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Josiane Loiselle-Boudreau, coordonatrice Justice et Sécurité publique, Femmes Autochtones du Québec (FAQ)
Les femmes autochtones au Québec et au Canada sont victimes d’une double discrimination. L’héritage colonial et la discrimination systémique qui en découle place les femmes autochtones dans le groupe le plus vulnérable de la société québécoise et canadienne. À la Loi sur les Indiens, loi sexiste visant à assimiler les Autochtones à la société euro-canadienne, s’ajoutent les traumatismes engendrés par les violences physiques, psychologiques et sexuelles subies par plusieurs générations d’entre elles dans les pensionnats. Les problématiques sociales dont souffrent plusieurs Autochtones aujourd’hui ne sont que les symptômes liés aux impacts de cette colonisation.
La discrimination systémique envers les Autochtones au Québec se manifeste aujourd’hui dans différents domaines (accès à l’éducation, à l’emploi, au logement, etc.) et sous différentes formes. Dans cet article, nous allons traiter de l’indifférence des services policiers face à la problématique des femmes autochtones disparues ou assassinées, ainsi que de la violence des forces policières envers les femmes autochtones en prenant pour exemple la situation de Val-d’Or.
Les femmes autochtones disparues et assassinées au Québec
Le nombre de femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada depuis les 30 dernières années, largement sous-estimé, est alarmant.
En 2014, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) révélait avoir identifié 1 181 cas depuis 1980, dont 225 non résolus. Proportionnellement à la population autochtone, il s’agirait d’au moins 35 000 Canadiennes (ou 8 000 Québécoises). Lorsque des accusations sont déposées, le taux de condamnation est comparable dans les deux populations, mais des accusations criminelles sont rarement déposées lorsque la victime est une femme autochtone.
Comment cette situation peut-elle perdurer dans un pays qui se veut un modèle en matière de droits humains?
En 2015, Femmes Autochtones du Québec a publié le rapport de recherche, Debout et solidaires. Il s’agissait de la toute première étude sur la situation des femmes autochtones disparues ou assassinées au Québec. Cette étude cherchait à identifier les facteurs de risque et de vulnérabilité associés aux femmes autochtones disparues ou assassinées. Notre recherche abordait les formes de violence structurelles et institutionnelles. Nous avons documenté comment ces formes de violence traduisent une discrimination quasi-systématique que subissent les femmes autochtones de la part des institutions, et en particulier des policier-ère-s.
Notre recherche a démontré que dans les cas de disparition et d’assassinat de femmes autochtones, les familles se butent à des services de police qui, trop souvent, ne leur transmettent pas d’information, démontrent peu d’intérêt pour la poursuite de l’enquête, ou refusent de coopérer avec elles.
Les femmes autochtones violentées et abusées par les forces policières au Québec
En octobre 2015, au Québec, un reportage de Radio-Canada, qui enquêtait sur la disparition de Sindy Ruperthouse, une femme anishinabe de 44 ans disparue depuis 2014, a créé une onde de choc en dévoilant des situations d’agression sexuelle, d’abus de pouvoir et d’intimidation de la part de policiers de la Sureté du Québec envers des femmes autochtones dans la région de Val-d’Or.
À la suite de ce reportage, l’enquête est confiée au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et une observatrice indépendante est nommée. Les huit policiers du poste de police de Val-d’Or visés par les allégations sont suspendus. Ce qui est choquant, c’est qu’en solidarité avec leurs collègues suspendus, pas moins de 2 500 policier-ère-s de la Sûreté du Québec (alors que la province en compte 5 000) ont commencé à porter sur leur uniforme un bracelet rouge avec huit étoiles et le numéro 144, représentant les huit policiers suspendus et le numéro 144 du poste de police de Val-d’Or. Ces policier-ère-s le portaient même lors d’interventions auprès des Autochtones. Ce geste d’intimidation envers les femmes autochtones qui ont dénoncé des policiers, qui démontre leur rapport de force disproportionné, a été dénoncé par les communautés et les organisations autochtones.
En mars 2016, dans une deuxième partie du reportage de Radio-Canada, des femmes autochtones d’autres régions au Québec dénoncent elles aussi des abus policiers.
L’intimidation de la part de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ) qui représente les huit policiers va plus loin; elle intente une poursuite de 2,3 millions de dollars en diffamation contre Radio-Canada pour la diffusion de ce reportage, qui a pourtant gagné plusieurs prix de journalisme. Le message est clair : il faut les faire taire.
En novembre 2016, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) rend public son rapport d’enquête qui fait état des 37 dossiers d’une première phase d’enquête impliquant 28 plaignant-e-s dont 21 femmes. Parmi ces dossiers, 14 sont des allégations de nature sexuelle, 15 d’usage excessif de la force, 9 de séquestration, plus précisément des cures géographiques. La cure géographique dénoncée par les femmes autochtones est cette pratique où des policier-ère-s les abandonnent à plusieurs kilomètres de la ville, en hiver, parfois en les dépouillant de certains de leurs vêtements. Les autres allégations concernaient notamment des menaces, du harcèlement criminel et de l’intimidation.
À notre grande déception, seulement deux des 37 dossiers ont mené à des accusations criminelles. Dans un cas, l’accusé s’est suicidé et l’autre est un policier autochtone. Aucun policier de Val-d’Or n’a été accusé. Cette annonce a eu un effet dévastateur sur les femmes autochtones de Val-d’Or qui ont eu l’incroyable courage de dénoncer publiquement la violence et les abus policiers. Ce résultat a aussi découragé les femmes autochtones à travers la province et leur a fait perdre le peu de confiance qu’elles pouvaient avoir dans le système de justice.
Dans son rapport, le DPCP souligne plusieurs fois que « ce n’est pas parce que le DPCP ne dépose pas d’accusation que cela signifie que l’événement n’est pas survenu ». Mais l’APPQ en a profité pour discréditer les plaignantes et poursuivre son intimidation en rejetant le blâme sur les problèmes internes des communautés, qualifiant le processus de chasse aux sorcières, et en perpétuant publiquement des stéréotypes sur les Autochtones.
Ces commentaires formulés par des représentant-e-s d’agent-e-s de l’État responsables de la sécurité publique sont incompatibles avec leur fonction. Dans une situation de disproportion de pouvoir entre les femmes autochtones vulnérables et les policier-ère-s, ces luttes de pouvoir publiques sont perçues comme une intimidation de plus par les femmes autochtones.
L’observatrice indépendante assignée aux enquêtes, dans son rapport sur l’intégrité et l’impartialité des enquêtes menées, constatait que ce type d’enquête criminelle ne peut être qu’un élément de réponse à une profonde crise sociale marquée par des enjeux plus collectifs et systémiques; elle recommandait une commission d’enquête provinciale pour examiner en profondeur la question des relations entre la police et les Autochtones au Québec.
Malgré les demandes incessantes des femmes autochtones et de leurs allié-e-s pour la tenue d’une telle enquête indépendante, le gouvernement du Québec avait jusque-là refusé en niant l’existence de racisme systémique. Finalement, la Commission d’enquête sur les relations avec les Autochtones et certains services publics au Québec (CERP) a été créée un mois plus tard.
Recommandations
Il est essentiel que tous les policier-ère-s du Québec bénéficient d’une formation substantielle sur les réalités autochtones afin qu’elles et ils puissent développer des compétences en intervention culturellement sécurisante. Cette formation leur permettrait de mieux connaître les peuples autochtones du Québec et de comprendre les impacts de la colonisation et du traumatisme intergénérationnel, afin de défaire les préjugés et bâtir des relations respectueuses. Les policier-ère-s doivent prendre conscience des rapports de pouvoir coloniaux qu’elles et ils entretiennent avec la population autochtone et de la nécessité de rétablir un équilibre, afin de tisser des liens de confiance.
Nous recommandons également qu’une procédure soit appliquée par tous les corps de police au Québec en cas de meurtre ou de disparition d’une femme autochtone. Elle doit prévoir une collaboration entre les différents services de police, les organismes autochtones et les familles. Les forces policières doivent également travailler en concertation avec les intervenant-e-s autochtones et faire preuve de compassion, d’ouverture, d’écoute et d’empathie. Les enquêteuses et enquêteurs devraient notamment faire leur travail consciencieusement et communiquer régulièrement avec les familles.
Par ailleurs, en ce qui a trait à l’intimidation exercée par les membres de l’AAPQ au moyen des bracelets rouges, qu’ils ont accepté de retirer en octobre 2018 à la suite de négociations avec leur employeur, nous croyons qu’il est de la responsabilité de l’État de s’assurer que de telles pratiques ne se reproduisent plus.
Conclusion
Nous avons vu qu’au Québec, le racisme systémique envers les femmes autochtones, qui se traduit par une banalisation de la violence qu’elles subissent, les met en danger de disparition et de mort en favorisant l’inaction des forces de l’ordre. De plus, au Québec, c’est la police elle-même qui est devenue une menace à la sécurité des femmes autochtones. Les femmes autochtones ont droit à la sécurité. Elles ont aussi droit à la justice.