La répression policière et judiciaire pour gérer la pandémie : un choix aux conséquences délétères

Le nouveau rapport analyse 31 845 constats d’infractions signifiés en vertu des mesures sanitaires entre le 22 mars 2020 et le 27 juin 2021 ; près de 60% des constats d’infraction ont été signifiés pour non-respect du couvre-feu, une mesure liberticide adoptée sans délibérations.

Communiqué de presse
Pour diffusion immédiate

Nouveau rapport de l’Observatoire des profilages
La répression policière et judiciaire pour gérer la pandémie : un choix aux conséquences délétères

Montréal, le 16 mai 2022 — La Ligue des droits et libertés (LDL), le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes (RAPSIM), la Clinique Droits Devant, la Clinique Droit de cité et la COCQ-SIDA dénoncent de nouveau les conséquences néfastes de la répression policière et judiciaire durant la pandémie de COVID-19. L’Observatoire des profilages (ODP) publie ce matin le rapport Surengagement policier et judiciaire dans la gestion de la pandémie : conséquences pour les personnes judiciarisées et le système pénal, qui analyse 31 845 constats d’infractions signifiés en vertu des mesures sanitaires entre le 22 mars 2020 et le 27 juin 2021.

Obtenues du ministère de la Justice, les données analysées confirment qu’un nombre extrêmement élevé de constats d’infraction ont été signifiés pour non-respect du couvre-feu, soit 18 078 constats. De nombreux organismes, dont la LDL, le RAPSIM, la Clinique Droits Devant la Clinique Droit de cité et la COCQ-SIDA, ont dénoncé la nature liberticide du couvre-feu et son impact sur les droits humains des personnes en situation de vulnérabilité, de précarité ou en situation d’itinérance alors que l’utilité et la nécessité du couvre-feu pour réduire la propagation de la COVID-19 n’ont pas été démontrées.

En outre, ce rapport permet de constater pour la première fois que 275 personnes ayant déclaré l’adresse d’un organisme en itinérance ont reçu un constat pour non-respect des mesures sanitaires au Québec, dont 142 à Montréal. De ce nombre, 151 ont été signifiés pour non-respect du couvre-feu, alors que les personnes en situation d’itinérance devaient pourtant être exemptées de l’application de cette mesure sanitaire. Ces chiffres ne représentent que la « pointe de l’iceberg » car bien des personnes en situation d’itinérance donnent l’adresse d’un ami ou d’un membre de la famille et ces données n’ont pas pu être comptabilisées.

« Le gouvernement a fait le choix politique de l’imposition d’un couvre-feu. Ce n’était pas une décision fondée sur la science. Rappelons-nous combien l’annonce du couvre-feu par le gouvernement a été fait avec maladresse et avec un manque flagrant de considération pour les personnes en situation d’itinérance. Le gouvernement a pris la peine de penser aux chiens à promener le soir avant de se soucier de la santé et de la sécurité des êtres humains qui sont sans-toit » affirme Frédéric Côté, coordonnateur de la Clinique Droit de cité.

« Ce rapport vient confirmer ce que de nombreux organismes constataient déjà sur le terrain : des personnes en situation d’itinérance ou de vulnérabilité ont reçu des constats d’infraction pour leur seule présence dans l’espace public, sans égard à leurs réalités spécifiques et aux obstacles auxquels ils ou elles font face pour respecter les mesures sanitaires. Nous savons maintenant que des constats pour non-respect du couvre-feu ont été donnés à ces personnes même après l’exemption, ce qui est inacceptable » déclare Bernard St-Jacques, directeur de la Clinique Droits Devant.

« L’expérience du VIH a démontré que le recours excessif au droit pénal et criminel pour répondre à un enjeu de santé publique a des effets néfastes, tant sur l’efficacité des mesures de prévention que sur le respect des droits de la personne. Cette coercition ne fait qu’alimenter les préjugés, la méfiance et les inégalités économiques et sociales » rappelle Léa Pelletier-Marcotte, coordonnatrice du secteur droits à la COCQ-SIDA.

La judiciarisation a des impacts importants autant pour les personnes visées que pour le système judiciaire. Rappelons que l’amende associée à un constat est généralement de 1 550 $, incluant les frais. En date de l’extraction des données du rapport, la dette totale des personnes ayant reçu les constats étudiés était de près de 50 000 000 $. Par ailleurs, puisque 47,3 % des constats ont été contestés, jusqu’à 15 076 procès pourraient devoir être tenus à la grandeur du Québec. Ces coûts individuels et collectifs sont démesurés et délétères et risquent d’engorger un système déjà essoufflé.

« Cette dette judiciaire de 50 000 000 $ est d’autant plus inquiétante que l’on constate que les quartiers défavorisés à Montréal ont été particulièrement visés par ces constats d’infractions. Cette judiciarisation renforce les inégalités et les discriminations, sans égard aux réalités et aux obstacles vécus par les personnes et les communautés durant la pandémie, ni aux conséquences pour le futur. Ce montant va d’ailleurs augmenter, puisque des frais s’ajoutent à chaque étape judiciaire » déclare Céline Bellot, directrice de l’Observatoire des profilages.

La LDL considère que le recours à la répression policière et à la judiciarisation pour gérer une crise sanitaire est un choix politique aux conséquences désastreuses. La LDL rappelle qu’en raison du maintien de l’état d’urgence sanitaire, cette approche n’a jamais fait l’objet de délibérations à l’Assemblée nationale puisque mise en œuvre par des décrets successifs. Il est pourtant essentiel d’évaluer les impacts sur les droits humains au moment d’adopter des mesures sanitaires. Le gouvernement doit prendre acte des conséquences néfastes de cette approche punitive.

La LDL demande que la lumière soit faite sur la gestion arbitraire de la crise sanitaire. « Il est temps qu’une instance indépendante habilitée à rendre compte devant l’Assemblée nationale, comme le Protecteur du citoyen, soit incessamment désignée à procéder à l’examen de la gestion de l’état d’urgence sanitaire, de la gestion de la crise sanitaire ce qui inclut la répression policière et judiciaire » déclare Alexandra Pierre, présidente de la LDL.

La LDL rappelle que l’état d’urgence sanitaire est en vigueur depuis 2 ans et 2 mois et que le gouvernement n’a pas besoin du projet de loi 28 pour y mettre fin sans délai et sans formalité.

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Pour informations et entrevues :

Elisabeth Dupuis, responsable des communications de la Ligue des droits et libertés, 514 715-7727 [email protected]

Frédéric Côté, coordonnateur, Clinique Droit de cité 581 849-4819 [email protected]

Bernard St-Jacques, directeur de la Clinique Droits Devant, 438 398-1031 [email protected]

Léa Pelletier-Marcotte, coordonnatrice du secteur Droits de la personne et VIH, COCQ-SIDA, 514-844-2477, poste 32, [email protected]

Céline Bellot, directrice de l’Observatoire des profilages, 514 343-7223, [email protected]