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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Stéphanie Mayer,
vice-présidente de la Ligue des droits et libertés
Alexandra Pierre,
présidente de la Ligue des droits et libertés
Cet hiver, la Ligue des droits et libertés (LDL) a organisé une série de six webinaires sur l’impact de la pandémie de la COVID‑19 sur les droits humains (voir l’article à la page 61). Ces rencontres ont permis d’aborder une foule de sujets en lien avec la crise sanitaire : l’instrumentalisation de la catégorisation de personnes vulnérables comme ce fut le cas pour les ainé-e-s, l’accès difficile à une protection sociale adéquate pour de multiples travailleuses et travailleurs, la gestion de la pandémie comme un enjeu de sécurité publique plutôt que de santé publique, le rôle de la santé publique au Québec, les technologies numériques comme outils de surveillance, l’exacerbation des discriminations raciales systémiques pendant la crise, l’étendue des pouvoirs discrétionnaires des gouvernements, etc. Lors de ces webinaires, de nombreuses réflexions ont convergé vers le constat suivant : la crise a été marquée par un déficit des mécanismes démocratiques de participation et de consultation de la population.
Face à une menace comme la pandémie de la COVID-19, il est évidemment attendu d’un gouvernement qu’il agisse avec diligence. D’ailleurs, dès le 13 mars 2020, le gouvernement de la Coalition avenir Québec a déclaré un état d’urgence sanitaire, comme prévu dans la Loi sur la santé publique. Or, depuis maintenant plus d’un an, en vertu des pouvoirs étendus que lui confère la loi, le gouvernement dirige en adoptant des décrets au nom de la santé publique, sans consulter les député-e-s de l’Assemblée nationale, et encore moins la population.
La gestion du gouvernement Legault, centralisée, opaque et qui perdure dans le temps, a été déplorée par presque toutes et tous les panélistes des webinaires. Et ce mode de gouvernance n’aura pas été sans conséquence, particulièrement pour certains groupes de la population déjà marginalisés ou vulnérables. Nos invité-e-s ont souligné l’importance de la participation citoyenne, même en temps exceptionnel de pandémie – ou plutôt surtout durant une pandémie – rappelant qu’action et démocratie ne sont pas antinomiques, mais bien complémentaires.
Qu’est-ce que le droit à la participation ?
Dans les instruments internationaux de droits humains, il n’existe pas de droit autonome à la participation comme il existe un droit à la santé ou un droit à la protection sociale. Cependant, pour chaque droit reconnu par ces instruments, deux dimensions sont à prendre en considération : 1) le contenu du droit, sa substance ou ce qu’il annonce, et 2) les mécanismes appropriés pour le mettre en oeuvre et s’assurer que les États s’acquittent de leurs responsabilités légales. La participation des titulaires des droits fait partie intégrante de ces mécanismes ; elle y est même centrale.
Par exemple, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le droit à la santé suppose un état de complet bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie, et qui exige de tenir compte des déterminants sociaux de la santé. En vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), dont le Canada est signataire depuis 1976, l’État doit assurer la participation active des populations aux prises de décisions afin de trouver des solutions accessibles, adaptées et acceptables de leur point de vue. Il a aussi la responsabilité de prendre en compte les vulnérabilités de certaines populations dans cette même perspective. Ainsi, le droit à la participation doit avoir un objet, c’est-à dire un droit auquel il est associé.
Il faut souligner que les instruments internationaux ne parlent pas que de participation, mais bien de participation effective. Cela va bien au‑delà des consultations formelles ou symboliques : la participation doit avoir un impact significatif sur les décisions, surtout en ce qui concerne les populations les plus marginalisées et vulnérables. En somme, le droit à la participation suppose de prendre part au processus de prises de décision publique et, conséquemment, d’avoir l’assurance d’être considéré dans la conception, la planification et l’implantation des politiques ou services devant garantir le respect de ses droits.
Pour faire face à leurs obligations de respect et de promotion des droits humains, les États doivent nécessairement être informés de la réalité des différentes populations sur leur territoire. La prémisse est la suivante : il est impossible de prendre de bonnes décisions sans l’apport significatif des premières et premiers concerné-e-s. Dans ce sens, la volonté du gouvernement québécois et des autorités de santé publique d’avoir un plan global contre la COVID-19 s’appliquant à l’ensemble de la province peut sembler a priori louable, mais cette manière de concevoir les choses comprend de nombreux écueils : les lieux où un tel plan est déployé sont pluriels, avec des caractéristiques et des priorités propres dont il faut tenir compte. Ainsi, il est convenu que les autorités publiques doivent mettre en oeuvre les droits humains de manière adaptée. Autrement dit, des politiques indifférenciées, celles parfois qualifiées de mur-à-mur, ont nécessairement des angles morts et ont de bonnes chances d’entraîner des atteintes aux droits, notamment en reconduisant des inégalités sociales existantes, voire en en produisant de nouvelles.
De même, le droit à la participation nécessite des gouvernements transparents et imputables, des institutions réellement démocratiques, mais aussi des organismes communautaires, des syndicats, des associations et autres organisations citoyennes réellement libres, indépendantes, avec de véritables moyens d’agir.
Participation citoyenne : retour sur la pandémie
Depuis le début de la pandémie de la COVID-19 au Québec, les autorités publiques ont maintes fois négligé de consulter ou d’écouter les groupes de la société civile. Malgré la reconnaissance explicite du droit à la participation dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec (article 10) et dans la Charte montréalaise des droits et responsabilités (articles 5 et 16), pour ne donner que ces deux exemples, les organismes communautaires, les syndicats regroupant les personnes au coeur de la crise (travailleuses et travailleurs de la première ligne et dits essentiel-le-s, personnel de la santé ou enseignant-e-s) et les représentant-e-s de groupes marginalisés ont été ignorés… alors même qu’ils possèdent une connaissance du terrain et des savoirs expérientiels tirés de leurs apprentissages, avant et durant la pandémie. Leur expérience aurait assurément mérité l’attention des autorités pour mieux orienter les politiques.
Pendant la crise sanitaire, plusieurs ont amèrement souffert, et souffrent encore, de la négligence des gouvernements à respecter, encourager et appuyer la participation citoyenne. Pensons à ce titre :
- aux sorties publiques des groupes de défense des personnes en situation d’itinérance et des personnes utilisatrices de drogues dénonçant la difficulté, voire l’impossibilité pour plusieurs de se conformer au couvre-feu. Il a fallu attendre qu’une juge de la Cour supérieure du Québec exempte les personnes sans-abri du
couvre-feu pour que le gouvernement caquiste admette les impacts disproportionnés de cette mesure sur certaines populations. Toutefois, la demande de sursis pour le couvre-feu, déposée en mai 2021 par l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogue, a été refusée ;
- au cri d’alarme d’organismes communautaires de quartiers de Montréal fortement racisés, défavorisés économiquement, densément peuplés et habités en forte proportion par des personnes exerçant des métiers à haut risque (Montréal‑Nord, Notre-Dame-de-Grâce, Côte‑des‑Neiges, Parc-Extension …) qui demandaient d’être mieux desservis en services publics de proximité pour le dépistage ;
- au manque de considération pour la parole des personnes aînées et de leurs familles dont l’avis n’a pas été sollicité avant l’application de mesures coercitives zéro risque, comme l’interdiction de sorties et de visites ;
- à l’utilisation massive des technologies pour transmettre des informations essentielles en lien avec la pandémie afin d’assurer les prestations de services publics (la médecine, par exemple) ou pour maintenir l’enseignement à distance, sans réellement tenir compte des fractures numériques qui traversent notre
société (connexion inadéquate ou inexistante, faible littéracie numérique, équipement absent ou peu adapté) et qui s’articulent à d’autres inégalités sociales ;
- aux impacts disproportionnés de la fermeture des organismes communautaires, des bibliothèques et des ressources de proximité sur l’accès à l’information ou aux ressources d’urgence comme les ressources d’aide alimentaire ou les services d’aide à domicile pour les personnes en situation de handicap ;
- à la sonnette d’alarme tirée par les groupes venant en aide aux femmes victimes de violences conjugales qui ont prévenu que le couvre-feu, l’isolement, les anxiétés entourant la pandémie aggraveraient la situation des femmes et des enfants violentés. Tragiquement, il aura fallu attendre plus de 10 féminicides en quatre mois pour que le gouvernement de la CAQ et la ministre responsable de la condition féminine, Isabelle Charest, interviennent en augmentant l’aide financière aux groupes venant en aide à ces femmes et à leurs enfants.
Évidemment, ce déficit de participation citoyenne a des racines qui précèdent la crise. Soulignons par exemple la disparition des commissions scolaires en février 2020. Dans le cadre de la crise, cela n’a certainement pas contribué à bien répondre aux préoccupations et priorités des différents milieux scolaires. De même pour la fusion des conseils d’administration des établissements de santé imposée par la réforme Barette qui a réduit le nombre de représentants des citoyen-ne-s. Ou encore l’abolition des Conférences régionales des élu-e-s et la tentative de faire disparaître les Centres locaux de développement. Ce déficit de participation s’alimente de la propension du pouvoir exécutif à prendre toute la place dans nos démocraties représentatives : certaines agissent comme si tous les pouvoirs étaient délégués aux instances formelles et justifient ainsi les tentatives de faire disparaître les instances de participation.
Nous pouvons émettre l’hypothèse que la crise aurait été mieux gérée si une place plus importante avait été faite pour la consultation, la concertation et d’autres formes de participation citoyenne. Lors des webinaires, plusieurs panélistes invité-e-s ont rappelé l’une des grandes leçons tirées des dernières grandes pandémies comme le VIH-SIDA ou l’Ebola : l’importance cruciale de la consultation des populations directement touchées dans l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques ancrées dans leurs réalités afin de garantir la réalisation de leurs droits.
Se remettre de la pandémie par la participation
La participation s’avère donc un principe incontournable lorsqu’il s’agit du respect des droits et, à cet égard, le rétrécissement de l’espace démocratique que nous expérimentons durant cette crise constitue une réelle menace. Pensons aux limitations des consultations, à la difficulté à se mobiliser à travers les organisations citoyennes, à l’impossibilité des élu-e-s de l’Assemblée nationale d’intervenir sur la gestion de la crise, aux décisions du gouvernement en vertu des pouvoirs discrétionnaires prévus par la Loi sur la santé publique du Québec, au renouvellement de l’état d’urgence sanitaire à tous les dix jours sans critères tangibles, etc.
Aujourd’hui, alors que l’urgence d’agir des premiers temps n’est plus la même, rien n’empêche – hormis la volonté politique du gouvernement – de mettre en place ou de réparer des mécanismes de participation permettant d’élaborer des politiques plus inclusives, plus adaptées à la pluralité des réalités du territoire et prenant réellement compte des plus marginalisé-e-s.
Comme le soulignait la professeure Julie Paquette durant l’un des webinaires, il faut réaliser la gravité de l’état d’exception dans lequel nous nous trouvons. Évoquant des crises antérieures telles la peste, la grippe espagnole ou le contexte sécuritaire de lutte au terrorisme après le 11 septembre 2001, elle nous rappelait que les états d’exception ont toujours laissé des traces durables dans l’appareil répressif des gouvernements. Ainsi, nous nous devons de rester vigilant-e-s face à leur tentation actuelle d’accélérer les prises de décisions au détriment des processus démocratiques dont la participation fait partie intégrante. Il faut donc continuer à le marteler : la participation citoyenne et le débat démocratique sont essentiels, surtout en temps de crise !