La participation des parents, un incontournable pour la création d’écoles inclusives

La participation de proximité des parents est une façon de faire respecter les droits de l’enfant comme le droit à l’éducation. Pour ce faire, des parents se mobilisent pour s’informer sur la vie démocratique de l’école et s’investir davantage dans les milieux scolaires.

La participation des parents, un incontournable pour la création d’écoles inclusives

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Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Jacinthe Jacques
Safa Chebbi
Coordonnatrices générales à La Troisième Avenue

L’école est avant tout le premier palier de la démocratie, où les jeunes acquièrent leurs premières connaissances, compétences et valeurs essentielles pour devenir des citoyens informés et actifs. Elle offre l’occasion de mettre en pratique les principes fondamentaux de la démocratie. Participer activement à la vie démocratique de l’école, étant parent ou jeune élève, peut être un puissant moteur de changement social positif. En s’engageant ainsi, les per­sonnes ont davantage la capacité d’influencer les pratiques contribuant ainsi à façonner une société plus équitable et respectueuse des droits humains.

Selon le Code civil du Québec et la Loi sur l’instruction publique1, l’école a le devoir d’instruire, de socialiser et de qualifier les enfants, tout en les rendant aptes à entreprendre et à réussir leurs parcours scolaires. L’école est tenue aussi de réaliser son projet éducatif, en collaboration avec divers acteurs, dont les parents, en siégeant dans des instances décisionnelles comme les conseils d’établissements pour exprimer leurs besoins et participer activement à la vie scolaire. Cette coopération entre l’école et les parents est cruciale pour garantir l’épanouissement éducatif des enfants.

Néanmoins, la réalité sur le terrain s’avère souvent plus complexe. Les lieux d’implication et de participation des parents ne sont pas toujours clairement compris pour être accessibles, que ce soit du côté de l’école ou des familles. Pourtant, il est toujours bénéfique pour l’enfant lorsque l’école tient compte de l’expérience des parents dans ses démarches d’intervention. Cette approche favorise un mode de fonctionnement démocratique qui conduit au dévelop­pement d’une citoyenneté allant au­-delà du simple droit à des services de qualité.

Les obstacles à la participation des parents à l’école

Selon nos différentes consultations auprès de nos membres parents, les obstacles sont nombreux à la participation au sein de l’école. D’une part, ceux­-ci ont souvent l’impression qu’ils ont de la difficulté à entrer en contact avec l’école que ce soit concernant l’accès à l’information ou encore aux personnels scolaires. Dans certains cas, ils ne peuvent même pas accéder physiquement au bâtiment. Pour un parent, la transition de l’espace de la petite enfance (0-­5 ans) à l’école primaire représente un changement radical en termes d’accessibilité physique et de relation avec l’institution et son personnel. Souvent, les parents éprouvent des difficultés pour aller au-­delà du secrétariat ou de la porte du service de garde, transformant ainsi l’espace­-école en un simple comptoir de services qui limite au maximum toute interaction externe.

D’autre part, les parents sont souvent confrontés à de nombreux préjugés provenant de l’école, particulièrement lorsqu’il est question d’un parent immigrant. À titre d’exemple, on entend souvent les idées préconçues selon lesquelles les parents   seraient peu intéressés par l’éducation de leurs enfants, trop occupés pour s’engager dans la démocratie scolaire de leur école, ou que leur culture les empêcherait de mieux comprendre les valeurs de l’école d’ici, renforçant ainsi une vision biaisée de leurs enfants. Ces préjugés remettent indirectement en question leur capacité à être de bons parents ou simplement de potentiels alliés pour l’école. Bien trop souvent, les interventions des parents à l’école prennent diverses formes, certaines pouvant même revêtir un caractère confrontant. On observe maintes fois des négociations pour définir la répartition des territoires symboliques liés à l’exercice du pouvoir. Les parents se sentent privés d’un sentiment d’appartenance envers l’institution qu’est l’école.

« Je suis tout à fait disposée à m’impliquer à l’école, mais il est difficile d’y pénétrer. Les seules invitations semblent limitées à des tâches spécifiques telles que ranger les livres de la bibliothèque ou contribuer à la logistique d’événements ponctuels. Notre implication se réduit alors à des tâches mécaniques simples qui ne demandent pas beaucoup de réflexion, et notre pouvoir est limité à une simple exécution de ces tâches. Dès que nous tentons de nous impliquer dans des rôles où notre champ d’action est plus étendu, les choses deviennent rapidement compliquées, et notre contribution semble soudainement être perçue comme une menace. Je suis convaincue que mes compétences peuvent être mises à contribution de manière plus significative pour aider l’école, au­delà de ces tâches ».

Diana (nom fictif), parent et membre de nos programmes dans le quartier Montréal-Nord

Comme l’illustre le témoignage de Diana, les parents qui manifestent habituelle­ment le désir et le besoin de partager leurs connaissances, de s’impliquer et de colla­borer avec l’équipe-­école font souvent face à des contraintes telles que des préjugés préexistants limitant leur participation. Cela engendre des blessures significatives érodant la relation de complicité qui devrait pourtant être favorisée. La communication se trouve ainsi entravée, générant malheureusement des positions de repli et des malentendus, nuisant au dialogue entre l’école et les familles.

Pour des écoles inclusives

La pleine participation des parents à l’école devient d’autant plus importante pour les familles immigrantes, qui repré­sente la plus grande proportion de notre public et une part significative de la population montréalaise ces dernières années. Notons par ailleurs un nombre record d’inscriptions d’élèves issus de l’immigration à Montréal en 20232. Le succès du projet migratoire de ces parents est souvent mesuré par la bonne intégration de leurs enfants et leur réussite scolaire.

Toutefois, l’école a de la difficulté à accueillir ces familles et elle a souvent tendance à les garder encore plus à l’écart que celles issues de la société d’accueil. Pourtant, la pleine participation des parents et des jeunes issus des groupes racisés au sein des structures démocratiques de l’école permettrait de construire des ponts entre les différentes cultures et par le fait même contribuer à créer un climat plus inclusif, harmonieux et bienveillant.

« Je me souviens d’une occasion où j’ai participé à un événement de chocolat chaud à l’école. Notre mission était de remplir les tasses pour les enfants pendant la pause. Lorsque mes propres enfants m’ont vue là, leurs yeux brillaient d’admiration, et ils étaient ravis de me présenter aux autres enfants. Même les enfants qui se reconnaissaient en moi, voyant en moi une figure de leurs familles, étaient également heureux de voir une personne qui leur ressemblait à l’intérieur de l’école. Ils venaient me parler et me demandaient si j’étais la maman de X ou de quel pays je venais. »

Najat (nom fictif), parent et membre de nos programmes dans le quartier Saint-Léonard

Comme illustré dans le témoignage de Najat, on perçoit clairement l’impact significatif de la présence des personnes racisées sur les enfants de ces groupes, même à travers la participation d’un parent à une action en apparence peu importante. Assurer et faciliter une pleine participation de ces groupes aux espaces dédiés aux parents contribuerait indéniablement à l’amélioration du vivre­-ensemble au sein de nos écoles. Leur implication au sein des structures démocratiques serait également un vecteur d’intégration sociale et civique, car l’école, en tant qu’incubateur de citoyenneté, offre la possibilité de développer un sentiment d’appartenance, des compétences sociales et des connais­sances transférables à d’autres aspects de leur vie sociale.

Il est essentiel de reconnaître qu’une école égalitaire et inclusive ne peut être construite sans la participation active des parents de son quartier, reflétant ainsi la diversité démographique locale. Les parents du quartier jouent un rôle important dans l’identification des problè­mes, la conception des solutions, leur mise en œuvre et leur évaluation. En tant qu’experts de leurs propres réalités, leur participation enrichit considérablement le processus. Dans cette optique, il est impor­tant de donner aux parents davantage de pouvoir au sein de l’institution scolaire. Leur implication ne devrait pas se limiter au bénévolat ; ils devraient occuper pleine­ment l’espace public qu’est l’école, ce qui implique une participation à tous les niveaux de prise de décision.

Ouvrir des espaces de dialogue

Dans ce contexte, une intervention spécifique et structurée est nécessaire pour favoriser les liens entre les parents et l’école, deux groupes indispensables. C’est d’ailleurs à la lumière de ces enjeux que notre organisation, La Troisième Avenue, a été fondée en 1974 à l’initiative de parents, devenant ainsi un centre d’expertise en participation citoyenne à l’école au Québec. Notre programme Parents en action pour l’éducation, l’un de nos principaux axes d’action, a été lancé en 1999 dans trois secteurs montréalais à forte population immigrante, soit Cartierville, Petite-­Bourgogne et Villeray. Ce programme a été conçu pour renforcer la capacité des mères issues de groupes marginalisés sur le plan économique et social à jouer un rôle actif dans les écoles. Il vise notamment à les aider à exprimer leurs préoccupations face aux réformes majeures du système scolaire des années 1998­1999 et aux réductions budgétaires qui ont un impact sur les chances de réussite égales pour leurs enfants.

À ses débuts, ce projet proposait des visites guidées en autobus scolaire en partenariat avec l’organisme l’Autre Montréal. Ces visites, d’une durée de plusieurs heures, permettaient au groupe de parcourir la ville en se focalisant sur des institutions, des thèmes et des événements de l’histoire de l’éducation à Montréal, avec une perspective critique visant à éclairer le présent en examinant le passé. À travers ces visites et les ateliers qui ont suivi, il est apparu que des discriminations systémiques existaient en termes d’accès à l’éducation et de réussite scolaire, malgré les efforts déployés pour rendre l’enseignement plus démocratique et garantir une plus grande égalité des chances en milieu scolaire.

Avec le groupe de 25 mères participantes, une prise de conscience collective s’est développée, conduisant à une volonté de participer activement au sein de ces institutions pour améliorer des situations sociales inégalitaires. Ces femmes ont créé leurs propres espaces pour transformer leur sentiment d’impuissance en une force d’action visant à améliorer les écoles publiques en fonction de leurs préoccupations spécifiques. Au fil des années, elles ont organisé des discussions sur ces enjeux et ont progressivement développé des ressources plus adaptées à leurs besoins en collaboration avec notre organisation pour relever ces défis.

Le projet s’est poursuivi ensuite pendant 2 à 3 ans en collaboration avec des organismes communautaires locaux pour promouvoir les visites et les ateliers. Bien que l’activité ait initialement ciblé les parents, elle a également été ouverte au personnel scolaire, aux travailleurs et travailleuses communautaires, ainsi qu’aux résidents et résidentes des quartiers. Au total, environ 400 personnes ont participé dans les quartiers suivants : Cartierville, Côte­-des-­Neiges, Parc­-Extension, Pointe Saint­-Charles, Saint­-Henri, Saint­-Michel, Villeray et Saint-­Laurent.

Les résultats de ces divers ateliers et conversations ont été analysés en colla­boration avec l’Université McGill pour créer, avec la participation des parents, un guide d’éducation populaire intitulé À qui appartient l’école ? Vers un sentiment d’appartenance des parents à l’école3. Cette série d’ateliers se poursuit encore aujourd’hui, avec la participation continue de milliers de parents, soulignant la persistance de la demande et du besoin pour ces activités.

En conclusion

Nous sommes convaincues qu’il est précieux, vital et avantageux d’établir la participation des parents à l’école pour avoir une vision intégrée de celle­-ci. Cela implique de considérer l’école comme une communauté éducative où tous les acteurs sont des partenaires engagés pour la réussite et l’épanouissement des enfants, nos futurs citoyens, qui leur sont confiés.

Cette finalité nécessite une alliance harmonieuse entre les parents et l’école. Cependant, pour permettre cette coha­bitation, l’école a également un rôle majeur à jouer. Il est important que l’école informe les parents de leurs droits et responsabilités tout en favorisant un dialogue ouvert avec eux. L’école doit être résolument inclusive et fière de sa diversité pour garantir une éducation inclusive pour l’ensemble des enfants qui la fréquentent. C’est seulement de cette manière que nous pouvons aspirer à une plus grande justice sociale à l’école.


  1. Chapitre III, section 1, article En ligne : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/I-13.3/20010701?langCont=fr#se:36
  2. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2005534/record-inscriptions-eleves-immigration-montreal
  3. En ligne : https://troisiemeavenue.org/appuyer-les-parents/