Le chemin vers la réconciliation

Ce retour sur les éléments clés du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) fait état des nombreuses recommandations du CVR visant à remédier aux séquelles des pensionnats indiens dans le respect des droits des peuples autochtones.

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Joanne Ottereyes, analyste juridique et politique
Femmes Autochtones du Québec
Alana Boileau, coordonnatrice justice et sécurité publique
Femmes Autochtones du Québec

Lors de son événement de clôture en juin dernier, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) a présenté le sommaire et les recommandations du rapport final qui sera rendu public prochainement. La CVR n’avait pas comme mandat de blâmer les auteur-e-s des abus qui ont été commis contre les enfants autochtones dans ces pensionnats, mais plutôt d’assurer que la vérité de ce qui s’est passé dans les pensionnats soit entendue et de « reconnaitre ces expériences uniques ». Ainsi, la CVR a conclu que le but des pensionnats indiens était d’ « intégrer les indiens à la société » en séparant les enfants de leurs familles, en affaiblissant les liens communautaires et en endoctrinant les enfants à la culture euro-chrétienne. En opération pendant plus de 100 ans, ces quelque 130 pensionnats établis à travers le pays ont reçu plus de 150 000 enfants. Puisque cette politique des pensionnats autochtones a également été mise en œuvre au Québec, Femmes Autochtones du Québec (FAQ) a suivi de près les travaux de cette Commission, accompagnée de ses membres qui sont survivantes des pensionnats.

Instaurée en 2007, cette Commission a écouté et recueilli les témoignages de plus de 6 750 survivant-e-s qui ont fréquenté ces institutions dirigées par des Églises mais financées par le gouvernement fédéral. Ces survivant-e-s ont raconté leurs histoires d’abus physiques, psychologiques et sexuels. Des expériences nutritionnelles pour examiner les effets secondaires des suppléments nutritionnels ont également été effectuées sur des enfants autochtones affamés dans les pensionnats. Dans son sommaire, la CVR a même été jusqu’à qualifier ce programme gouvernemental des pensionnats comme un « génocide culturel » qui a été commis envers les peuples autochtones car les familles ont été « séparées pour empêcher la transmission de l’identité et des valeurs culturelles d’une génération à l’autre ». Il a aussi été souligné que le « transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe » est reconnu comme un acte de génocide selon la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qui a été ratifiée par le Canada en 1952. Il est évident que le Canada n’a pas respecté ses obligations internationales lorsqu’il a été question de mettre en œuvre cette convention au pays, car le dernier pensionnat a fermé ses portes en 1996.

La CVR a aussi présenté 94 recommandations, lançant des appels à l’action pour remédier aux séquelles des pensionnats, certaines visant les différents paliers gouvernementaux dans les domaines de la protection de l’enfance, de l’éducation, de la santé et de la justice et d’autres axées sur la réconciliation entre les gouvernements, les églises, les médias, les citoyens canadiens et les peuples autochtones. Pour ce faire, la CVR a réitéré à plusieurs reprises l’importance d’assurer la pleine mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle a rappelé que ses principes devraient être utilisés comme cadre pour la réconciliation entre les autochtones et les non-autochtones afin d’établir de nouvelles relations. La pleine mise en œuvre des recommandations est nécessaire afin de réparer une relation qui a été brisée depuis longtemps. Les impacts des pensionnats sont visibles encore aujourd’hui avec plus de 40 000 enfants autochtones qui se retrouvent présentement sous le système de la protection de la jeunesse, ce qui est trois fois plus élevé que le nombre d’enfants dans les pensionnats à leur plus haut niveau de fréquentation.

La quarante-et-unième recommandation du rapport de la CVR demande au gouvernement fédéral une commission d’enquête publique chargée de se pencher sur les causes de la disproportion de la victimisation des femmes et des filles autochtones et sur les moyens pour y remédier. Cette commission devra comprendre, entre autres, la réalisation d’une enquête sur la disparition et l’assassinat de femmes et de jeunes filles autochtones. Le lien entre les pensionnats indiens et les femmes autochtones disparues ou assassinées peut paraître nébuleux; pourtant il est très clair.

Malgré l’existence de données policières sur les meurtres et disparitions de femmes autochtones qui remontent à 1980, la disparition est un motif récurrent dans l’histoire des femmes autochtones depuis bien plus longtemps. Dès l’imposition de la Loi sur les Indiens et ce, jusqu’en 1985, les femmes autochtones qui mariaient un homme non-autochtone devaient renoncer à leur statut d’indienne et en l’occurrence à leurs droits en tant que femmes autochtones. Par le fait même, ces femmes devaient quitter leur communauté, leur famille, leur territoire et ultimement, plusieurs n’ont jamais pu y retourner. À l’époque des pensionnats, les conditions d’insalubrité et la malnutrition ont causé plus de 4 000 décès d’enfants; ces enfants non plus ne sont jamais retournés dans leur communauté. Dans plusieurs cas, les familles n’ont même jamais su ce qui leur était arrivé. Aujourd’hui, les répercussions des pensionnats indiens sont quasi incalculables. Les taux de suicide élevés, la banalisation de la violence, les taux croissants d’incarcération de femmes autochtones sont autant de réalités dont l’existence peut être liée directement à l’expérience des pensionnats indiens. La CVR demande donc une commission d’enquête publique. Celle-ci obligerait le gouvernement fédéral à faire le lien entre les pensionnats indiens et la vulnérabilité des femmes autochtones en reconnaissant que l’impact des pensionnats sur les aptitudes parentales, la confiance en soi, le lien avec la culture et l’identité, la perception de la société non-autochtone sont les éléments sous-jacents à la violence et à la discrimination qui sont omniprésentes dans la vie des femmes autochtones.

En participant à la CVR en tant que témoin honoraire, Femmes Autochtones du Québec a accepté de s’engager à travailler pour la réconciliation. Ainsi, nous reconnaissons que désormais, nous avons une responsabilité importante, soit celle de multiplier les occasions pour les populations autochtones et non-autochtones du Québec de se rapprocher, de mieux se connaître et se comprendre.

Cela dit, nous avons été forcées de constater, au cours des dernières années, que ce rapprochement semble se faire plus lentement au Québec qu’ailleurs au Canada. À notre avis, cela s’explique entre autres par le fait que l’importante conversation canadienne entourant l’enjeu de la réconciliation se déroule majoritairement en anglais. C’était d’ailleurs également le cas pour la majorité des événements à l’horaire lors des événements de clôture de la CVR. Ainsi, dans une province où la population majoritaire est francophone, mais aussi où le français est la langue d’usage pour une portion importante de la population autochtone, nous devons porter les messages de la CVR en français. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’avant même que la CVR en fasse la recommandation, nous avons soumis à l’Assemblée nationale une pétition qui réclamait l’ajout des pensionnats au programme d’enseignement de l’histoire dans la province. Dans le même ordre d’idées, les coordonnatrices de FAQ s’affairent à donner des présentations hebdomadaires sur l’histoire et les réalités actuelles des femmes autochtones dans les universités, auprès de fonctionnaires, avec des groupes communautaires et dans les classes d’écoles secondaires. Nous croyons fermement que les efforts d’éducation et de sensibilisation en français doivent être multipliés dans la province qui, en raison des barrières linguistiques, n’a pas toujours accès à une conversation déjà entamée ailleurs au pays. Ces initiatives incluent entres autres l’enseignement obligatoire des traités autochtones dans les institutions scolaires en Saskatchewan, la création d’unités autochtones au sein du corps de police à Winnipeg, la reconnaissance des noms traditionnels autochtones de lieux en Colombie-Britannique sur les panneaux routiers, l’enseignement de l’histoire des pensionnats autochtones dans le cadre du programme d’études en Alberta et en Ontario, la création d’un programme d’études sur la gouvernance autochtone à l’Université de Victoria et la publication d’une section anglophone de nouvelles concernant les enjeux autochtones sur le site web de CBC/Radio-Canada.

FAQ s’est aussi engagée à diffuser les recommandations de la CVR qui nous indiquent clairement comment travailler ensemble, les moyens d’établir des relations harmonieuses entre autochtones et non-autochtones et de combattre les préjugés envers les autochtones. Seulement ainsi, nous pourrons finalement établir les bases nécessaires pour une réconciliation entre les peuples autochtones et les non-autochtones.

 

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