Les droits humains, un bien commun

La pandémie nous montre comment les droits humains concernent l’ensemble de la collectivité et qu’ils ne peuvent être conçus et compris de manière strictement individuelle.

Un carnet rédigé par Alexandra Pierre, vice-présidente de la LDL

Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté.
Nelson Mandela

Depuis un moment déjà, on s’insurge contre la « tyrannie des droits individuels », notamment lorsque proviennent des demandes des personnes issues de groupes marginalisés, groupes qui imposeraient leur loi à la majorité. Les « droits collectifs » (entendu ici, le droit de la majorité) seraient mis en péril par les droits individuels (entendu ici, ceux des groupes minorisés). Or, la COVID-19 nous montre, de façon brutale, à quel point les droits humains concernent l’ensemble de la collectivité et à quel point ils ne peuvent être conçus et compris de manière strictement individuelle.

La pandémie a provoqué un certain renversement du monde. Plusieurs l’ont déjà dit : les activités et professions qui nous semblaient nécessaires sont devenues secondaires, voire inutiles. Financiers, avocats d’affaires, directeurs de marketing, spéculateurs immobiliers et autres riches investisseurs paraissent tout d’un coup moins indispensables. Et celles et ceux que l’on estimait peu ou qu’on ne voyait tout simplement pas sont devenus « essentiels » : caissières de supermarché ou de dépanneurs, commis à la livraison, chauffeurs de taxi, femmes de ménage, préposées aux bénéficiaires dans les résidences privées, et j’en passe…  Les personnes dont la société est en grande partie dépendante aujourd’hui – pour une grande majorité des femmes, souvent racisées, notons-le – sont pourtant, en temps normal, les plus précaires, celles et ceux qui ont bien du mal à faire valoir leurs droits économiques et sociaux. Pensons par exemple à la campagne pour un salaire minimum à 15 $ des dernières années : elle se heurte régulièrement à une fin de non-recevoir sous prétexte qu’une rémunération si mirobolante plomberait aussitôt l’économie. Quelle cruelle ironie ! Mal payées, ces personnes sont aussi mal protégées par les institutions (sécurité au travail, accès au chômage, horaire et conditions de travail, etc.). Il y aurait aussi beaucoup à dire sur notre compréhension et notre considération pour le domaine de la santé publique et pour les gens qui y travaillent.

Considérée comme peu rentable et plus ou moins utile, la santé publique subit un sous-financement chronique et voit ses financements fondre comme neige au soleil depuis plus de 40 ans, sort à peine plus enviable que l’ensemble du système de santé.

De même, la COVID-19 illustre comment les conditions d’existence des plus vulnérables influencent celles des autres qui, souvent, se croient à l’abri. Les personnes âgées, dont certain-e-s ont été largement négligé-e-s ces dernières années, les migrant-e-s sans statut, les personnes en situation d’itinérance, celles vivant des situations économiques précaires, les membres de communautés autochtones du Nord, les détenu-e-s voudraient bien aplanir la courbe, mais … Pour cela, ils et elles devraient pouvoir s’offrir des services adaptés sans devoir sortir, se faire soigner sans crainte, avoir un logement décent ou un logement tout court;  ils et elles ne devaient pas avoir à se rendre au travail au risque de leur santé et de leur vie ou à se déplacer d’un endroit à l’autre pour trouver de quoi se nourrir de manière abordable; ils et elles devraient avoir dans leurs communautés suffisamment de logements abordables et de bonne qualité, ne pas être enfermés dans des lieux d’incarcération surpeuplés, insalubres et sans accès à des soins de santé adéquats, lieux devenus aujourd’hui propices à la propagation de la pandémie. Ces situations posent de sérieuses questions sur la manière dont notre société traite les personnes marginalisées, mais elles font aussi émerger de « nouvelles » attentes pour penser l’après-pandémie.

L’impossibilité pour certain-e-s de faire respecter leurs droits au logement, à la santé, à la protection sociale, à un revenu décent et à la sécurité, la difficulté à rendre effectifs le droit d’asile ou à de bonnes conditions de travail, tout cela met en péril l’ensemble de la société. Pour le dire autrement et pour paraphraser Mandela, si quelqu’un-e est privé-e de ses droits, ce sont les droits de tous et toutes qui sont en danger. En observant la façon dont les inégalités sociales ont accéléré la propagation du virus à l’échelle mondiale, on peut constater que la même logique prévaut d’ailleurs pour les relations entre les peuples et les nations. Si nous voulons sortir de cette crise, mais surtout en éviter d’autres, l’enjeu des droits humains, notamment celui des droits économiques et sociaux, doit être abordé de manière collective : par les gouvernements et les institutions autant que par la population. S’il y a un enseignement à tirer de cette pandémie, c’est celui-là : plus que jamais, nos destins sont liés et c’est pourquoi il est impératif de considérer les droits humains comme un bien commun.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.