Le cadre législatif concernant les droits des personnes handicapées et l’accessibilité universelle

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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021

Me Melanie Benard,
avocate et cofondatrice de Québec accessible

Depuis une dizaine d’années, le mouvement de défense des droits des personnes handicapées prend de l’ampleur à travers le pays. En ratifiant la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées en 2010, le Canada s’est engagé à adopter des mesures législatives afin d’éliminer les obstacles et d’assurer l’accessibilité de l’environnement physique, des transports, de l’information et des communications[1]. S’inspirant de la Loi de 2005 sur l’accessibilité[2] de l’Ontario, le Manitoba[3] a adopté en 2013 une nouvelle loi sur l’accessibilité. La Nouvelle-Écosse a emboîté le pas en 2017, suivie par le gouvernement fédéral en 2019. La nouvelle Loi canadienne sur laccessibilité[4] s’applique à la sphère de compétence fédérale, regroupant notamment les télécommunications, les banques et le transport interprovincial par avion et par train.

Ces lois prévoient l’élaboration de normes d’accessibilité dans divers domaines, tels que le transport, l’emploi, l’information et les communications. Elles visent l’élimination des obstacles dans les secteurs public et privé dans des délais prescrits, et elles prévoient des inspections et des pénalités significatives en cas de non-conformité.

Cette vague d’avancées législatives est aussi notable sur le plan international. En 2005, la France a adopté la Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées[5]. En 2019, l’Union européenne a adopté l’Acte législatif européen sur l’accessibilité[6]. Tous ces développements juridiques s’inscrivent dans la foulée des progrès réalisés par les pionniers de l’accessibilité aux États-Unis suite à l’adoption de la loi dite Americans with Disabilities Act[7] en 1990.

Le cadre législatif québécois

Qu’en est-il au Québec? En 1978, le Québec a adopté la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées[8]. Considérée comme avant-gardiste à l’époque, cette loi a créé l’Office des personnes handicapées du Québec, une nouvelle instance gouvernementale chargée de promouvoir les intérêts des personnes handicapées et de favoriser leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. Elle imposait des obligations au secteur public, dont la mise en accessibilité des immeubles, des transports et des services dans un délai raisonnable.

On peut donc se demander pourquoi, plus de quarante ans après son adoption, d’innombrables obstacles continuent à entraver l’exercice des droits des personnes handicapées en limitant leur accès à l’éducation, au travail, au logement et aux transports, sans parler des soins de santé, des commerces et des loisirs. Pour ne prendre qu’un exemple, est-il raisonnable qu’en 2021, seulement 16 des 68 stations du métro de Montréal soient équipées d’ascenseurs? Force est de constater que la loi québécoise manque de mordant.

Malgré des amendements adoptés en 2004, cette loi comporte des lacunes importantes. Contrairement aux lois contraignantes sur l’accessibilité mentionnées ci-dessus, elle s’applique seulement au secteur public. Elle ne fixe aucun objectif ou échéancier précis pour l’élimination des obstacles, et elle ne prévoit aucune pénalité en cas de non-conformité. Par conséquent, ses dispositions sont souvent bafouées et la mise en accessibilité progresse à pas de tortue.

À titre d’exemple, la loi exigeait la publication, en 2006, d’un rapport sur l’accessibilité des immeubles à caractère public qui n’étaient pas encore assujettis à des normes d’accessibilité. L’année suivante, le gouvernement était censé adopter un règlement obligeant à rendre accessibles certaines catégories d’immeubles. Selon le rapport[9] publié, le degré moyen d’accessibilité des immeubles dans le secteur public n’était que de 54 %. Les écoles avaient un taux moyen de seulement 13 %. Dans le secteur privé, les établissements d’affaires, y compris les cabinets de médecin et de dentiste, avaient un taux moyen d’accessibilité de 30 %. Pour les édifices à logements et les hôtels, ce taux était de 25 %. Les lieux de rassemblement, tels que les restaurants, les centres sportifs, les théâtres et les garderies, en étaient à 45 %. Les commerces affichaient un résultat légèrement supérieur (59 %)[10]. À ce jour, soit presque quinze ans après le délai fixé par la loi, le gouvernement n’a toujours pas adopté de règlement concernant les catégories d’immeubles qui doivent être rendus accessibles. Combien de temps devrons-nous encore attendre?

Bien que le droit à l’égalité des personnes handicapées soit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne, il s’avère difficile à exercer en pratique. Les personnes handicapées qui subissent de la discrimination peuvent porter plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, laquelle fait enquête. Si la Commission retient la plainte, elle peut représenter la plaignante ou le plaignant devant le Tribunal des droits de la personne.

La discrimination fondée sur le handicap suscite le plus grand nombre de plaintes année après année. En 2019-2020[11], 35 % des enquêtes de la Commission concernaient ce motif de discrimination. Près de la moitié des dossiers portaient sur la discrimination en emploi. En revanche, la race et l’origine ethnique, l’autre motif de discrimination le plus fréquemment invoqué, ne représentait que 29 % des enquêtes[12].

Les plaignant-e-s ne doivent pas s’attendre à des résultats rapides : l’an dernier, le délai moyen de traitement des dossiers par la Commission était de 22 mois. Ce délai excessif a augmenté de deux mois par rapport à 2018-201913. En outre, au lieu d’obliger les organismes à éliminer les obstacles de manière proactive, le système est réactif : il impose aux individus le fardeau de s’attaquer aux obstacles à la pièce et offre des remèdes individuels à un problème systémique.

De toute évidence, il faut renforcer le cadre législatif actuel afin de permettre aux personnes handicapées d’exercer pleinement leurs droits. Le Québec doit se doter d’une loi contraignante sur l’accessibilité, une loi qui vise l’élimination proactive des obstacles et qui impose des pénalités en cas de non-respect de ses dispositions. Autrefois chef de file dans son approche législative concernant l’inclusion des personnes handicapées, le Québec accuse maintenant un retard gênant par rapport à d’autres provinces et pays. Une réforme législative s’impose.

Quand nous nous relèverons de la pandémie de la COVID-19, nous devrons reconstruire notre société sur de meilleures bases. Profitons de l’opportunité qui nous est offerte et de l’élan qui anime le mouvement de défense des droits des personnes handicapées pour actualiser le cadre législatif québécois concernant l’accessibilité.

 


 

[1] Convention relative aux droits des personnes handicapées, articles 4(1) et 9. En ligne : https://www.un.org/disabilities/documents/convention/convoptprot-f.pdf

[2] En ligne : https://www.ontario.ca/fr/page/propos-des-lois-surlaccessibilite#section-1

[3] En ligne : http://www.accessibilitymb.ca/law.fr.html

[4] En ligne : https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/accessible-personnes-handicapees/loi-resume.html

[5] En ligne : https://handicap.gouv.fr/vivre-avec-un-handicap/acceder-sedeplacer/article/loi-du-11-fevrier-2005

[6] En ligne : https://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=1202&langId=fr

[7] En ligne : https://www.ada.gov/pubs/adastatute08.htm

[8] En ligne : https://www.ophq.gouv.qc.ca/loi-et-politiques/loi-assurantlexercice-des-droits-des-personnes-handicapees.html

[9] En ligne : https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/rapports_ministre/RapportMinistreAccessibilite.pdf

[10] Ministère du Travail, (2006), Pour une meilleure accessibilité : Rapport du ministre du Travail sur l’accessibilité aux personnes handicapées de bâtiments à caractère public construits avant décembre 1976.

[11] En ligne : https://www.cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/RA_2019_2020.pdf

[12] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, (2020), Rapport d’activités et de gestion 2019-2020, p. 21.

 

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