Femmes immigrantes survivantes de violences sexuelles, politiques migratoires et droits humains : des reculs inacceptables

 

Revue Droits et libertés, Vol. 34, numéro 1, printemps 2015

 

Rita Acosta
Mouvement contre le viol et l’inceste

Les femmes immigrantes ont une nouvelle barrière à franchir : les nouvelles politiques migratoires qui portent atteinte à leurs droits et affectent directement leur santé mentale et physique. Ce texte présente brièvement deux situations que le Mouvement contre le viol et l’inceste[1] (MCVI) considère très préoccupantes : celle des femmes « parrainées » ou encadrées par la résidence permanente conditionnelle puis, celle des femmes demandeures d’asile.

Il est crucial d’analyser certains éléments des politiques migratoires gouvernementales canadiennes mises en place depuis 2012. En effet, elles pourraient être déclarées inconstitutionnelles puisqu’elles briment des droits fondamentaux des femmes : le droit à la protection, le droit à une vie libre de violence.

La résidence permanente conditionnelle, mise en vigueur par le Gouvernement fédéral depuis octobre 2012, signifie que, pour les personnes en couple, la résidence permanente est conditionnelle au maintien de la relation conjugale et à la résidence avec le parrain. Si ces conditions ne sont pas respectées durant une période de deux ans suivant l’arrivée au Canada, la résidence permanente peut être révoquée et la femme, déportée.

Ceci est un recul important par rapport aux gains obtenus pour les femmes parrainées. Sous l’ancienne loi, il était impossible pour un conjoint d’enlever la résidence permanente. Bien sûr les menaces ont toujours été présentes et les conjoints abuseurs les utilisaient comme outil de contrôle, de nombreuses femmes abusées ignoraient leurs droits.

Le terme « femmes parrainées » porte en soi un sens discriminatoire et de nombreux termes péjoratifs l’accompagnent : «opportunistes», «vivant de la générosité de l’État», entre autres en faisant appel à l’aide sociale ou en demandant une pension alimentaire pour leurs enfants. Dans ce sens, la diffusion large de la présente campagne fédérale contre les mariages frauduleux contribue au renforcement de ces préjugés auprès de la population, ces femmes étant perçues comme abusant des hommes canadiens.

Actuellement, il suffit qu’il y ait une dénonciation anonyme auprès des autorités d’immigration sur un mariage soit disant « frauduleux » pour qu’une enquête soit déclenchée. Les femmes parrainées décident alors de taire la violence conjugale et sexuelle subies car les menaces des conjoints de retirer le parrainage sont légitimées par un système et des lois qui attaquent directement la sécurité des femmes.

Suite à des demandes faites par des groupes de défense de droits, une ligne téléphonique a été mise en place afin de répondre aux questions des intervenantes et avocat-e-s sur les procédures à suivre dans des situations de violence. Toutefois, sur le terrain, nous constatons le grand déficit d’accessibilité et d’efficacité de cette mesure. De plus, celle-ci ne tient pas compte de la complexité de la violence et tout ce qui entoure la demande d’une femme immigrante, entre autres la langue, les traumatismes, les menaces, l’accessibilité à des services de santé, le manque de ressources communautaires pour répondre aux demandes spécifiques des femmes parrainées. La violence et particulièrement la violence sexuelle n’est pas examinée systématiquement, alors qu’il s’agit d’un élément central à cette mesure d’exception. L’examen qui établit si la dérogation aux conditions de parrainage est recevable se conduit à la discrétion de l’agent-e d’immigration

Déterminé à lutter pour le droit à la présomption d’innocence et pour combattre la discrimination, le MCVI choisit plutôt d’utiliser la notion de « mariages migrants ». Il nous semble important de défaire les mythes et préjugés et de contextualiser la violence. Actuellement, cette violence est presque «justifiable» dans la mesure où la présomption de fraude et de tromperie occulte les vrais motifs de la demande de dérogation: les violences sexuelles.

Aujourd’hui, le changement aux lois d’immigration pénalise les « mariages migrants ». Ces lois créent un contexte migratoire qui perpétue le contrôle de la femme, la cantonnant à la sphère domestique et la traitant comme une citoyenne de seconde zone. Les femmes québécoises d’un certain âge se rappelleront du temps où la violence sexuelle hors du contexte conjugal était une atteinte à la propriété du conjoint. Au fil des ans, de nombreuses luttes ont été nécessaires pour que les violences sexuelles soient considérées comme des crimes.

Faisant fi de ces luttes et acquis, les politiques migratoires actuelles imposent un recul majeur aux droits des femmes, les cantonnant dans la sphère du privé, en autorisant les agent—e-s d’immigration à juger de ce qu’est un « vrai mariage », en permettant des enquêtes intrusives dans la vie des couples. La violence perpétrée à l’égard des femmes reste cachée à l’intérieur de la sphère privée car, si elle est dénoncée, si elle devient publique, ces femmes seront déportées. Il est clair que les politiques migratoires bâillonnent les femmes mais les condamnent aussi à accepter des situations qui portent atteinte à leur dignité, à leur intégrité, à leur sécurité et, puisqu’ils sont indissociables, à tous leurs autres droits.

Si telle est la situation et le sort de femmes qui arrivent avec un « statut officiel » qu’en est-il des femmes demandeures d’asile, étiquetées par le Ministre de l’Immigration comme «fausses réfugiées»?

Détenues dans des centres de prévention faute de documents d’identité, ces femmes sont traitées comme des criminelles : menottées, interrogées, privées de toute liberté. Nous constatons quotidiennement les manquements quasi systématiques à leurs droits : droit à l’intégrité physique et psychologique, à la vie privée, à la sécurité, à la présomption d’innocence… Le MCVI accompagne des femmes détenues, parfois avec leurs enfants, certaines étant enceintes et sur le point d’accoucher, d’autres vivant avec de chocs post-traumatiques sévères. Selon la Convention relative au statut des réfugiés dont le Canada est signataire, elles ont le droit à des soins de santé où la confidentialité des échanges est garantie, l’accès à des services de traduction et à des déplacements sans entrave afin d’obtenir des services spécialisés en violence. Survivantes de violences sexuelles, d’abus, de viols et tortures inimaginables commis dans leur pays d’origine ou durant leur parcours migratoire, ces femmes doivent être traitées de façon à ce que leurs droits humains soient respectés. Cela inclut une protection renforcée pour les demandeures d’asile victimes de violence ainsi que des agent-e-s formé-e-s, ayant un préjugé favorable envers ces femmes et capables d’offrir un traitement juste et équitable de leurs dossier.

Jusqu’à quand accepter l’inacceptable? Collectivement nous pouvons dénoncer ces reculs et exiger que des négociations vigoureuses, proactives et soutenues soient entreprises sans délai par le Gouvernement du Québec auprès du Gouvernement fédéral afin de faire respecter les droits humains des femmes parrainées et demandeures d’asile en sol québécois.

 

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[1] Créé dans la mouvance féministe des années 70, et par des femmes de diverses origines, le Mouvement contre le viol et l’inceste est un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) situé à Montréal. Depuis treize ans, l’organisme offre aussi des services spécialisés aux demandeures d’asile, soit des femmes ayant subi un viol collectif dans leurs pays, des femmes fuyant l’excision, des femmes agressées sexuellement durant leur parcours migratoire, des réfugiées de guerre ou des femmes ayant subi de la torture, des immigrantes victimes de viol ou d’inceste, et des victimes du trafic sexuel.