.

Ce qu’il est possible de constater à la lecture de ce dossier est à quel point les personnes réfugiées font le plus souvent face à un arbitraire des institutions alors même que ces dernières devraient garantir une reconnaissance de leurs droits fondamentaux. Dans ce dossier, nous avons voulu proposer un état de la situation des personnes réfugiées au Canada. Deux enjeux fondamentaux traversent les problématiques exposées ici : le caractère discrétionnaire des mesures en place et la grande précarité des conditions et des droits des personnes réfugiées. Si le portrait d’ensemble est peu reluisant, nous voudrions malgré tout fournir des pistes pour éclairer le débat public sur ce qui peut être fait de manière plausible pour améliorer grandement le sort des personnes réfugiées et le respect effectif de leurs droits et libertés.

Dans son article, Laura Madokoro offre un regard historique sur l’accueil des personnes réfugiées au Canada. Il faut l’admettre, loin du portrait quasi féérique que l’on voudrait parfois nous offrir, le Canada doit faire beaucoup avant de mériter la réputation d’un pays hospitalier. En dehors des épisodes importants, mais relativement rares – au moment de l’exode hongrois dans les années 1950, ou plus récemment, lors des guerres balkaniques dans les années 1990 et surtout, au cours de la crise des « boat people » au début des années 1970, le Canada a rarement représenté un véritable refuge lors des grandes crises humanitaires. Le plus souvent, les intérêts nationaux ont conditionné les principes humanitaires et non l’inverse.

Pour François Crépeau, il est tout à fait possible de passer du mythe à la réalité en modifiant nos politiques d’accueil de manière à pouvoir ouvrir nos portes dans les faits et non seulement dans les déclarations de principes. Il s’agit pour ce faire d’en revenir aux principes fondamentaux des droits humains. Une politique d’accueil des personnes réfugiées n’est ni une question de charité – comme on l’entend trop souvent dans le discours public – ni un calcul d’intérêt – comme on peut le constater avec le recul récent de l’Allemagne et les négociations d’un accord avec la Turquie. À l’heure actuelle, les obstacles se multiplient pour les populations migrantes, comme on peut le voir au sujet des demandes de visa. Nous vivons, comme le rappelle Louis-Philippe Jannard, dans une période où les impératifs sécuritaires prennent le pas sur toute autre considération. Les lois elles-mêmes évoluent de manière à protéger d’abord l’État avant de rendre justice aux demandes d’asile, comme si celles-ci étaient d’emblée des menaces potentielles pour celui-là.

Idil Atak commente dans le détail les mesures d’interception en Europe et au Canada. Les efforts consentis à la traque des personnes réfugiées, les mesures condamnant ces dernières à l’illégalité, les nombreux marqueurs de discrimination conduisent les autorités ni plus ni moins à penser le problème sous l’angle de la criminalité, ce qui va exactement à l’encontre de ce qu’il est nécessaire de faire. De même, Robin Marchioni montre les problèmes structurels qui empêchent la réunification des familles. Il faut ajouter à cela toutes les difficultés inhérentes à la catégorie même de personne réfugiée. Que faire des personnes déplacées en raison des conséquences des changements climatiques ? Emnet Gebre explique les raisons pour lesquelles la crise climatique peut générer des tragédies analogues à la persécution vécue par exemple dans les pays soumis à une dictature. Pourtant, une interprétation trop stricte de la Convention de Genève de 1951 empêche la protection des personnes déplacées en raison des changements climatiques.

Si notre dossier se focalise sur la question des personnes réfugiées, ce qui compte au final c’est la manière dont des individus se trouvent mis au ban de l’humanité, comme s’ils n’en faisaient plus vraiment partie sous prétexte de leur statut. À ce sujet, May Chiu et Émilie Charette dénoncent les idéaux égalitaristes lorsque ceux-ci se présentent comme un luxe consenti aux seules privilégiées et non à toutes les femmes. Il en va de même au sujet des personnes, et des femmes en particulier, victimes de la traite, qui sont vues comme des criminelles alors qu’elles sont des victimes d’une exploitation inhumaine, comme en témoigne l’article de Marie-Andrée Fogg.

Au final, et il s’agit d’un élément central de l’article de Colin Grey, nous pouvons constater un respect inégal des droits humains selon le statut des personnes. Pourtant, la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas un contrat social impliquant les seuls citoyens et citoyennes du Canada. Elle exprime une norme juridique s’appliquant au Canada, ce qui est bien différent. Nous sommes très loin de la logique voulant qu’un droit soit un droit, quelle que soit la personne dont il est le droit. Dans le même esprit, Jenny Jeanes explique en quoi les conditions de détention des personnes migrantes et réfugiées portent atteinte à leurs droits humains. Au moment où les médias accordent un minimum d’attention à la crise humanitaire des personnes réfugiées, il serait important que les citoyennes et les citoyens du Canada aient un portrait juste du sort que leur pays réserve aux personnes sans-statut qui le plus souvent sont traitées comme si elles n’avaient pas le moindre droit. Dominique Peschard révèle toute l’étendue des pouvoirs arbitraires de l’Agence des services frontaliers du Canada. Pascale Chanoux dévoile toute la complexité des parcours des personnes migrantes et combien l’organisation pratique de leur installation se trouve complexifiée par une foule de facteurs. Enfin, Myriam Richard décrit toutes les difficultés qui attendent les personnes réfugiées dans un contexte d’austérité et de précarisation des services publics. En somme, pour en revenir au portrait souriant du Canada comme terre d’hospitalité, nous sommes dans les faits très loin d’un tel idéal. Il ne s’agit en rien d’un manque de moyens. L’ensemble des textes de ce dossier conduisent vers la même conclusion : l’accueil des personnes réfugiées ne relève pas de l’utopie humanitaire, mais d’une volonté politique et citoyenne qui manque jusqu’ici, malgré les beaux discours.

Comment est-il possible qu’un pays aussi riche que le Canada ne soit pas à l’avant-garde des pratiques institutionnelles qui permettraient une grande fluidité et une réelle transparence des procédures ? Est-ce la faute de la seule classe politique ? Ou faut-il également expliquer une telle situation par l’ignorance par la population des faits réels entourant un débat aujourd’hui au cœur de l’actualité ? Si tel est le cas, nous espérons que ce dossier fera œuvre utile. Car l’action qui mène au changement doit toujours commencer par une connaissance adéquate de la vérité effective des choses.

 

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