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Ruth Rose, professeure associée
Département des sciences économiques, Université du Québec à Montréal
Au cours des dernières décennies, les femmes québécoises ont fait d’énormes progrès, notamment en raison de leur plus grande scolarisation, mais aussi à cause de la politique familiale la plus progressiste en Amérique du Nord. Les mesures d’accès abordable aux services de garde adoptées en 1997, des prestations pour enfants qui se comparent avantageusement à celles des pays européens et le Régime québécois d’assurance parentale, institué en 2006, ont permis à la génération actuelle des jeunes femmes de pénétrer le marché du travail sans sacrifier leur vie familiale.
Mais qu’en est-il de la génération née dans les années 1960? Ce sont les post babyboomers qui, aujourd’hui, sont dans la cinquantaine ou le début de la soixantaine. Cette génération est arrivée à l’âge adulte dans les années 1980, alors que le chômage atteignait un sommet de 12 % et que celui des jeunes dépassait 20 %. Les meilleurs emplois étaient encore occupés par les enfants nés après la guerre, qui ont bénéficié de la Révolution tranquille et de la croissance économique sans précédent des années 1960 et 1970.
Néanmoins, aux cours des années 1980, le taux d’activité des femmes âgées de 20 à 39 ans, c’est-à-dire des jeunes mères de famille, est passé d’environ 50 % à plus de 70 %, la période de croissance la plus soutenue pour ce qui est du travail des femmes. C’est la génération des femmes qui ont dû créer elles-mêmes les premières garderies et revendiquer un financement étatique adéquat, des femmes qui ont dû lutter pour des prestations et des congés parentaux convenables.
Vingt à trente ans plus tard, quelle est la situation économique de ces femmes qui s’approchent de la retraite? La participation au marché du travail dans leur jeunesse a-t-elle permis d’y maintenir leur présence plus tard? A-t-elle eu un effet positif sur leurs revenus?
La participation au marché du travail
Le graphique ci-dessous illustre les taux d’activité des femmes et des hommes âgés de 50 à 64 ans entre 1976 et 2018. Alors que ce taux pour les hommes âgés de 50 à 54 ans est resté stable sur l’ensemble de la période, celui des femmes de cet âge n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre 85,3 % en 2018, presqu’à égalité avec les 87,2 % des hommes.
Quant aux hommes âgés de 55 à 59 ans, leur taux d’activité a baissé entre 1976 et 2000, en grande partie à cause des politiques publiques qui les incitaient à prendre une retraite hâtive afin de laisser la place aux plus jeunes. Par la suite, leur taux a remonté lentement, atteignant à peu près le même niveau en 2018 qu’en 1976, autour de 80 %. Pendant ce temps, le taux d’activité des femmes âgées de 55 à 59 ans a suivi la même courbe que celle des femmes plus jeunes de cinq ans, partant toutefois d’un taux plus bas; en 2018, leur taux d’activité était de 71,2 %, plus élevé de 12 points de pourcentage que celui des hommes âgés de 60 à 64 ans.
Le graphique montre que la baisse d’activité des hommes âgés de 60 à 64 ans entre 1976 et 2000 était beaucoup plus marquée que celle des hommes âgés de 55 à 59 ans. Au cours des deux dernières décennies, leur taux d’activité a repris de la vigueur mais augmente moins rapidement que celui des femmes des trois groupes d’âge. Quant aux femmes âgées de 60 à 64 ans, leur taux d’activité a stagné autour de 20 % jusqu’en 2002, mais a plus que doublé depuis, atteignant 44 % en 2018, tout nous indiquant qu’il continuera de croître.
En d’autres mots, la pénétration du marché du travail des jeunes femmes des années 1980 s’est effectivement traduite par une croissance soutenue de leur présence en emploi à mesure qu’elles vieillissent.
Les revenus
Cette croissance de leur présence sur le marché du travail s’est-elle traduite en revenus plus élevés? Le tableau ci-dessous donne quelques informations sur le revenu moyen des femmes et des hommes âgés de 50 à 64 ans en 2015 et en 2000.
Revenu moyen des femmes et des hommes âgés de 50 à 64 ans, 2000 et 2015, Québec
Groupe d’âge | Femmes | Hommes | Écart entre les femmes et les hommes | % du revenu des femmes venant de l’activité économique | ||
2015 | 2000 | 2015 | 2000 | |||
50 à 54 ans | 45 076 $ | 68 309 $ | 34 % | 44 % | 87 % | 82 % |
55 à 59 ans | 41 005 $ | 66 799 $ | 39 % | 50 % | 74 % | 60 % |
60 à 64 ans | 35 408 $ | 60 036 $ | 41 % | 52 % | 45 % | 30 % |
Source : Calculs de l’autrice à partir de Gouvernement du Québec, Statistiques fiscales des particuliers selon l’année. Certaines données pour 2000 et 2015 ont été ajustées pour tenir compte des montants réels plutôt que des montants imposables.
Ce qui saute aux yeux, c’est qu’il reste encore un écart important entre les revenus des femmes et des hommes et qu’il augmente avec l’âge. En 2015, il y avait un écart de 34 % chez les 50 à 54 ans, augmentant à 41 % chez les 60 à 64 ans. Toutefois, ces écarts ont diminué de l’ordre de 11 points de pourcentage dans tous les groupes d’âge entre 2000 et 2015.
Le pourcentage du revenu des femmes provenant de l’activité économique, c’est-à-dire de l’emploi, de l’assurance-emploi et de l’entreprise, a aussi augmenté de façon significative. Chez les femmes âgées de 55 à 64 ans, l’augmentation a été de 14 à 15 points de pourcentage. Pour les 50 à 54 ans, où le pourcentage était déjà à 82 %, la croissance a été de 5 points de pourcentage.
Des données de recensement indiquent également que le taux de faible revenu à diminué de 18,3 % en 2005 à 15,0 % en 2015 chez les femmes âgées de 55 à 64 ans. Chez les hommes, la diminution a été de moindre envergure, passant de 15,4 % à 14,3 %.[1]
Selon ces informations, il semble que la situation économique des femmes s’approchant de la retraite s’est améliorée de façon significative entre 2000 et aujourd’hui, principalement à cause de leur plus grande persistance sur le marché du travail. Néanmoins, il reste encore des écarts importants par rapport aux hommes et un taux de pauvreté de l’ordre de 15 %.
[1] Statistique Canada, Recensement de 2016, Tableau 98-400-X2016126. Il s’agit de la mesure de faible revenu après impôt.