Les droits des personnes âgées exigent le respect de leur autonomie

Avec la crise sanitaire de la COVID-19, l’autonomie des personnes aînées est remise en cause de manière très radicale et arbitraire.

Un carnet rédigé par Christian Nadeau, président de la LDL

La pandémie rend complexe et difficile l’ensemble de nos vies. De nombreuses personnes se trouvent dans l’obligation de faire des choix tragiques et sont placées devant des dilemmes moraux insolubles. Et pourtant, il leur faut choisir, lorsque les consignes sanitaires des autorités publiques le permettent. Cette capacité de choix témoigne d’une notion importante que nous avons tendance à négliger, voire oublier en raison de l’urgence de la situation : notre autonomie.

Pour un grand nombre d’entre nous, nous pouvons encore vivre nos vies comme nous l’entendons, même si plusieurs aspects de celle-ci nous apparaissent hors de portée pour le moment. Je ne veux surtout pas dire que rien n’a changé, bien au contraire. Mais pour une large part des petites choses du quotidien, nous pouvons effectuer des choix qui sont les nôtres, ce qui entraine des joies et des tristesses, des espoirs et des angoisses, des petites victoires mais aussi des drames.

Ce qui est vrai de manière générale ne l’est toutefois que selon une échelle qui varie beaucoup selon la condition sociale, l’âge, ou d’autres facteurs qui délimitent les bornes de notre existence : une personne pauvre ne dispose pas de la même gamme de choix qu’une personne riche et l’étendue de sa liberté s’en trouvera affectée. Il y a cependant un secteur de la population adulte dont on semble vouloir remettre en cause l’autonomie de manière très radicale en ce moment : les personnes ainées.

Les personnes âgées font aujourd’hui l’objet d’un ciblage particulier, comme le sont d’autres catégories de personnes vulnérables, pensons aux personnes itinérantes. Comme elles, il est facile de leur imposer certaines choses en prétextant leur propre bien d’une part, et celui des autres d’autre part. Il est toutefois choquant de voir ces personnes traitées comme si elles n’étaient pas des adultes responsables, encore capables pour la grande majorité d’entre elles de choix touchant leur propre existence. Bien entendu, et il faut insister, elles ne doivent pas non plus jouir de privilèges qui seraient refusés aux autres.

Mais si en revanche nous les traitons différemment des autres membres de la société, ne sommes-nous pas en train d’accepter l’inacceptable, soit la stigmatisation voire la discrimination à leur égard ?

Tout porte à croire qu’un grand nombre résidences privées pour personnes ainées ne jugent pas nécessaire, dans la situation actuelle, de se doter de politiques fondées sur des principes adéquats de proportionnalité. Pourtant, il n’est pas vrai que toutes les personnes âgées sont limitées dans leur capacité à faire des choix. Et ce n’est certainement pas dans un esprit d’égalité qu’on refuse à tout le monde ce qui devrait être accordé à la majorité des personnes âgées : le droit à tout le moins d’être consultées sur ce qu’elles veulent pour elles-mêmes. Au lieu de cela, faute des temps, de personnel, de moyen, on répond par la négative aux demandes sans explication.

Loin de moi l’idée de condamner en bloc toutes les résidences pour personnes âgées au Québec. Il y a une grande diversité des approches de celles-ci, selon leur population, leur clientèle et leurs moyens d’action et l’espace physique dont elles disposent. Et je salue le travail immense du personnel qui travaille dans des conditions extrêmement difficiles.  Il faut aussi absolument éviter des scénarios comme ce qu’on peut voir en Europe, où des établissements d’hébergement pour personnes âgées ont dû confiner ces dernières et le personnel à l’intérieur même des résidences, par incapacité de contrôler la propagation du virus.

Pour autant, ce ne sont pas simplement des vies qu’il faut sauver, mais bien des personnes, lesquelles méritent que nous les consultions sur leur propre condition d’existence.

Puisque le confinement risque de se prolonger encore plusieurs semaines, il est urgent de prévoir des moyens, financiers mais pas seulement, pour répondre à ce besoin. Pour cela, il faut d’abord répliquer à l’étrange raisonnement suivant lequel, dans le cadre de la pandémie actuelle, la vulnérabilité des personnes âgées les rend moins admissibles au statut de personnes autonomes. On se demande bien pourquoi ce serait vrai puisque des milliers de personnes souffrent de problèmes de santé liés à leur grand âge sans que cela affecte pour autant leur jugement.

Certes, des mesures sécuritaires sont absolument nécessaires et il ne s’agit pas ici de remettre en question toute forme de contrôle. Comme pour n’importe quelle personne, on ne peut laisser la situation empirer en raison des caprices de chacun. Il faudrait toutefois prendre garde à ne pas remplacer un excès par un autre, celui d’une interprétation des consignes de la santé publique par des résidences privées qui, pour une foule de bonnes et de mauvaises raisons, évitent de consulter leur clientèle, pour employer ce vocabulaire.

Il est tout à fait possible de s’entendre sur la fragilité d’hommes et de femmes qui, en raison de leur âge, sont plus à risque.

Mais si, comme le rappellent les autorités sanitaires et le gouvernement lui-même, nous nous refusons à choisir entre les droits d’une femme âgée vulnérable et ceux d’un enfant ou d’une jeune adulte et que nous voulons protéger chaque personne, cela signifie au final que nous devons accorder le même respect à chaque personne, quel que soit son âge. Dès lors, nous ne pouvons confisquer de manière arbitraire aux personnes ainées leur droit de décider pour elles-mêmes.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.