Retour à la table des matières
Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021
Lorraine Guay, militante au sein du mouvement communautaire autonome et infirmière à la Clinique communautaire de Pointe-St-Charles de 1972 à 1985
Au départ… les cliniques populaires
Impossible de parler des CLSC au Québec sans revenir au mouvement des Cliniques populaires des années 60-70, dont elles furent une des inspirations[1]. De quoi ces cliniques étaient-elles porteuses dans le contexte d’alors marqué par de fortes disparités quant à l’espérance de vie, par l’accès aux soins monopolisé par les cabinets privés de médecins et les compagnies d’assurance, par l’endettement ou le recours à la charité publique?
Ces expériences hors normes, en rupture avec la médecine libérale, reposaient sur quelques idées fortes telles : une vision globale de la santé qui ne se réduit pas aux seules pathologies physiques, mais qui prend en compte les conditions de vie délétères dans lesquelles vivent les gens, la nécessité pour les populations concernées et particulièrement celles des quartiers dits défavorisés de prendre en main collectivement leur santé, l’importance de leur participation directe à la définition des orientations et des pratiques, la volonté de soutenir cette prise en charge et cette participation par un immense travail d’éducation populaire, le salariat pour les médecins, l’accès gratuit aux médicaments, aux soins dentaires et oculaires, le travail multidisciplinaire contre l’hégémonisme de la seule profession médicale, l’urgence de renverser la pyramide du système de santé — hospitalo et médico centrique — vers un système de première ligne centré sur la communauté.
Il ne s’agissait pas seulement de renverser structurellement la pyramide, mais aussi de renverser les pouvoirs (médicaux, technocrates, compagnies pharmaceutiques), les hiérarchies posées en dogmes absolus dans les têtes, les comportements, les pratiques. Le salariat pour les médecins en particulier a suscité l’ire de la Corporation professionnelle des médecins. Le Dr Augustin Roy, son président d’alors, tirait à boulets rouges sur la Clinique de Pointe-St-Charles, l’accusant de pratiquer une médecine soviétique!!!
Les Cliniques populaires auront réussi à opérer ces changements, s’inscrivant dans les orientations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui prônait déjà l’importance de la première ligne et de la participation des communautés locales non seulement pour les pays en développement, mais aussi pour les pays soi-disant développés.
Naissance des CLSC : une parenté conflictuelle
Les CLSC naissent dans la foulée du rapport Castonguay-Nepveu paru en 1971[2]. On peut certes affirmer que ce projet gouvernemental marquait une avancée majeure en ce qu’il proposait la gratuité des services de première ligne en santé et services sociaux sur tout le territoire québécois et une relative autonomie de gestion et de participation des citoyen-ne-s, ce qui était quand même novateur pour l’époque. Il y avait enfin une porte d’entrée publique dans le système pour garantir le droit à la santé plutôt qu’une myriade de cabinets privés de médecins dont le souci pour ce droit n’était pas la tasse de thé… Rappelons en effet que les CLSC naissent dans un contexte où les associations de médecins sont contre l’assurance hospitalisation, contre l’assurance santé et même contre les CLSC… Difficile d’avoir accueil plus hostile! Il aura fallu beaucoup de courage aux médecins qui ont choisi de pratiquer en CLSC.
Bien que les CLSC n’aient été qu’une pâle copie des cliniques populaires, ils ont grandement facilité l’accès aux services non seulement médicaux, mais aussi sociaux. Un travail collégial entre divers professionnel-le-s s’y est installé.
Les premières générations de CLSC, surtout, ont même été très actives dans l’émergence de projets collectifs novateurs basés sur les besoins du milieu et dont on pourrait recenser de multiples exemples dans toutes les régions du Québec[3].
Par ailleurs, le refus du gouvernement de reconnaître officiellement les cliniques populaires comme alternative plus poussée dans des communautés ou des quartiers qui le souhaitaient a entraîné la mort lente de ces cliniques sauf celle de Pointe-St-Charles qui a réussi, grâce à de nombreuses mobilisations, à se négocier un statut particulier dans la Loi sur la Santé et les Services sociaux.
Les CLSC… largués par les décideuses et décideurs politiques
Force est de constater toutefois que gouvernement après gouvernement, peu importe le parti au pouvoir, les CSLC sont demeurés cette structure embarrassante dont on ne voulait plus en haut lieu. Ils ont dû faire face à de multiples obstacles tout au long de leur courte histoire, entre autres : boycott systématique par le corps médical ; absence d’investissements substantiels capables de soutenir l’implantation d’une véritable première ligne au Québec ; refus d’une politique pro-active de recrutement de médecins (salaires adéquats ou même majorés comme en région éloignée, les CLSC étant le territoires éloignés de la médecine, passage obligé de tout étudiant-e en médecine familiale, etc.) ; tendances bureaucratiques, etc.
Bien plus, la complaisance avec laquelle les gouvernements ont laissé croître les cliniques privées a placé les CLSC en position de concurrence face à la population et face aux médecins, accréditant une mcdonalisation de la médecine de première ligne (le fast food des sans rendez-vous et des sans suivis ; des problèmes physiques amputés de leur dimension psycho-sociale qu’on relègue par ailleurs au secteur public…)[4]. Exit la première ligne publique…
Le coup de grâce est venu du rapport Clair[5], qui proposait la création d’une nouvelle structure, les Groupes de médecine de famille rompant avec la vision CLSC et redonnant le pouvoir aux médecins seuls…
« On a développé les CLSC pour offrir des services de première ligne et des ressources dévouées à la prévention de la santé. Comme les médecins n’y sont pas allés, on amène aujourd’hui les professionnels aux médecins dans les GMF. Mais notre crainte, c’est qu’on est en train de mettre en danger tout le cœur de la mission des CLSC »[6].
Et en effet le GMF a évacué pour de bon l’aspect de prise en charge globale de la santé pour une communauté donnée, de même que la participation citoyenne. Les autres professionnel-le-s de la santé sont sous la gouverne des médecins et le volet social est réduit à une activité de triage.
Les fusions des CLSC avec les CHSLD et les hôpitaux non universitaires (Réforme Couillard de 2004), suivies de leur intégration au sein de méga structures (CISSS/CIUSSS[7]) (Réforme Barrette de 2015) marquent la disparition lente, mais inexorable de la mission particulière, originale, spécifique de cette institution du réseau de la santé. L’implication citoyenne y a été complètement évacuée. L’idée fondatrice des cliniques populaires et des premiers CLSC, à savoir que les populations devaient prendre collectivement leur santé en main, a été totalement éliminée. Le droit à la santé de certains groupes minoritaires a été bafoué entre autres parce qu’il n’existe plus de représentation populaire aux différents Conseils d’administration. Le gigantisme des établissements a noyé tout effort significatif de représentation et de participation.
On aura ainsi tué dans l’œuf ce que le Québec a produit de meilleur sur le plan de l’organisation d’un système de santé et de services sociaux.
Les CLSC… y revenir sans revenir en arrière
Le contexte et le rapport de force ont changé. La privatisation du système (ouverte ou passive) s’est beaucoup développée. Un nouveau rapport de force doit surgir des mouvements sociaux et de l’intérieur même du réseau de la santé et des services sociaux.
On ne répète pas l’histoire. On ne refait pas du pareil au même. Le moment est venu de revoir la pertinence du projet CLSC sans revenir en arrière. Il s’agit plutôt de s’inspirer des origines de ce projet et de celui des cliniques populaires pour créer du neuf, pour mettre en place une véritable première ligne publique au Québec par des structures de proximité souples, participatives, à taille humaine et dans lesquelles le droit à la santé constituerait un principe non négociable.
[1] On fait référence ici en particulier à la Clinique des citoyens de St-Jacques, à la Clinique communautaire de Pointe-St-Charles, à la Clinique du peuple de St-Henri.
[2] Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social (CESBES).
[3] Serge Mongeau, Non, je n’accepte Autobiographie, tome 1 (1937-1979). Chap. XIV, Les Éditions Écosociété, 2005.
[4] Lorraine Guay, ex-infirmière à la Clinique communautaire de Pointe-St-Charles de 1972 à 1985, Les fusions de CLSC : chronique d’une mort annoncée. Marche avant vers le passé.
[5] Gouvernement du Québec, Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux, Les solutions émergentes (Commission Clair),
[6] Caroline Dubé, présidente de l’APTS, citée dans Jessica Nadeau, Le Devoir, 3 mars 2016, Québec atrophie les
[7] Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS).