Journée internationale des droits de l’homme : des reculs historiques au Québec

À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme, la Ligue des droits et libertés rappelle au gouvernement québécois l’importance de la Déclaration universelle des droits de l’homme et ses obligations, découlant du droit international, de respecter et renforcer le régime québécois de protection des droits humains.

Lettre publiée dans La Presse +, le 10 décembre 2024.

Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés (LDL)
Paul-Etienne Rainville, responsable de dossiers politiques de la LDL
Alexandre Petitclerc, président de la LDL

Chaque année, la Journée internationale des droits de l’homme du 10 décembre commémore l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). À travers le monde, cette journée est un moment privilégié pour faire le bilan des avancées en matière de droits humains et des obstacles qui continuent d’entraver leur exercice.

Dans ce contexte, la Ligue des droits et libertés (LDL) rappelle au gouvernement québécois l’importance de la DUDH et ses obligations, découlant du droit international, de respecter et renforcer le régime québécois de protection des droits humains. Elle dénonce l’utilisation croissante des clauses de dérogation prévues aux chartes et met en garde contre les discours – sur la souveraineté parlementaire, la laïcité, les droits collectifs et les  valeurs québécoises  – qui servent trop souvent de prétexte pour justifier des violations de droits.

L’héritage de la DUDH au Québec

Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1948, la DUDH proclame pour la première fois un ensemble de droits universels, inaliénables et interdépendants, reconnus à toutes les personnes en raison de leur appartenance à l’humanité. Ces droits sont universels, inaliénables, indivisibles et interdépendants les uns des autres. Comme le souligne son préambule, cette Déclaration représente un « idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ».

Dès son adoption, plusieurs acteurs au Québec se mobilisent pour faire reconnaître les droits énoncés dans la DUDH, puis dans les deux Pactes internationaux[1] (ratifiés par le Québec et le Canada en 1976) qui forment le socle du droit international des droits humains. À l’aube de la Révolution tranquille, plusieurs organisations, dont la LDL, se regroupent pour réclamer l’adoption d’une charte des droits provinciale.

Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 27 juin 1975, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne est considérée comme un document unique dans le paysage juridique nord-américain. En plus de reconnaître les libertés fondamentales, les droits civils et politiques et le droit à l’égalité, elle énonce tout un ensemble de droits économiques, sociaux et culturels. Cette loi quasi-constitutionnelle est une étape historique dans la modernisation du Québec, en inscrivant les principes du droit international des droits humains au cœur même de l’ordre juridique, du système démocratique et de l’État de droit.

Des reculs inquiétants

Ces dernières années, pourtant, on observe une banalisation inquiétante des chartes et des droits humains, notamment dans le cadre des débats sur la laïcité de l’État, la protection de la langue française et les enjeux constitutionnels. Le gouvernement provincial a ainsi recours de manière de plus en plus systématique aux clauses de dérogation des chartes, comme ce fut le cas pour la Loi sur la laïcité de l’État en 2019 (dérogation renouvelée en 2024) et de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, en 2022. Dans les cas de ces deux lois, le gouvernement a imposé une dérogation mur à mur et de façon préemptive afin d’éviter que les tribunaux puissent se prononcer sur le caractère raisonnable ou non des atteintes aux droits et libertés. Cette pratique constitue une attaque d’autant plus frontale aux droits que, dans le cas de la Loi sur la laïcité de l’État, elle s’est faite sous bâillon, donc en coupant court aux débats démocratiques! L’intention déclarée du gouvernement de recourir à nouveau aux clauses dérogatoires pour interdire les prières dans l’espace public témoigne de cette tendance délétère vers un affaiblissement de notre système de protection des droits humains.

Dans les sphères publique, politique et médiatique, plusieurs attaques aux droits humains s’appuient sur une opposition fictive qui existerait entre les droits individuels et les droits collectifs des Québécois·e·s. Cette rhétorique témoigne d’une conception erronée du droit international des droits humains, qui souligne que les droits individuels et collectifs ne sont pas mutuellement exclusifs, mais au contraire profondément interdépendants. Ainsi, bien que le droit des peuples à l’autodétermination soit reconnu dans les Pactes internationaux, rappelons que son exercice ne peut en aucun cas porter atteinte aux droits des individus ou des minorités.

Une rhétorique de plus en plus répandue cherche par ailleurs à opposer les droits universels aux valeurs québécoises. Ce discours est hautement préoccupant car les valeurs dominantes ou majoritaires, sensibles aux aléas de l’opinion publique, peuvent constituer une menace directe aux droits et contribuer à exclure ou marginaliser certaines minorités. La LDL rappelle la nécessité d’assurer la protection des droits humains, notamment à travers les chartes, et que ces droits ne doivent jamais être soumis aux valeurs changeantes de la majorité.

Le gouvernement québécois invoque régulièrement le principe de souveraineté parlementaire pour justifier des entorses aux droits. Ce principe représente un danger majeur lorsqu’il est invoqué pour déroger aux chartes et se soustraire à l’examen critique des tribunaux. Rappelons que les tribunaux jouent un rôle essentiel dans la démocratie et l’État de droit, et que les instruments de protection des droits humains ont précisément pour fonction de limiter les possibles dérives du pouvoir de la majorité et des parlementaires.

Au-delà de cette Journée internationale des droits de l’homme, nous, comme titulaires de droits humains, devrions célébrer nos instruments de protection des droits de l’homme et nous méfier de toute tentative visant à diluer leurs impacts.


[1] Il s’agit du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adoptés par les Nations Unies en 1966 et ratifié par le Québec et le Canada en 1976.