Cette lettre ouverte a été publiée dans La Presse, le 23 février 2023
Organisations signataires
Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Bernard St-Jacques, directeur de la Clinique Droits Devant
Marion Bertrand-Huot, directrice par intérim du Conseil québécois LGBT
Annie Savage, directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)
Me Donald Tremblay, directeur général de la Clinique juridique itinérante
Root, directeur de la Coalition des groupes jeunesse LGBTQ+
Appelée à témoigner le 15 février dans le cadre d’une action collective intentée par la Ligue des Noirs, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a déclaré ne pas avoir de « baguette magique » pour enrayer le racisme et le profilage racial.
En tant que représentants de plusieurs organisations communautaires et de défense des droits, nous déplorons vivement l’absence de vision d’ensemble et de détermination de la part de l’administration de la Ville de Montréal dans la lutte contre le profilage racial et social par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Nous nous questionnons sur la réelle volonté d’agir de l’administration, alors que l’on observe un abandon de certaines mesures phares qu’elle s’est pourtant engagée à mettre en œuvre il y a plusieurs années pour lutter contre ces formes de discrimination systémiques menées à l’encontre de populations autochtones, racisées et marginalisées.
Peu se souviennent qu’en juin 2017, deux commissions permanentes de l’agglomération de Montréal ont tenu une importante consultation publique sur la lutte contre le profilage racial et social.
À la suite du dépôt de nombreux mémoires et de l’audition de plus d’une vingtaine d’organismes et institutions, un rapport contenant 31 recommandations a été déposé en septembre 2017, toutes adoptées par le comité exécutif en mars 2018.
Une révision de la réglementation municipale tablettée par l’administration Plante?
L’une des recommandations consistait à procéder à la révision de toutes les dispositions réglementaires de la Ville de Montréal pouvant induire du profilage racial et social, une action qui est, rappelons-le, recommandée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse depuis 2010. Ainsi, en 2018, un chantier important et novateur a été amorcé par la Ville, de concert avec différents organismes, incluant les signataires de cette lettre. La table était mise pour abroger ou modifier 13 premières dispositions réglementaires qui génèrent du profilage et de la judiciarisation (mauvaise utilisation du mobilier urbain, salissage du domaine public, émission d’un bruit audible, consommation de boissons alcoolisées sur le domaine public, présence dans un parc après sa fermeture, etc.).
Depuis que des organismes communautaires et de défense des droits ont transmis leurs mémoires à la Ville en 2020, la balle est dans le camp de l’administration. Or, aucune avancée n’a eu lieu depuis deux ans. Cet engagement phare a-t-il été relégué aux oubliettes par l’administration ? Tout porte à croire que oui, et nous dénonçons cette situation.
Un leadership qui s’estompe depuis 2017
Le rapport issu de la consultation de 2017 reconnaissait explicitement l’existence et la persistance de pratiques de profilage racial et social, en particulier exercées par le SPVM, alors que le service de police parlait encore souvent de « perceptions de profilage ». L’administration municipale s’engageait à procéder à l’analyse de la réglementation municipale (tel que mentionné précédemment) ainsi que des données du SPVM sur les interpellations policières (après des années de résistance de la part de la police).
Elle s’engageait également à mettre en place la meilleure manière de documenter les interventions policières et à intervenir auprès du gouvernement du Québec sur le potentiel limité du recours à la déontologie policière pour les populations marginalisées et racisées dans les cas d’abus policiers, de violations de droits et de profilage. Elle devait aussi réaliser un bilan annuel exhaustif et concret des actions que le SPVM mène pour lutter contre les profilages. Elle s’était enfin engagée à développer une stratégie d’ensemble et un plan intégré en matière de lutte contre le profilage, qui incluraient toutes les actions à mener et s’assureraient d’une meilleure harmonisation entre elles.
Au rapport de cette consultation s’est ajouté en 2020 celui de la grande consultation publique sur le racisme et les discriminations systémiques tenue par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM).
Certes, des initiatives ont été amorcées, mais le tout manque indéniablement de vue d’ensemble et de portée par rapport aux engagements de la Ville et à nos attentes.
La lutte contre le profilage requiert de faire preuve de détermination et d’entendre la parole des personnes issues des communautés qui subissent le profilage. Elle exige que les autorités politiques assument leurs responsabilités en matière de protection des droits et libertés des citoyens, et prennent en charge le chantier de lutte contre le profilage racial et social, trop longtemps laissé entre les mains de services de police résistants au changement. Car comme le dit le juge Yergeau de la Cour supérieure dans la décision Luamba sur les interceptions routières sans motif et le profilage racial : « Les droits garantis par la Charte ne peuvent être laissés plus longtemps à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières. »
Les actions qui ciblent les sources du profilage sont connues depuis longtemps. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été adoptées il y a cinq ans par la même administration municipale qui tarde à les mettre en place. Dans ce contexte, se désoler que les baguettes magiques n’existent pas est plutôt ironique et manque franchement d’ambition.
À quand un véritable leadership de la part de la Ville de Montréal dans la lutte contre le profilage racial et social ?