DUDH: Questions-réponses pour un cinquantenaire
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Déclaration universelle des droits de l’homme [article 1er]
1. Qu’est-ce que la Déclaration universelle des droits de l’homme?
Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme est le premier texte international à avoir énoncé des droits inviolables et inaliénables dont devrait jouir l’humanité entière. Qu’ils soient civils,politiques, sociaux, économiques ou culturels, les droits consacrés par le préambule et les trente articles de la Déclaration universelle constituent un « idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». En principe, tous les pays membres des Nations Unies sont liés par ce texte, qui n’a toutefois aucune force exécutoire. C’est un texte qui a été ratifié par proclamation (à 48 voix contre 0, avec 8 abstentions), et non un texte de loi à valeur contraignante dont seraient signataires les différents États.
Cependant, la Déclaration universelle jouit d’une telle reconnaissance que les normes qui y sont énoncées sont considérées comme ayant la valeur du droit international coutumier1, si bien qu’elle peut être utilisée pour exercer des pressions morales et diplomatiques sur un État qui n’en respecterait pas les principes. En outre, une conférence mondiale des Nations Unies tenue en 1968 a réitéré le caractère coutumier des normes énoncées dans la Déclaration en affirmant que cette dernière « constitue une obligation pour les membres de la communauté inter-nationale ».
La même année, René Cassin écrivait que se dessinait à l’époque une tendance générale à considérer la Déclaration universelle comme une « loi suprême s’imposant, même sans texte concret d’application, au respect des sociétés civilisées et des êtres humains individuellement ». Le juriste français René Cassin, qui fut longtemps associé à la Fédération internationale des droits de l’homme, et le secrétaire de la Commission des droits de l’homme de l’époque, le Canadien John P. Humphrey, sont considérés comme les principaux rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme.Il faut toutefois rappeler qu’il s’agit d’un travail collectif de rédaction auquel ont aussi grandement participé la présidente de la Commission des droits de l’homme Eleanor Roosevelt, le professeur chinois P.C. Chang, l’avocat chi-lien Hernan Santa Cruz, le philosophe libanais Charles Malik, et le juriste belge Fernand Dehousse.
2. Comment est apparue la notion de droit humain ?
La Déclaration universelle a internationalisé les droits fondamentaux mais ceux-ci existaient bien avant 1948.
La Grèce ancienne croyait en des « lois immuables,non écrites des dieux » et le Droit romain référait à des« droits naturels inhérents à la personne humaine ». Ces droits n’étaient toutefois accessibles qu’à la personne humaine noble. La civilisation gréco-romaine, donc,reconnaissait la légitimité de l’esclavage et l’inégalité sociale des hommes et des femmes, ce qui paraît inadmissible aujourd’hui. Reste que certains historiens et philosophes du droit sont d’accord pour attribuer aux philosophes romains, plus particulièrement à Cicéron, Epictète et Sénèque, la paternité d’une conception nouvelle des droits de l’homme, celle qui aurait servi d’assise aux droits fondamentaux modernes. Le christianisme a aussi été interprété comme ayant favorisé l’épanouissement des droits et libertés. Jésus de Nazareth proclame l’égalité de tous les hommes, valorise le désir de justice et, de façon plus globale, prône la désacralisation de l’État au profit des valeurs de paix et de justice2.
Le Moyen âge a donné le jour à une série de droits codifiés, notamment la Grande Charte anglaise de 1215 (la Magna Carta) prévoyant qu’aucun « homme libre » ne pourra être condamné «sans un jugement loyal de ses pairs conformément à la Loi du pays» (art. 39). La Petition of Rights de 1628 limite les abus des autorités dans la perception des impôts et l’Habeas Corpus Act de 1679 empêche la détention illégale en exigeant que les motifs d’une arrestation soient donnés sans délai.
Malgré cela, cette époque semble avoir perpétué une conception élitiste des droits individuels, semblable à celle que l’on retrouvait dans les civilisations gréco-romaines. Saint Thomas d’Aquin accepte et défend les réalités du servage et de l’esclavage et la Magna Carta accorde la jouissance des droits naturels aux « hommes libres » seulement. Les serfs n’ayant pas de libertés personnelles, ils ne sont concernés d’aucune façon par les théories et codifications médiévales des droits fondamentaux.
Les droits de l’homme n’ont pas été accordés ou reconnus sans peine. Ils ont été conquis de haute lutte; ils ont demandé des révolutions. La lutte des hommes pour leurs droits a commencé par une lutte contre le servage, contre l’arbitraire du pouvoir et contre l’absolutisme royal. Le cheminement des idées d’égalité et de liberté est né de la résistance à l’intolérance religieuse et à l’esclavage économique et politique. En Angleterre, par exemple, le roi avait droit de vie ou de mort sur ses sujets; il était interdit de parler contre lui ou de ne pas avoir la même religion que lui.
Bien que les théologiens espagnols aient réclamé,déjà au XVIe siècle, d’imposer aux puissances coloniales le respect des droits naturels3 et bien que différents traités internationaux de l’époque se soient efforcés d’assurer la protection des minorités religieuses et de certains droits civils4, les auteurs s’entendent habituellement pour situer l’origine législative des droits de l’homme, au sens moderne de cette notion, avec les concepts de liberté et d’égalité qu’elle contient, au Bill of Rights anglais de 1689, survenu à la suite de la Révolution de 1688.
Le Bill of Rights consacre une série de droits importants mais il établit aussi, pour la première fois dans une loi, le parlementarisme (Chambre des lords et Chambre des communes) qui, en opérant la séparation des pouvoirs, vise à assurer la représentation du peuple et à freiner la monarchie absolue. Sont ainsi jetées les bases de la démocratie représentative moderne. Ce texte de loi avait été inspiré des travaux de John Locke qui avait écrit, dans son Traité du gouvernement civil, que certains droits appartiennent à l’homme, en tant que personne humaine, du fait même de son existence. C’est sur ce modèle qu’ont écrit les philosophes français Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau.
En 1748, dans De l’esprit des lois, le baron de Montesquieu préconise un système semblable à celui de Locke dans lequel les pouvoirs sont séparés sur un modèle tripartite (le législatif, l’exécutif et le judiciaire). Cette théorie se fonde sur le principe que tout homme ayant du pouvoir est porté à en abuser. Pour qu’on ne puisse en abuser, il faut que, par une séparation, le pouvoir arrête le pouvoir, c’est-à-dire qu’une branche du gouvernement puisse contrôler ou freiner une autre branche du gouvernement. Pour éviter la tyrannie, il faut éviter les lois adoptées, exécutées et appliquées par la même entité. Dans son Contrat social, Rousseau prétend que les hommes ont conclu entre eux un pacte nécessaire en vertu duquel ils renoncent à certains droits pour en conserver d’autres plus importants : des droits naturels, inaliénables et éternels, comme la vie, la liberté, l’égalité.
Les bouleversements causés par les luttes religieuses du début de la Renaissance avaient entraîné un retour à des régimes absolutistes. C’est dans cette foulée que sont nées les idées humanistes des philosophes des Lumières,qui ont engendré à leur tour deux textes importants : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789et l’American Bill of Rights de 17915. « Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes du malheur public et de la corruption des gouvernements6», les représentants des peuples français et américain ont, la même année, constitutionnalisé les notions de liberté, d’égalité, de dignité, et de souveraineté du peuple.
Chacun des deux textes garantissant à chaque individu des droits civils et politiques, ils imposent des limites essentielles aux pouvoirs de l’État. Il a fallu attendre le XIXe siècle, avec la Révolution socialiste d’octobre et la Révolution mexicaine,pour que soient codifiées des règles relatives aux droits économiques, sociaux et culturels qu’on a vus apparaître dans les constitutions socialistes et qui s’étendront progressivement dans le monde. Les constitutions soviétique, mexicaine et allemande prévoient de tels droits, en réponse aux effets du développement du capitalisme et de ses abus.
Ces constitutions imposent des obligations au même titre qu’elles accordent des droits : droit à l’éducation, droit au travail, droit à la sécurité sociale et à l’assistance médicale, droit de participer à la vie culturelle et scientifique.
Née de la constatation que l’homme doit avoir les moyens de vivre pour pouvoir bénéficier de ses droits, cette nouvelle catégorie de droits commande de grands changements. S’ensuivront des luttes populaires nouvelles. Car le XIXe siècle, c’est le siècle des premières lois sur le travail en usine, du mouvement pour le suffrage universel, des premiers syndicats. C’est aussi le siècle de l’abolition de l’esclavage et des premières conventions humanitaires de Genève (1863) et de La Haye(1899), par lesquelles on tente, pour la première fois de façon universelle, d’ «humaniser la guerre ».
3. Dans quel contexte la Déclaration universelle des droits de l’homme est-elle apparue ?
Précédée par la Charte des Nations Unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée dans le contexte de l’après-guerre. C’est donc à la lumière des violations atroces des droits de la personne commises pendant les deux guerres mondiales qu’il devenait urgent pour la communauté internationale de créer un document visant à assurer, de façon universelle, la protection des droits de la personne.
C’est évidemment la Deuxième guerre mondiale,plus encore que la Première, qui a imposé la protection des droits de la personne comme un objectif essentiel de la nouvelle organisation des Nations Unies. Terrifiés par les découvertes faites dans les camps de concentration nazis, les peuples ont su que la possibilité d’une paix durable ne repose que sur la reconnaissance et la défense des droits fondamentaux. L’humanité ne devait plus être témoin ou victime des déportations, des tortures et des exécutions massives d’êtres humains ou de communautés culturelles entières7.
La Grande dépression de 1929 peut aussi avoir joué un rôle fondateur dans le processus d’adoption de la Déclaration. Le préambule de la Déclaration, proclamant que les êtres humains doivent être libérés non seulement de la terreur mais aussi de la misère, n’est pas sans rappeler un discours du président Roosevelt, le célèbre message du 6 janvier 1941, dans lequel il proclamait :
« Pour l’avenir que nous cherchons à assurer, nous espérons un monde fondé sur les quatre libertés humaines :
La première est la liberté de la parole et de l’expression partout dans le monde.
La deuxième est la liberté pour toute personne de prier Dieu de la façon qui lui convient – partout dans le monde.
La troisième est le droit d’être à l’abri du besoin – ce qui sur le plan mondial signifie la conclusion d’accords d’ordre économique assurant en temps de paix une vie saine aux habitants de tous les pays –partout dans le monde.
La quatrième liberté est le droit de vivre à l’abri de la peur – ce qui sur le plan mondial signifie une réduction des armements, s’étendant au monde entier, et cela à un degré et de façon si complète qu’aucune nation ne soit en mesure de commettre un acte d’agression physique contre ses voisins – nulle part dans le monde.
Ceci n’est pas la vision d’un millénaire éloigné : ceci constitue le fondement même d’un monde que nous devons réaliser à notre époque et pour notre génération.»
Notons enfin la Déclaration de Philadelphie de 1944 par laquelle 41 pays ont reconnu, par la voix des représentants de travailleurs, de patrons et de gouvernements, que la paix durable est fondée sur la justice sociale et que tous les êtres humains ont le droit de poursuivre leur développement spirituel et leur progrès matériel dans la sécurité économique et avec des chances égales. Le fait que ces nouveaux droits aient été acceptés dans cette convention de façon unanime démontre clairement la volonté de la communauté internationale de les reconnaître au même titre que les droits civils et politiques.
4. Quels sont les droits garantis dans la Déclaration?
Pour décrire succinctement les droits proclamés par la Déclaration universelle de droits de l’homme, il est difficile de ne pas reprendre la célèbre métaphore de René Cassin par laquelle la Déclaration devient le vaste portique d’un temple, ce temple étant sans doute « l’idéal commun à atteindre »… :
« Le parvis est formé par le Préambule affirmant l’unité de la famille humaine et dont le soubassement, les assises, sont constituées par les principes généraux de liberté, d’égalité, de non-discrimination et de fraternité proclamés dans les articles 1 et 2.
Quatre colonnes d’importance égale soutiennent le portique.
La première est celle des droits et libertés d’ordre personnel (art. 3 à 11 inclus) : vie, liberté, sûreté et dignité de la personne, égale protection de la loi, garanties contre l’esclavage, la torture, les arrestations et les peines arbitraires, recours judiciaire contre les abus.
La seconde concerne les droits de l’individu dans ses rapports avec les groupements dont il fait partie et les choses du monde extérieur (art. 12 à 17 inclus). L’homme et la femme ont, sur pied d’égalité, le droit de se marier, de fonder une famille, d’avoir un foyer, un domicile, un asile en cas de persécution. Tout être humain a vocation à être membre d’une cité, à être national d’un pays, à exercer sa maîtrise sur les choses qui sont devenues des biens.
Le troisième pilier est celui des facultés spirituelles,des libertés publiques et des droits politiques fondamentaux (art. 18 à 22) : liberté de conscience, de pensée, de croyance, liberté de parole, d’expression, de réunion, d’association, droit de prendre part aux affaires publiques, de participer à des élections périodiques et sincères. La volonté du peuple est proclamée fondement de l’autorité des pouvoirs publics.
Le quatrième pilier, symétrique du premier, dont la puissance ne le cède en rien à celle des autres, est celui des droits économiques, sociaux et culturels (art. 22 à 27 inclus) : droit au travail, au libre choix au travail, à la sécurité sociale, aux libertés syndicales; droit à l’éducation, aux loisirs, à la vie culturelle, à la protection de la création intellectuelle ou artistique.
Sur ces quatre colonnes, il fallait poser un fronton marquant les liens entre l’individu et la société. Les articles 28 à 30 affirment la nécessité d’un ordre social international tel que les droits et libertés de la personne pourront y trouver leur plein effet. Ils proclament aussi l’existence des devoirs de l’individu envers la communauté, ils fixent les limites que l’homme ne peut franchir : celui-ci a des devoirs envers la communauté; il doit respecter les droits et libertés d’autrui; il ne peut attenter aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être dans une société libre et démocratique, ni aux buts et principes des Nations Unies. Ainsi, la Déclaration marque-t-elle un élan continu de l’individuel vers le social.8»
5. Par quels moyens la Déclaration est-elle mise en oeuvre ?
Plusieurs instruments internationaux concernant les droits humains ont été ratifiés au fil des ans pour compléter et mettre en oeuvre les principes proclamés dans la Déclaration.
Deux pactes importants, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ont été adoptés en 1966 pour entrer en vigueur en 1976. Plus d’une centaine de conventions et de déclarations en matière de protection des droits de la personne ont aussi été adoptées par les Nations Unies.
Les plus connues sont :
- la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965);
- la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979);
- la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (1984);
- la Convention relative aux droits de l’enfant (1989);
- la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990);
- la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006);
- la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2006).
Les instruments internationaux des droits de la personne visent tous l’un et/ou l’autre des trois objectifs suivants : protéger, promouvoir, punir.
6. Pourquoi deux pactes différents ?
Lorsque l’on entreprit la rédaction de la Déclaration universelle, on savait qu’il serait nécessaire subséquemment d’élaborer un instrument juridique sujet à la ratification des États puisque la Déclaration constituait un énoncé de principe sans valeur exécutoire. Mais le climat de la guerre froide amène les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada à soutenir que les droits économiques, sociaux et culturels, ne sont pas justiciables et qu’ils ne peuvent donc pas être inclus dans un pacte.Deux types d’arguments de la part des pays occidentaux justifient leur position : d’une part, les droits économiques, sociaux et culturels exigent un engagement des États à agir en mettant sur pied des programmes d’aide.Bref, ces droits nécessitent des engagements financiers de la part des États alors que les droits civils et politiques demandent simplement aux État de ne pas agir de manière à violer ces droits.
D’autre part, certains pays occidentaux poussèrent le raisonnement jusqu’à dire que les droits économiques, sociaux et culturels sont en fait une ruse du bloc soviétique pour imposer le communisme à l’Occident. Mais les pays dits socialistes tiennent à ces droits pour la raison primordiale que les droits civils et politiques ne peuvent se réaliser dans un contexte où l’on n’en a pas les moyens. Plus encore, les droits civils et politiques sont de bien piètres préoccupations lorsque les besoins les plus primaires et les plus vitaux ne sont pas comblés… Que signifie le droit à la vie quand onsouffre de malnutrition sinon le droit élémentaire à un niveau de vie décent ? Que signifie la liberté d’expression dans un contexte d’analphabétisme sinon le droit initial d’être instruit ?
Aux antipodes l’une de l’autre, ces deux position sont toutefois débouché sur un compromis, en 1952, lors-que l’Assemblée générale des Nations Unies adopta une résolution demandant à la Commission des droits de l’homme de rédiger deux pactes distincts. Théoriquement, on parlait à ce moment d’interdépendance entre les deux catégories de droits mais, dans les faits, l’Occident a mis l’accent sur les droits civils et politiques tandis que les États dits socialistes et ceux du Tiers-Monde ont mis l’accent sur les droits sociaux, économiques et culturels ainsi que sur le droit au développement (appartenant à une troisième génération de droits). Ce n’est qu’avec la tenue de la Conférence de Vienne en 1993 que l’on reviendra véritablement aux principes d’indivisibilité de ces deux catégories de droits.
7. Quelle protection des droits de la personne assurent les pactes et les conventions ?
La terminologie employée dans les divers instruments internationaux indique la nature et l’étendue des engagements des États en matière de protection des droits qui y sont consacrés. Ainsi, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, on parle d’un engagement par les pays à respecter et à garantir de façon immédiate tous les droits reconnus dans le Pacte de même qu’à prendre des mesures législatives et constitutionnelles propres à donner plein effet aux droits qui y sont énoncés. Dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, on parle plutôt d’un engagement par le pays concerné à agir, au maximum de ses ressources, de façon assurer progressivement les droits énoncés.
Deux modes de réalisation différents, donc, bien que les normes énoncées dans les deux Pactes soient tout aussi impératives les unes que les autres. Mais cette hiérarchisation entre les deux générations de droits est fortement critiquée, principalement depuis l’adoption du programme d’action à la Conférence mondiale de Vienne en 1993 dans lequel il est affirmé que tous les droits sont universels, indivisibles et interdépendants.
Les conventions, que ce soit celle contre la torture, contre la discrimination raciale, contre la discrimination à l’égard des femmes ou celle sur les droits de l’enfant, disent pour leur part que les états doivent prendre toutes les mesures nécessaires, appropriées ou efficaces pour assurer la protection des divers droits. En vertu des six instruments mentionnés ci-haut, on a mis sur pied différents mécanismes de contrôle. Les plus répandus sont des rapports périodiques provenant des États sur les mesures prises pour rendre effectifs les droits reconnus, sur les progrès que ces droits ont réalisés et sur les difficultés rencontrées.
Dans le Pacte sur les droits civils et politiques, on crée le Comité des droits de l’homme, chargé d’étudier les rapports soumis par les pays membres sur les mesures adoptées pour donner effet aux droits du pacte. De tels rapports sont aussi prévus dans le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, de même que dans les conventions citées, et ils doivent faire état des mesures adoptées et des progrès accomplis par les États pour donner effet à leurs engagements.
Ces rapports sont adressés au secrétaire général des Nations Unies qui les transmet aux comités appropriés pour examen (Comité des droits de l’homme, Comité des droits économiques et sociaux, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Comité contre la torture, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Comité des droits de l’enfant). Plusieurs instances ont été créées pour aider les comités, qui sont formés d’experts indépendants, dans l’étude de ces rapports ou sur les situations de violation des droits : la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, les rapporteurs spéciaux chargés de l’examen de la situation dans des pays particuliers ou chargés de thèmes spécifiques, tels le rapporteur spécial sur la torture ou la rapporteure spéciale sur la violence à l’égard des femmes. Pour que ce système soit relativement efficace, il faut que les rapports soient assez fréquents, qu’ils prennent la forme d’un questionnaire détaillé, qu’ils aboutissent à des recommandations spécifiques plutôt que générales, qu’ils soient communiqués aux ONG pour commentaires, qu’ils soient examinés par un organe indépendant et impartial (organe qui ne devrait pas se limiter au rapport fourni par l’État mais qui devrait pouvoir étudier les informations fournies par les ONG) et que tout le processus soit ouvert et les recommandations publiées. C’est pourquoi il est fondamental que les ONG participent activement au processus en alimentant les instances onusiennes, en fournissant des contre-rapports, des analyses de situation de leurs pays, des statistiques, des effets sur les droits de la personne de diverses mesures législatives ou administratives, etc.
8. Quel rôle jouent les pactes et les conventions dans la promotion des droits de la personne ?
L’engagement des États qui ratifient des documents internationaux ne se limite pas à la protection des droits qui y sont consacrés mais s’étend à l’obligation d’en faire la promotion. La promotion des droits de la personne se fait de deux façons principales: d’une part, par l’adoption en droit interne de normes conformes à ces instruments internationaux des droits de la personne et, d’autre part, par l’éducation et la sensibilisation aux droits.
Ainsi, la rédaction de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec est directement inspirée par la Déclaration universelle de même que par la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne).
La même affirmation vaut, jusqu’à un certain point, pour la Charte canadienne des droits et libertés. Dans certains cas, la ratification de certains documents internationaux par le Canada a donné lieu à l’adoption directe de dispositions législatives internes. Ainsi, par exemple, lorsque le Canada a ratifié, en 1985, la Convention contre la torture, le législateur a amendé la Loi sur le système correctionnel pour interdire de faire subir aux prisonniers un traitement inhumain, cruel ou dégradant, d’y consentir ou de l’encourager. En plus d’être une source d’inspiration pour l’adoption de normes législatives nationales, le droit international des droits de la personne est une source d’interprétation du droit interne.
Ainsi, les tribunaux canadiens, que ce soit la Cour suprême du Canada ou le Tribunal des droits de la personne du Québec, s’appuient régulièrement sur les conventions et sur la jurisprudence des instances internationales, soit celle du Comité des droits de l’Homme de l’ONU et celle de la Cour européenne, pour interpréter les droits garantis dans la Charte canadienne ou dans la Charte québécoise des droits et libertés. Enfin, le droit international des droits de la personne peut inspirer les gouvernements nationaux dans l’adoption de politiques gouvernementales9.Un élément essentiel de la promotion des droits est l’éducation et la sensibilisation. Tous les documents internationaux affirment la responsabilité qui incombe à tous les peuples, à tous les États, de promouvoir, par l’enseignement et l’éducation, le respect des droits humains et les libertés fondamentales.
Pour l’UNESCO, l’éducation aux droits et à la démocratie est non seulement une condition essentielle au plein épanouissement de la justice sociale, de la paix et du développement mais elle est, en soi, un droit fondamental. Lors d’un congrès international tenu à Montréal en 1993 et organisé par l’UNESCO et le Centre des Nations Unies pour les droits de l’homme, un plan d’action mondiale pour l’éducation aux droits de l’homme et à la démocratie a été adopté. Ce plan d’action vise l’apprentissage de la tolérance, de la solidarité, de la participation à la vie sociale, la modification de comportements portant atteinte aux droits, notamment le respect du droit à l’égalité des femmes. On y lit que le plus grand défi des années à venir sera de renforcer l’universalité des droits en les enracinant dans les différentes traditions culturelles ainsi que de comprendre les relations entre les conditions économiques et l’accès aux droits. La mise en oeuvre de ce plan relève de la communauté internationale, mais aussi des États, de tous les organes de la société et des ONG. Ici, au Québec, l’une des missions de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, telle que définie à l’article 71 de la Charte québécoise, est «d’élaborer et appliquer un programme d’information et d’éducation, destiné à faire comprendre et accepter l’objet et les dispositions de la Charte» de même qu’à «diriger et encourager les recherches et publications sur les droits et libertés fondamentaux». Les organismes de défense des droits, comme la Ligue des droits et libertés, ont également comme objectif premier l’éducation et la sensibilisation aux droits.
9. Quels mécanismes sont prévus dans les pactes et les conventions pour punir les violations des droits de la personne ?
Il faut d’entrée de jeu comprendre que la notion de punition ne fait pas référence, en droit international, à la sanction pénale. Un État peut être «reconnu coupable» de violation des droits de la personne mais cet État fautif ne peut pas aller en prison! La punition la plus fréquente, en droit international des droits de la personne, sera celle d’obliger l’État à modifier sa législation. Ainsi, en plus du mécanisme de contrôle par voie de rapports, certains instruments prévoient la possibilité de requêtes individuelles par les ressortissants des pays qui ont reconnu la compétence des organes de contrôle. Un tel droit de communication individuelle existe en vertu du Pacte sur les droits civils et politiques, de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
Le Canada a signé le Protocole additionnel relatif aux droits civils et politiques, avec comme conséquence qu’il accepte de reconnaître la juridiction du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, en cas d’allégation de violation du Pacte. Le Canada a fait l’objet, au cours de sans, de plusieurs plaintes individuelles, dont une très célèbre, l’affaire Lovelace. La Loi sur les Indiens prévoyait qu’une femme indienne ayant épousé un non-Indien perde son statut d’Indienne. Conséquence : elle ne pouvait pas vivre dans la réserve ni transmettre son statut d’Indienne à ses enfants. Par contre, un homme indien ne perdait pas son statut d’Indien s’il épousait une non-Indienne. Des femmes indiennes ont contesté l’aspect discriminatoire de cette disposition devant les tribunaux. En 1974, la Cour suprême du Canada a conclu, dans l’affaire Lavell, qu’il y avait égalité devant la loi car toutes les femmes indiennes étaient traitées de la même façon et qu’en conséquence cette disposition n’était pas discriminatoire. Madame Lovelace a saisi le Comité des droits de l’Homme de l’ONU qui lui a donné raison et qui a conclu à discrimination et à la violation par le Canada du droit pour les minorités d’avoir leur vie culturelle propre (article 27 du Pacte sur les droits civils et politiques). Le Comité a donc fait part de ses constatations au Canada, en lui demandant de modifier sa législation en conséquence. Ce que le Canada a fait10 ans plus tard. Il existe une précondition essentielle à l’exercice de ce droit de communication individuelle : tous les recours internes doivent avoir été épuisés avant de s’adresser à une instance internationale. Mais madame Lovelace n’avait pas à le faire directement puisque le plus haut tribunal du pays s’était déjà prononcé sur cette question. On considère alors que les recours internes sont épuisés parce que les chances d’un nouveau jugement favorable sont illusoires. Plusieurs autres mécanismes de contrôle sont aujourd’hui discutés. Un mouvement important lutte pour que soit adopté un protocole additionnel à la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, permettant aux femmes de transmettre au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des communications individuelles sur des allégations de violation de droits inscrits dans la Convention.
De la même façon, plusieurs ONG de développement et de défense des droits militent pour que soit renforcée la justiciabilité des droits économiques et sociaux en faisant pression sur la communauté internationale et les gouvernements nationaux pour que soit adopté le projet de protocole additionnel au Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, permettant des recours individuels devant une instance internationale. On fait valoir que l’adoption d’un tel protocole encouragerait les États à prévoir des voies de recours du même genre aux niveaux national et local qui font, à l’heure actuelle, cruellement défaut, comme c’est le cas au Canada et au Québec.
Finalement, depuis le 18 juillet 1998, il existe pour la première fois dans l’histoire une Cour criminelle internationale permanente. Certes, on avait déjà assisté à la création de tribunaux ad hoc pour juger des grands crimes internationaux commis dans le cadre de conflits armés (Nuremberg et Tokyo, suite à la Deuxième Guerre mondiale; puis récemment le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie; et le Tribunal pénal international pour le Rwanda) mais ces tribunaux possédaient une compétence limitée matériellement et temporellement. C’est entre autres grâce à la concertation de 300 ONG nationales et internationales, formées en une Coalition pour une Cour criminelle internationale, que la Cour permanente a pu voir le jour.
10. Quel sera le travail de la Cour criminelle internationale ?
On étudiait depuis 1920 la possibilité de créer un tribunal pénal international permanent pour juger les individus accusés des violations graves du droit humanitaire. La fin de la Guerre froide a ramené ce débat à l’ordre du jour. Composée de 18 juges de nationalités différentes, la Cour siégera en permanence à La Haye et aura pour vocation de juger les auteurs présumés10de quatre crimes internationaux : crime de génocide,crime contre l’humanité, crime de guerre et crime d’agression, où qu’ils soient commis dans le monde. Le statut de ce tribunal n’est pas encore ratifié parles États11 que les critiques pleuvent déjà. Il contient effectivement de graves failles, telle la clause suspensive qui permet aux États signataires de s’abstenir de respecter les clauses en matière de crimes de guerre pendant sept ans (art. 111 bis). Une ONG a d’ailleurs appelé cette clause «une licence pour tuer pendant sept ans». On critique aussi le fait que l’infraction de crime de guerre n’inclue pas le recours aux armes de destruction massive (nucléaire, chimique et biologique) ni le re-cours aux mines antipersonnel. Il faut toutefois rappeler que des conventions existent à cet effet, qu’elles sont ratifiées en grand nombre et que, par conséquent,ces armes sont prohibées par le droit international humanitaire12.
La Cour criminelle internationale tiendra compte de toutes les sources du droit international pour juger des crimes compris dans son statut. Enfin, telle qu’elle a été adoptée, la Cour criminelle internationale est un compromis et présente de nombreuses concessions, notamment à cause de la résistance acharnée des États-Unis, de la Chine et d’Israël, mais elle est également un grand pas en avant dans la recherche de la justice, de la prévention et de la sanction des crimes commis dans le cadre de conflits armés.
11. Lorsqu’un État ratifie un instrument relatif aux droits humains, quelles sont les obligations qu’il contracte ?
La nature des engagements des États est différente selon chacun de ces instruments. Lorsqu’un État s’engage par traité ou convention, il accepte de leur donne reffet dans son droit interne. Il existe sur ce point deux types de système juridique relativement à l’incorporation des engagements internationaux dans le droit interne : lemonisme et le dualisme. Dans les pays monistes, une convention ou un traité est automatiquement intégré dans le système interne du seul fait de sa ratification par l’État; cela permet à un individu de l’invoquer devant un tribunal interne. Dans un pays dualiste, comme le Canada, on doit incorporer par une loi de mise en oeuvre les textes internationaux, à défaut de quoi une personne ne pourra pas se prévaloir des normes internationales devant un tribunal interne, même si le pays con-serve ses engagements au plan international13.
En ratifiant les instruments relatifs aux droits de l’homme, l’État devient responsable devant la communauté internationale, devant les autres États qui ont ratifié les mêmes textes, ainsi que devant ses ressortissants. Ses obligations sont diverses et la nature de ses engagements diffère selon l’instrument ratifié mais,dans tous les cas, l’État doit agir pour la réalisation effective des droits reconnus par le pacte ou la convention, à défaut de quoi il sera tenu responsable de ne pas avoir respecté ses obligations internationales. Sa responsabilité est engagée quand il ne prend pas les mesures préventives appropriées, ne dénonce pas rapidement, ne fait pas enquête ou n’offre pas recours et réparation aux victimes. L’État doit être pro-actif et agir avec toute la «diligence voulue». En vertu de cette doctrine, les obligations des États ne se limitent pas à la prévention, à l’interdiction et à la punition des violations, mais nécessitent également des mesures positives pour protéger et promouvoir l’exercice des droits.
12. Comment le Canada a-t-il adapté sa législation conformément aux instruments internationaux qu’il a ratifiés ?
Le domaine des droits de la personne est assez récent au Canada. Le premier texte en cette matière, la Déclaration canadienne des droits, date de 1960. Ce texte était applicable sur tout le territoire canadien mais, en tant que texte «quasi constitutionnel», il n’avait qu’une valeur interprétative. Il a fallu attendre le rapatriement de la Constitution, en 1982, pour que soit incorporé à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique un document constitutionnel de protection des droits fondamentaux : la Charte canadienne des droits et libertés. En plus du droit fondamental à la vie, à la liberté et à la sécurité (art. 7), la Charte canadienne des droits et libertés garantit aux Canadiens des libertés fondamentales de religion, de pensée, d’opinion, de réunion,d’association (art. 2); des droits démocratiques (art. 3 à5); des garanties juridiques (art. 7 à 14); le droit à l’égalité (art.15). Elle garantit également les libertés de circulation (art. 6), elle fait de l’anglais et du français les deux langues officielles du pays (art. 16 à 22), elle donne le droit à l’instruction dans la langue d’une minorité quand le nombre le justifie (art. 23), et garantit des droits et libertés ancestraux aux peuples autochtones (art. 25). Étant enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1867, la Charte canadienne est la loi suprême au pays : elle a préséance sur les autres lois et « rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit14» (art. 52). Le domaine d’application de la Charte canadienne est public, c’est-à-dire que cette Charte est conçue pour régir les rapports entre les individus et l’État et non les rapports privés. Elle s’applique donc au Parlement et au gouvernement du Canada ainsi qu’à la législature et au gouvernement de chaque province (art. 32). On remarque que la Charte canadienne protège les droits civils et politiques mais qu’elle ne comporte aucune reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels. Certains groupes ont bien tenté de démontrer que les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité (art. 7) sont tributaires d’une reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels et donc d’étendre l’interprétation de l’article 7 de façon à ce qu’il contienne des droits sociaux ou économiques, mais les tribunaux ont toujours refusé cette interprétation. C’est ce qui a amené divers mouvements sociaux au Canada à proposer l’adoption d’une Charte sociale qui serait incluse dans la Constitution canadienne, une proposition qui a été rejetée jusqu’à maintenant. Il existe d’autres instruments législatifs fédéraux telle la Loi canadienne sur les droits de la personne (1978) qui vise à contrer la discrimination dans la fonction publique fédérale et dans les domaines privés de juridiction fédérale. Il y a également la Loi sur l’équité en matière d’emploi (adoptée en 1995) qui vise la fonction publique fédérale et les entreprises de juridiction fédérale. Elle garantit aux femmes, aux Autochtones, aux minorités visibles et aux handicapés des chances égales lors de la recherche d’un emploi.
13. Et le Québec?
C’est en 1975, au Québec, qu’a été adoptée la Charte des droits et libertés de la personne. Les autres provinces canadiennes avaient adopté avant le Québec des lois en matière de droits individuels, mais le Québec est la seule province à posséder une charte, un texte quasi constitutionnel ayant préséance sur les autres dispositions de la province. Au départ, le projet de texte (La Charte du Québec) était proposé comme amendement du Code civil et faisait référence explicitement à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais, de façon générale, on s’entend pour dire que c’est essentiellement la Déclaration universelle, les deux Pactes et la Convention européenne qui ont inspiré la rédaction de la Charte québécoise. Contrairement à la Charte canadienne, la Charte québécoise s’applique aussi aux rapports privés, c’est-à-dire qu’il est possible, en vertu de la Charte québécoise,de demander que cessent des violations – ou que soient accordées des réparations pour des violations – commises par des individus ou des entreprises privées. En Amérique du Nord, la Charte québécoise est unique par sa reconnaissance des droits économiques et ociaux, en plus des droits civils et politique. Elle reflète une pensée plus contemporaine en réaffirmant l’indivisibilité des deux générations de droits. Il a été clair dès le départ que la Charte québécoise ne se limiterait pas aux libertés fondamentales, aux garanties juridiques, aux droits démocratiques et au droit à l’égalité. Elle allait inclure les droits économiques et sociaux parce qu’ils faisaient partie des droits fondamentaux tant dans la Déclaration universelle que dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Toutefois, les droits économiques, sociaux et culturels reconnus dans la Charte québécoise servent à titre déclaratoire et interprétatif; ils n’ont pas préséance sur les autres lois et ils ne peuvent pas, seuls, fonder un recours en justice. En plus de consacrer, comme la Charte canadienne,les droits et libertés fondamentaux (art. 1 à 9.1), le droit à l’égalité (art. 10 à 20), les droits démocratiques (art. 21 et 22), les droits judiciaires (art. 23 à 38) et les droits économiques et sociaux (art. 39 à 48), la Charte des droits et libertés de la personne du Québec accorde aux individus quinze droits qui ne sont pas conte-nus dans la Charte canadienne: droit à la dignité, à l’honneur et à la réputation; droit au respect de la vie privée; droit à la jouissance paisible de ses biens; droit au respect du secret professionnel; droits judiciaires applicables aux tribunaux administratifs; droit à l’assistance d’un avocat pour toute personne; droit à la protection de l’enfant; droit à l’instruction publique gratuite; droit à l’enseignement religieux et moral;droit aux écoles privées; droit à l’information; droit à l’assistance financière; droit à des conditions de travail justes et raisonnables; égalité des époux; protection des personnes âgées ou handicapées; obligation de porter secours à une personne en danger.Enfin, deux instances capables de veiller à ce que lesdroits soient respectés sont instituées par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse assure la promotion et le respect des principes contenus dans la Charte. Son rôle est également d’enquêter sur toute plainte de discrimination (incluant l’exploitation des personnes âgées ou handicapées), de favoriser un règlement, de donner des avis sur les projets de loi et les législations se rapportant à la Charte et de faire la promotion de la Charte. Elle doit aussi favoriser la mise en place et surveiller l’application des programmes d’accès à l’égalité dans les milieux de travail. De son côté, le Tribunal des droits de la personne a compétence pour juger toute demande portant sur l’emploi, le logement, les biens ou services offerts au public ainsi que toute cause relative à un programme d’accès à l’égalité. Les membres de ce Tribunal sont choisis enfonction de leur connaissance et de leur expertise dans le domaine des droits de la personne.
14. Existe-t-il d’autres mécanismes de protection des droits de l’homme ?
En parallèle avec le système universel de protection des droits humains, il existe des systèmes régionaux.C’est l’Europe qui possède les systèmes de protection les plus évolués et les plus anciens; viennent ensuite les continents américains et africains. De son côté, l’Asie ne peut en réclamer aucun. L’existence même de ces systèmes régionaux enrichit de façon importante la protection des droits de la personne car, à l’intérieur de nombreux États, les individus se trouvent ainsi protégés par plus d’un système. Leur jurisprudence influence le système universel et vice versa. Créé en 1949, le Conseil de l’Europe est responsable d’une centaine de traités relatifs aux droits de l’homme,aux questions culturelles, sociales ou portant sur l’éducation. Son principal instrument, adopté en 1950, est la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales(la Convention européenne) qui aservi de fondement à plusieurs normes en droit international des droits de la personne. C’est en outre cette Convention qui créé la Commission et la Cour européen-ne des droits de l’homme dont la jurisprudence est sou-vent citée.
Sur le continent américain, l’Organisation des États américains, constitué en 1948, est la principale institution s’intéressant aux droits de la personne16. En 1948, L’OÉA adopte la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’homme, premier instrument interétatique du genre et qui inspiré la rédaction de la Déclaration universelle, les deux documents énonçant d’ailleurs des normes non contraignantes17. Mais l’instrument principal de protection des droits dans le système américain est la Convention américaine des droits de l’homme, adoptée en 1969, entrée en vigueur en 1978, et qui s’est grande-ment inspirée du Pacte civil et de la Convention européenne. Cette Convention demande toutefois aux États de s’engager à assurer progressivement la réalisation des droits économiques et sociaux. Comme le Conseil de l’Europe, l’OÉA a institué ses propres organes de contrôle dont la Commission et la Cour interaméricaine de droits de l’homme et, comme dans le système européen, les affaires soumises doivent être examinées d’abord par la Commission pour ensuite être entendues par la Cour. La Cour interaméricaine, contrairement à la Cour européenne, n’a pas le pouvoir d’imposer des sanctions pour non-respect des droits qu’elle garantit. Sa jurisprudence est d’ailleurs surtout composée d’avis consultatifs.
L’Afrique n’est pas en reste avec sa propre institution protégeant les droits humains, créée en 1963 : l’Organisation de l’unité africaine. En 1981, cette organisation adoptait à l’unanimité la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette Charte se distingue toute-fois de ses prédécesseurs (la Déclaration universelle, les deux Pactes ainsi que certains documents régionaux),qui l’ont néanmoins inspirée lorsqu’elle proclame des devoirs en plus des droits, lorsqu’elle accorde une place importante aux droits économiques, sociaux et culturels,lorsqu’elle garantit des droits collectifs autant que des droits individuels et, enfin, lorsqu’elle consacre une toute nouvelle catégorie de droits : le droit au développement économique, social et culturel, le droit à la jouissance du patrimoine commun et le droit à un environnement satisfaisant et global. Ces différents systèmes régionaux apportent une contribution dans l’élaboration des normes qui régissent le système international et les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne.
15. Quel rôle a joué la Conférence mondiale sur les droits humains de Vienne?
La conférence mondiale sur les droits de l’homme qui s’est tenue à Vienne en juin 1993 constitue un repère important pour comprendre la configuration des enjeux actuels portant sur les droits et le mouvement pour la protection des droits. Avec plus de 7000 participants, dont 2500 représentants d’ONG, la Conférence de Vienne a constitué le plus grand rassemblement international sur les droits de l’homme jamais tenu. Cette Conférence a servi principalement à réaffirmer les principes d’universalité et d’indivisibilité des droits fondamentaux, à réaffirmer les liens d’interdépendance entre démocratie, développement et respect des droits humains et à réaffirmer enfin que les droits des femmes sont pleinement des droits humains. C’est ce qu’on appelle le « Consensus de Vienne ».
Les objectifs de cette Conférence étaient d’évaluer les progrès accomplis dans ce domaine depuis 1948, d’identifier les obstacles et les façons de les surmonter, d’examiner le lien entre le développement et les droits économiques, sociaux et culturels et les droits civils et politiques, d’évaluer l’efficacité des mécanismes et des méthodes onusiennes et de recommander des moyens pour assurer les finances et les autres ressources des Nations Unies dans les domaines reliés aux activités des droits humains. Elle a débouché aussi sur l’adoption d’un plan d’action devant guider l’ONU et la communauté internationale dans la mise en oeuvre des droits énoncés dans la Déclaration universelle et dont un premier bilan doit être fait en 1998 à l’occasion du cinquantième anniversaire. Le principe d’universalité et d’indivisibilité des droits humains était à nouveau contesté par plusieurs.
En Asie, nombre de gouvernements estiment que les droits de l’homme tels qu’énoncés sont définis selon les normes occidentales; d’après eux, ces normes ne s’accordent pas avec leurs valeurs (plus communautaires qu’individuelles). Aux États-Unis, ce principe est difficilement conciliable avec les intérêts; ce pays n’a pas adhéré à la Convention relative aux droits de l’enfant ni à la Convention sur la discrimination à l’égard des femmes. Pourtant, la Déclaration universelle et les droits qu’elle proclame s’inscrivent dans le contexte d’un groupe, d’une communauté et d’une société. Pour la première fois dans l’histoire, les gouvernements se sont engagés à donner la priorité à la protection et à la promotion des droits humains des femmes. La Déclaration affirme que « la participation totale et égale des femmes à la vie politique, civile, économique, sociale et culturelle doit être garantie ». Cette priorité s’est traduite dans tous les aspects de l’activité de l’ONU. La Conférence a souligné qu’il était nécessaire d’oeuvrer à l’élimination de la violence envers les femmes dans la vie publique et privée et de toutes formes de harcèlement et d’exploitation sexuels incluant celles résultant des pratiques coutumières ou traditionnelles, des préjugés culturels et de l’extrémisme religieux. L’adoption de la Déclaration sur l’élimination de la violence envers les femmes et la nomination d’une Rapporteure spéciale sur la question sont l’une des réalisations majeures de la Conférence.Il convient également de souligner que la Conférence a reconnu l’importance du travail des ONG dans la promotion des droits humains et dans l’action humanitaire aux niveaux national, régional et international. Elle a d’ailleurs recommandé de leur donner les moyens de jouer un rôle majeur dans le débat. La nomination d’un Haut-Commissaire pour les droits de l’homme longtemps réclamé par les ONG fait également partie des réformes accomplies par l’ONU. Enfin, les États se sont engagés à éliminer diverses pratiques qui violent les droits de l’homme, à mettre en place des institutions pour leur protection ou à ratifier les pactes et conventions relatifs aux droits humains de divers groupes minoritaires et vulnérables.
16. Où en est rendu le mouvement pour les droits humains ?
Depuis une vingtaine d’années, on a vu une croissance énorme du mouvement pour les droits humains avec le développement rapide d’ONG nationales en Afrique, en Asie, et en Amérique latine notamment. Aux plans national, régional et international, des réseaux d’action se sont constitués, ce qui montre que l’idée et la pratique de la coopération a fait son chemin. De plus en plus, les organisations pour les droits humains mènent des actions concertées et développent des stratégies communes sur divers enjeux.
Le rôle important que les ONG ont joué lors de la Conférence mondiale de Vienne, tout comme l’action souvent déterminante qu’elles mènent auprès de la Commission des droits de l’homme de l’ONU et des autres instances internationales, reflète l’ampleur grandissante de leur travail pour la promotion et la protection des droits humains dans toutes les parties du monde. La Conférence de Vienne s’est d’ailleurs félicitée de la contribution des ONG et a souligné l’importance de la poursuite du dialogue et de la coopération entre ces organisations et les gouvernements qui, dans bien des cas pourtant, continuent de commettre des violations sérieuses ou massives des droits humains et à exercer des répressions terribles à l’endroit des «défendeurs des droits». Il est clair que l’ampleur actuelle des violations des droits et les nouvelles menaces à ces droits apparaissant au tournant de ce siècle exigent un développement encore plus important de mouvement pour les droits humains et un accroissement de son impact. À cet égard, le travail d’éducation au droit et de concertation entre les diverses composantes du mouvement, au sein duquel il faut inclure diverses organisations étatiques ou interétatiques ainsi que des instituts et centres de recherche divers, s’avère tout à fait essentiel.
L’idéal que propose la Déclaration universelle des droits de l’homme demeure pleinement d’actualité et doit être poursuivi avec détermination si l’on veut assurer l’égale dignité de tous les êtres humains. Alors autant qu’au moment de sa formulation, la pertinence de la Déclaration universelle doit être rappelée aujourd’hui. Doivent être rappelés aussi les concepts d’universalité et d’indivisibilité des droits fondamentaux.
En 1948, les valeurs prédominantes étaient l’individualisme, la sécularité et le nationalisme. En 1998, le monde est davantage préoccupé par les droits collectifs qui semblent entrer en conflit avec les droits individuels, par les allégeances religieuses qui semblent s’opposer aux engagements sécularisés, par la globalisation des droits plutôt que les intérêts nationaux. Mais partout les droits de la personne se trouvent encore bafoués et le monde est encore frappé par l’horreur, la barbarie et le génocide. Le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme est une occasion de rappeler la beauté de sa naissance et la portée de son existence, en posant un regard critique à la fois son contenu et sur son application dans la société internationale actuelle.
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