Être propriétaire n’est pas un droit absolu
Un carnet rédigé par Alexandre Petitclerc, doctorant en philosophie et membre du CA de la LDL
Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.
Dans un commentaire du mois de septembre, la ministre québécoise de l’Habitation prétendait que le geste de céder un bail était comme « aider son prochain avec le bien de quelqu’un d’autre ». À première vue, rien de controversé avec une telle proposition. Si on est propriétaire d’un bien, il est convenu que nous pouvons en faire presque ce qu’on veut. L’idée d’accéder à une forme de liberté en accédant à la propriété n’est pas nouvelle. En effet, elle est à la base des démocraties capitalistes modernes. Le droit de propriété garantit une forme d’indépendance à tous et toutes. Si on est propriétaire, on n’a de comptes à rendre à personne; et si tout le monde est propriétaire, tout le monde détient une certaine liberté.
La propriété pour sortir de sa crise
La même logique a donc influencé la manière dont on pense le logement dans les démocraties libérales comme le Québec. Un exemple saillant : les réponses que les différents gouvernements à la crise du logement sont au diapason avec une vision de la propriété comme moyen d’accéder à la liberté. Que ce soit le CELIAPP, le REER utilisé pour l’achat d’une première propriété ou la récente suspension de la TPS sur les nouvelles constructions, on renforce l’idée qu’accéder à la propriété est le moyen à privilégier pour se loger. Il permet de se sortir des aléas du marché du logement : de la précarité et de la possibilité de se faire évincer. Objectif : créer plus de propriétaires.
Et tout cela est compréhensible. Les gens veulent acheter pour s’acheter la paix : ne pas pouvoir être évincé, ne pas avoir à supplier quelqu’un de chauffer, de réparer ou de cesser de harceler. Avoir une paix d’esprit. Se sentir libre. En contrôle.
On admet aisément que l’État encadre ou régule la propriété des entreprises ou des individus. Pensons aux impôts sur le revenu, aux taxes foncières ou taxes sur les gains en capital ou même aux lois anti-monopoles pour favoriser la concurrence. On le conçoit pour une variété de biens – de la nourriture à l’électronique aux services de téléphonie – mais on tend à l’oublier pour le logement ou à concevoir tout encadrement comme une limitation injustifiable du droit de propriété.
Car, en ce moment, il n’y a pas de limites au nombre de portes que quelqu’un peut posséder. Tout comme il ne semble pas y avoir de limite à ce qu’on tolère sous l’égide du droit de propriété : le nombre d’informations illégales demandés par les propriétaires, les hausses de loyers abusives, les logements insalubres, les menaces, la discrimination, le harcèlement. On se demande continuellement comment devenir propriétaire pour se sortir de sa crise alors que nous devrions collectivement nous demander comment il est possible que certaines personnes puissent faire vivre une crise perpétuelle à d’autres sous prétexte qu’elles sont propriétaires. Être propriétaire et être locataire sont deux réalités sociales différentes dans le marché actuel du logement.
Si on veut prendre le droit au logement au sérieux – comme le Canada et le Québec se sont engagés à le faire – cela signifie penser l’accès au logement stable, sécuritaire, abordable – qu’il soit locatif ou non. Posséder son logement ne doit pas être la seule solution pour pouvoir se loger en paix. Nous croyons qu’il faut repenser le lien fondamental entre droit de propriété et droit au logement dans la manière dont nous abordons cette fameuse crise du logement.
Le propriétarisme : une perversion du droit de propriété
Penser la crise du logement, c’est penser les conséquences de l’accumulation des patrimoines. Au moment où on constate les importantes inégalités de patrimoine au Québec , nous devons commencer à réfléchir le problème d’accès au logement comme un phénomène qui a été exacerbé par la concentration des richesses et la spéculation immobilière – deux facteurs qui profitent autant aux petits qu’aux très grands propriétaires. En ce sens, penser la crise du logement sans penser les inégalités de patrimoine est vain. Nous devons prendre au sérieux le problème de cette distinction entre ceux et celles qui possèdent et celles et ceux qui ne possèdent et ne posséderont pas. Évidemment, il faut construire plus de logements. Oui, il faut limiter les hausses de loyer. Certes, il faut aider les gens à épargner, mais il faut surtout imaginer comment redistribuer.
Il faut réaliser que le droit de propriété ne peut pas être un droit abstrait, dont les avantages d’en jouir sont l’unique apparat de celles et ceux qui ont des capitaux (plus ou moins) importants.
Le logement, qu’il soit locatif ou non, doit être le point de départ pour vivre une vie saine, décente, libre. Si la propriété ne peut pas réellement être accessible à toutes et tous, alors nous devons continuer de soutenir des mesures collectives d’accès au logement. La liberté ne doit pas uniquement être rendue possible par la propriété.
Régler la crise du logement, ce n’est pas donner un abri. Si le marché du logement était juste, la propriété n’aurait pas le même sens : acheter ne serait pas un salut. On se concentrerait sur habiter, investir un lieu, développer un quartier. Il faut faire en sorte que les conditions du marché du logement ne permettent pas des situations de comportements délétères. Il faut empêcher qu’une rareté du logement force des locataires à accepter des hausses impossibles; il faut empêcher qu’une famille nie avoir des enfants pour avoir un appartement; il faut empêcher qu’un propriétaire puisse demander un garant, des T4, un dépôt. Le droit de propriété trouve ses limites face au droit au logement. Nous devons les réaffirmer.
Les mesures que nous devons prendre pour garantir un logement à tout le monde nécessitent de sortir de ce paradigme propriétariste. Cela implique des sacrifices et des remises en question, des regards neufs et surtout, une très grande solidarité. Voilà le défi collectif vers lequel nous pouvons et nous devons nous tourner : repenser le droit de propriété dans le marché du logement et non l’inverse. Le droit au logement est un droit humain.