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Marie-Ève Desroches, Militante du Comité femmes et logement du Centre d’éducation et d’action des femmes (CEAF) et candidate au doctorat en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
«Un jour, je sortais de la douche, j’étais nue. Mon proprio était entré, il devait réparer une lumière dans ma cuisine.» – Yasmina, 33 ans
«Je vis dans un HLM. Le président de l’association des locataires m’a dit que si je voulais avoir des réparations, je devais lui rendre des services … sinon, il ne m’aidera pas.» – Judith, 48 ans
«Quand j’étais étudiante, je vivais en chambre sur le campus. J’ai été agressée dans la salle de lavage.» – Roxanne, 31 ans
Un sombre état de la situation
Ces citations sont issues d’un travail de terrain amorcé en 2013 par des militantes du Centre d’éducation et d’action des femmes (CEAF). Ces femmes s’étaient donné le mandat de cerner les enjeux de logement auxquels sont confrontés les résidentes de leur quartier (Sainte-Marie, situé dans le Centre-Sud de Montréal)[1]. Elles ont constaté des hausses de loyers qui contribuent à la pauvreté, de la discrimination à la location, des expulsions pour convertir en condo, des logements laissés à l’abandon, une augmentation de l’itinérance, mais aussi des violences sexuelles vécues par les femmes locataires et chambreuses.
Ces violences concernent, par exemple, des avances sexuelles, des actes d’exhibitionnisme, des commentaires déplacés, des attouchements, des agressions et des viols perpétrés par des propriétaires, concierges, gestionnaires d’immeuble ou co-chambreurs. Les militantes avaient l’impression que les violences sexuelles étaient méconnues, taboues et que personne n’agissait pour prévenir et lutter contre ces violences. Elles ont donc mis sur pied un comité pour documenter, informer, conscientiser et agir pour mettre fin aux violences sexuelles vécues par les femmes locataires et chambreuses. Depuis, elles ont rencontré plus de 150 femmes qui ont témoigné de l’enfer qui a occupé ou qui habite encore leur quotidien, mais également leur domicile.
Ces histoires sont donc loin d’être anecdotiques ou encore des cas isolés puisque ces violences prennent place partout : dans des logements et résidences privées, des maisons de chambre, mais aussi des logements sociaux. Ces violences s’inscrivent dans des rapports de pouvoir inégalitaires entre les hommes et les femmes, mais également entre les propriétaires ou concierges et les femmes locataires ou chambreuses. Les propriétaires et concierges connaissent, par exemple, certaines de leurs informations personnelles et privées, ils peuvent menacer de les expulser ou de hausser leur loyer, mais surtout ils détiennent les clés du logement, ce qui signifie qu’ils y ont accès à toute heure du jour ou de la nuit. De plus, elles risquent, au quotidien, de voir ou d’avoir à interagir avec leur agresseur ou harceleur. Lorsque les murs, la cour arrière, le couloir, le plancher, le lit et la table de la cuisine rappellent continuellement des violences vécues, le processus de guérison s’avère pratiquement impossible. Comme il y a rarement de témoins, il peut sembler difficile, voire impossible de porter plainte ou même de se sortir de ces situations.
Bien que ces violences touchent l’ensemble des femmes, les témoignages recueillis permettent de croire que les femmes vivant seules, les mères monoparentales, les femmes sans statut, à statut précaire, les femmes racisées, celles vivant des conditions économiques difficiles, les femmes handicapées, les femmes autochtones et les femmes âgées sont plus fréquemment touchées. Devant cette révoltante réalité, les militantes ont promis aux survivantes de porter leurs voix, d’une part, pour qu’il y ait reconnaissance de l’enjeu et, d’autre part, pour qu’il y ait des changements afin d’aider les femmes à s’en sortir.
Actions entreprises: Porter la voix des femmes
Au fil des années, le comité a agi afin de sensibiliser le public à cet enjeu, mais aussi pour rejoindre les femmes susceptibles de vivre de telles situations. En plus des kiosques et ateliers tenus dans différents groupes et lieux publics, les militantes ont investi l’art engagé afin de porter la voix des survivantes. Les militantes ont conçu le photoroman Chaines et résistance. En plus de porter l’histoire de trois survivantes, il s’agit d’un outil d’éducation populaire qui comporte des informations sur les droits et ressources auxquelles les femmes peuvent faire appel. Cet outil a été distribué à plus de 7 000 personnes à travers le Québec. Pour offrir une incursion dans le quotidien des survivantes, elles ont conçu un musée éphémère qui est composé d’objets, de décors et d’histoires qui représentent les violences vécues. À ce jour, le musée a fait son passage à Trois-Rivières, Sherbrooke, Rimouski, Granby, Montréal et Châteauguay et a été visité par plus de 800 personnes. Comme le passage du musée était co-organisé avec des groupes communautaires locaux, ceux-ci sont désormais mieux outillés pour répondre aux besoins des femmes de leur région.
Apporter du changement
Pour apporter des changements concrets, les militantes se sont alliées avec des groupes qui œuvrent auprès des femmes en difficulté, des victimes de violences sexuelles et dans le domaine du logement. Ces groupes, qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, ont formé une coalition pour mener une campagne qui s’articule autour de quatre grandes revendications.
Pour lutter contre ces violences, nous demandons à ce que les gestionnaires et propriétaires de logements incluent, dans leurs règlements internes et d’immeuble, la reconnaissance des violences spécifiques que subissent les femmes locataires, et mettent en place des mécanismes permettant de prévenir et combattre ces violences[2].
Pour mieux outiller les locataires, nous voulons que les articles du Code civil du Québec qui protègent le droit des locataires à un environnement de vie sécuritaire, notamment les articles 1902, 1931 et 1974.1, soient davantage en vue sur le formulaire du bail.
Pour prévenir ces violences, nous demandons que, dans la prochaine Stratégie gouvernementale sur les violences sexuelles, le gouvernement du Québec reconnaisse et dénonce la gravité des violences et du harcèlement sexuel ciblant spécifiquement les femmes locataires, qu’il réfléchisse à des moyens pour lutter contre ces violences et s’engage à mettre sur pied et à diffuser une campagne publique de sensibilisation sur ce thème.
Pour aider les femmes à s’en sortir, nous demandons à ce que la liste des infractions donnant droit à l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) soit actualisée afin d’y inclure les infractions révisées du Code criminel, dont le harcèlement criminel et les menaces. Nous demandons également à ce que des fonds publics y soient réinvestis et que la nouvelle procédure demandant un rapport médical soit retirée.
Cette campagne a récolté d’importants appuis : plus de 5000 personnes ont signé une pétition qui a été déposé à l’assemblé nationale et plus de 200 organismes communautaires, syndicats, associations étudiantes et regroupements de toutes les régions du Québec ont adhéré à ces revendications.
Des avancées dans le logement social
Bien que nous n’ayons pas eu d’avancées quant à nos revendications qui s’adressaient au gouvernement, nous travaillons actuellement avec des acteurs du logement social à la réalisation de notre première revendication. À titre d’exemple, le Réseau québécois des OSBL d’habitation a publié en mars le Guide pour prévenir les violences et le harcèlement envers les femmes dans les OSBL d’habitation[3]. En plus d’être une importante prise de position par un regroupement national, ce guide présente un ensemble de pistes d’action pour développer des milieux de vie exempts de violences sexuelles. Ensuite, différents acteurs du milieu des coopératives d’habitation ainsi que des habitations à loyer modique (HLM) se sont montrés ouverts à reconnaitre l’enjeu et à prendre des mesures pour prévenir et lutter contre ces violences.
La lutte ne s’arrête pas là, les militantes continueront de se battre non seulement pour la reconnaissance de l’enjeu, mais surtout afin que la honte change de camp!
[1] Témoignages lors de l’assemblée publique sur les femmes et le logement à Montréal, 2014.
[2] Par exemple, mentionner dans les règlements ou le code de vie que toute forme de harcèlement ou de violence est interdite et fera l’objet de sanctions pouvant aller jusqu’à l’expulsion.
[3] https://rqoh.com/wp-content/uploads/2018/01/RQOH_Guide_prevenir_violences_et_harcelement_envers_femmes_OSBL-H_web.pdf