La pandémie de la COVID-19 : menace et incertitude pour le droit au travail

L’Organisation internationale du travail réfléchit aux effets qu’aura de la COVID-19 sur le droit au travail des travailleurs et travailleuses en sortie de crise.

Un carnet rédigé par Me Lucie Lamarche, vice-présidente du conseil d’administration de la LDL et professeure en sciences juridiques à l’UQAM

L’Organisation internationale du travail (OIT) et son Observatoire publient la seconde note technique relative à la pandémie de la COVID 19 : menace et incertitude pour le droit au travail ….

La note de l’Observatoire de l’OIT est datée du 7 avril 2020. De nature technique, elle offre des chiffres si vertigineux qu’ils nous semblent surréalistes.  L’OIT estime que 81% de la main-d’œuvre mondiale (tant dans le secteur formel qu’informel) est touchée directement ou indirectement par des mesures de confinement. Cela équivaut à 195 millions de travailleurs occupant un emploi à temps plein. 38% des travailleurs confinés œuvrent dans des secteurs clés comme le commerce de détail, l’hôtellerie, la restauration ou le secteur manufacturier. Dans plusieurs pays, ces travailleurs ont un accès limité, voire inexistant, aux services de santé et à la protection sociale. À l’autre extrême du spectre, les travailleurs du secteur public de la santé sont sursollicités et exposés à de graves risques pour leur santé.

Des conséquences profondes sur l’emploi

Selon l’OIT « les conséquences sur l’emploi de la COVID-19 sont profondes, très étendues et sans précédent ». Au-delà du chômage, nous dit l’OIT, c’est le travail qui est en danger. En Inde, par exemple, 90% de la population évoluant dans le secteur de l’économie informelle risquent de s’enfoncer irrémédiablement dans l’extrême pauvreté.

S’appuyant sur les normes internationales du travail, l’OIT propose quatre axes pour lutter contre les effets significatifs de la COVID-19. (1) Stimuler l’économie et l’emploi; (2) Soutenir les entreprises et les revenus; (3) Promouvoir le dialogue social; et finalement, protéger les travailleurs sur leur lieu de travail.  Afin de promouvoir et de protéger le droit de toute personne au travail, ce dernier axe doit retenir notre attention alors que s’annonce le déconfinement.

Les questions qui se poseront

L’urgence de récupérer un revenu de travail rendra-t-il le travail précaire encore plus précaire ? Par exemple, qu’aura-t-on appris de ce nouvel engouement pour les services de livraison ? L’apprentissage des mesures de prévention en temps de pandémie laissera un héritage en entreprise. Mais les leçons apprises bénéficieront-elles aux travailleurs d’entrepôt tels ceux d’IKEA ou de DOLLORAMA? Comment contrerons-nous les préjugés qui s’enracinent envers certains groupes tel celui des travailleurs et travailleuses âgées de plus de 60 ans ? Quel bilan les femmes, plus télétravailleuses et mères que jamais, feront-elles de l’expérience de cette pandémie ? L’Agenda de la conciliation travail-famille promet-il des lendemains qui chantent ? Enfin, que restera-t-il des généreuses mesures de protection sociale mises à la disposition des personnes soudainement mises à pied, après la crise ?  Tirera-t-on des enseignements à long terme du constat des grandes faiblesses du filet de protection sociale au Canada et au Québec ?

À l’échelle mondiale, des économies locales s’effondreront alors que dans les pays riches, la tentation est forte de relocaliser l’économie. De nouvelles tensions seront donc au cœur des débats entourant l’économie solidaire.

L’OIT est visiblement inquiète des suites de la COVID-19. Cela envoie un puissant signal aux militants et militantes des droits humains. Car, comme l’affirmait l’OIT à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, « le travail n’est pas une marchandise». Nous reformulons : des travailleurs et des travailleuses affamé-e-s ne sont pas pour autant corvéables à merci sur l’hôtel de l’économie post COVID.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.