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Christian Nadeau, président
Ligue des droits et libertés
L’élection d’un nouveau gouvernement après une décennie des conservateurs au pouvoir à Ottawa pourrait laisser espérer des temps meilleurs à la fois pour les citoyennes et les citoyens et aussi pour les organismes de défense des droits en particulier. Plusieurs annonces du nouveau gouvernement indiquent une réorientation majeure de la politique intérieure et internationale du Canada. Pourtant, ne crions pas victoire trop tôt : le pouvoir du gouvernement ne change pas de nature parce qu’il change de forme ou de représentants. Une société réellement démocratique doit laisser place à la critique et à la contestation. Inversement, un climat social où les autorités de l’État font trop bonne figure permet à ces dernières des abus d’autorité qui passeront facilement inaperçus en raison de la popularité des élus. Il faut garder l’œil ouvert si nous ne voulons pas voir nos droits et libertés s’effriter davantage.
En dehors de ces raisons de principe qui nous incitent à la prudence, il y a plusieurs dossiers auxquels il faudra accorder une attention toute particulière.
En premier lieu, le dossier des droits économiques et sociaux exigera à tout le moins des modifications majeures à plusieurs programmes sociaux dont celui de l’assurance emploi et de soutien aux logements sociaux, pour n’en citer que quelques-uns. Il faudra aussi revoir les décisions unilatérales du précédent gouvernement qui ont réduit le programme de péréquation et les transferts sociaux vers les provinces, notamment en matière de santé. Les promesses électorales du parti libéral laissent certes espérer un meilleur accès aux prestations d’assurance-emploi pour les personnes dites nouvelles arrivantes sur le marché du travail. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Rappelons en effet que les modifications introduites par le gouvernement Harper obligent les personnes en chômage à accepter des emplois éloignés de leur lieu de résidence, à des salaires et conditions inférieurs à leur emploi antérieur, sans égard à leurs compétences. Il faut revoir en profondeur le régime issu de cette réforme qui s’en est particulièrement prise aux personnes exerçant des emplois précaires, principalement des emplois saisonniers.
En second lieu, la problématique environnementale. On le sait, les dix dernières années ont conduit le Canada dans l’impasse sur cette question. Qu’il s’agisse d’un déni pour tout ce qui touche les changements climatiques ou encore d’un obstructionnisme à toute mesure environnementale qui apparaissait contraire au développement économique, le Canada est devenu le cancre de la scène internationale. Grand défenseur de l’exploitation des sables bitumineux, le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto en 2012. En dehors des rencontres internationales comme la Conférence de Paris, le premier ministre Trudeau a déjà annoncé une rencontre entre tous les premiers ministres des provinces afin d’établir une stratégie commune contre le changement climatique. Toutefois, qu’il s’agisse d’Énergie Est, où le projet est évalué dans les termes flous de l’« acceptabilité sociale », ou de Keystone XL, pour lequel le gouvernement se montre intéressé, le parti libéral n’a jamais remis en question l’exploitation des sables bitumineux. Certes, il y aura débat sur le transport du pétrole et ce débat sera probablement mieux éclairé et équilibré. Mais cela ne change rien au cœur du problème qui est l’extraction et la transformation des sables bitumineux.
Troisièmement, la question autochtone, pour laquelle le nouveau gouvernement semble se montrer sensible à un changement d’attitude majeur. Mais tout dépendra non seulement de l’institution d’une Commission d’enquête sur les femmes autochtones assassinées ou disparues, mais aussi sur la suite qu’il y aura à donner à une telle enquête publique. Il faudra aussi revenir aux accords de Kelowna, qui prévoyait des investissements massifs en santé et en éducation, et qui a été abandonné par le gouvernement conservateur. Il serait tragique de voir les espoirs des peuples autochtones trahis de nouveau. De concert avec les peuples autochtones, le nouveau gouvernement doit en outre s’empresser de donner suite aux recommandations de la récente Commission de vérité et de réconciliation, au terme de laquelle, il a été déclaré que la politique d’assimilation des Autochtones en a été une de génocide culturel.
Quatrièmement, au sujet du sort des personnes réfugiées, les attentats de Paris le 13 novembre ont marqué les esprits et nous avons assisté à un changement de ton dans le débat public, à la fois du côté des personnalités politiques mais aussi au sein de la population. Pourtant, il est inadmissible de remettre en question l’accueil des personnes réfugiées sous prétexte de ces évènements tragiques : cela reviendrait à renier nos engagements humanitaires en cédant à la panique. Il n’y a rien de rationnel à remettre en cause nos obligations en raison d’une soi-disant nouvelle conjoncture. Il ne s’agit pas pour autant d’ignorer les mesures de sécurité qui s’imposaient de toute manière bien avant les attentats. Il s’agit de refuser d’abdiquer devant les incitations au repli sur soi et devant les appels à la guerre qu’on entend depuis l’Europe. Il en va de notre avenir à toutes et à tous. Ce que nous décidons maintenant quant à l’ouverture de nos frontières dessine le visage de notre avenir, lequel serait bien sombre s’il prenait les traits de l’exclusion et de l’intolérance. Un monde de paix ne peut se construire dans les termes de l’obsession sécuritaire. Il y a une véritable vague de solidarité au Québec favorable à l’accueil des personnes réfugiées. Sans tomber dans l’angélisme, il faut aussi saluer ce phénomène, sans quoi il serait facile de tomber dans le cynisme. Espérons que ce nouveau gouvernement à Ottawa saura refuser la voie belliciste et optera toujours pour la recherche de la paix, laquelle commence par nos devoirs d’hospitalité.
Enfin, l’un des dossiers les plus contestés est celui des politiques sécuritaires. Les libéraux ont promis de réécrire ce qu’ils qualifient d’« éléments problématiques » dans la loi C-51. Cependant, toutes les organisations de défense des droits maintiennent que C-51 n’est pas amendable et doit être abrogé. Elles réclament une refonte en profondeur des politiques sécuritaires canadiennes, en insistant sur le caractère central du respect des droits humains. Le Parti libéral a promis un mécanisme de surveillance parlementaire, mais ce n’est pas suffisant, comme le prouve la situation au Royaume-Uni et aux États-Unis où il existe un tel mécanisme. À ce propos, nous demandons plutôt un mécanisme comme celui proposé par le juge O’Connor dans le rapport de la Commission Arar.
Il y a, à n’en pas douter, un véritable virage politique qui est à l’œuvre en ce moment à Ottawa et cela est en soi une véritable source d’espoir. Cela étant dit, il ne faut pas oublier une chose essentielle. Un changement de gouvernement peut très facilement se limiter à des gestes superficiels si la population et les organismes de défense des droits ne veillent pas au grain. Il n’y a pas de véritable démocratie sans surveillance constante des actions décidées par les dirigeants politiques et sans mobilisation lorsqu’il s’avère nécessaire de dénoncer voire de faire obstacle à des choix du gouvernement qui confrontent nos droits civils, politiques, économiques et sociaux. Ne serait-ce que pour cette seule raison il nous faudra continuer à exercer notre vigilance.
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