Lettre au gouvernement Legault – 15 avril 2020 – Établissements de détention et COVID-19

Depuis le 18 mars 2020, le gouvernement Legault a été avisé des risques de la COVID-19 dans les lieux de détention au Québec. Au point de presse du 15 avril 2020, les membres du gouvernement ont dit ne pas avoir été mis au courant de la situation.

Montréal, le 15 avril 2020

François Legault
Premier ministre
[email protected]

Madame Danielle McCann
Ministre de la Santé et des Services sociaux
[email protected]

Madame Geneviève Guilbault
Ministre de la Sécurité publique
[email protected]

Dr Horacio Arruda
Directeur national de la santé publique
[email protected]

 

Objet : Établissements de détention et COVID-19

Mesdames, Messieurs,

La Ligue des droits et libertés vous a fait parvenir deux communications dans les trois dernières semaines afin de vous faire part de ses grandes préoccupations concernant les droits fondamentaux et la santé des personnes incarcérées au Québec et du personnel (et de leurs proches) travaillant dans les prisons. Nous avons donc été estomaqués d’entendre M. Legault, Mme McCann et le Dr Arruda affirmer en point de presse le 15 avril que la situation extrêmement préoccupante dans les établissements de détention en ces temps de pandémie n’avait pas été soumise à l’attention du gouvernement.

Dans ces deux missives, nous vous rappelions que, devant cette crise sans précédent, la réaction des autorités publiques devait être à la hauteur du danger, et que le gouvernement avait l’obligation d’assurer le respect du droit à la santé, à la sécurité et à la vie des personnes détenues et du personnel en place. Le gouvernement du Québec est lié par plusieurs engagements internationaux en ce sens, de même que par les législations internes. Nous nous voyons dans l’obligation de réitérer une troisième fois ce message urgent, qui ne semble pas avoir été entendu.

Les prisons et autres centres de détention sont un terreau extrêmement fertile pour la propagation rapide de la COVID-19 en raison de la surpopulation, de l’exiguïté des lieux et de l’insuffisance des mesures de protection. Plusieurs expert-e-s s’entendent pour dire que le risque de propagation est considérablement plus élevé en prison que dans la population générale car la distanciation physique dans ce milieu confiné et surpeuplé est impossible.

À notre avis et de l’avis d’un nombre grandissant d’organisations, d’expert-e-s et de cours de justice, la seule solution pour contenir la propagation de la COVID-19 et garantir les droits fondamentaux des personnes détenues et du personnel pénitentiaire consiste à réduire la population carcérale en libérant une grande partie des personnes actuellement incarcérées. Or, à l’exception de la suspension des peines intermittentes, aucune autre mesure d’application générale n’a été annoncée officiellement par votre gouvernement. Vous devez aller plus loin.

Nous réitérons que les personnes suivantes peuvent être libérées sans délai et ce, sans que la sécurité de la population ne soit mise en danger :

  • Les détenu-e-s vulnérables au COVID-19 en raison d’un état de santé fragile ;
  • Les détenu-e-s de plus de 60 ans ;
  • Les détenu-e-s en fin de sentence ou dont la libération conditionnelle est rapprochée
  • Les femmes enceintes ;
  • Les personnes détenues en attente de procès à cause de leur incapacité à payer un cautionnement ;

Dans tous ces cas, pendant l’incarcération et à la sortie, il importe d’assurer gratuitement les soins médicaux, de la même qualité que ceux offerts à la population générale. Il est aussi primordial d’offrir du support dans la communauté à la sortie de détention. À ces mesures de réduction de la population carcérale actuelle, d’autres mesures doivent être mises en place pour réduire le nombre de nouvelles admissions. Il faut en effet donner des directives claires en ce sens aux divers acteurs du système pénal. Il faut aussi permettre l’accélération des processus de libération conditionnelle et implanter des mesures permettant aux détenu-e-s ne pouvant être libéré-e-s de communiquer avec leurs proches.

Par ailleurs, vous n’êtes sûrement pas sans savoir que Service correctionnel Canada rend public chaque jour des données sur la situation liée à la COVID-19 dans les pénitenciers fédéraux. Ainsi, nous pouvons lire sur son site WEB qu’en date du 15 avril 2020, 41 détenu-e-s étaient positifs, 18 étaient négatifs et 68 étaient en attente de leur résultat et ce, dans les pénitenciers situés au Québec.

Nous déplorons le fait que ces données ne soient pas rendues publiques pour les établissements de détention provinciaux. Ce manque de transparence est déplorable, tant pour les personnes incarcérées et leurs proches qui sont très inquiets, que pour les membres du personnel et la population en général. La situation dramatique dans les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) vous a forcé à rendre publique aujourd’hui la liste des contaminations dans les milieux de vie pour personnes aînées et vulnérables. Nous vous demandons de faire la même chose pour les établissements de détention de toute urgence. La transparence est cruciale et nous ne devons pas nous retrouver à réagir à la dernière minute, après maints drames, comme c’est le cas dans les CHSLD.

En espérant que vous agirez rapidement, veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, nos meilleures salutations,

Eve-Marie Lacasse
Coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés

 

Lucie Lemonde
Porte-parole de la Ligue des droits et libertés

 

cc.

Pierre Arcand, député de Mont-Royal–Outremont, chef de l’opposition officielle
Marie-Claude Nichols, députée de Vaudreuil, porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique
André Fortin, député de Pontiac, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé et services sociaux
Manon Massé, députée de Sainte-Marie-Saint-Jacques, cheffe du deuxième groupe d’opposition
Alexandre Leduc, député d’Hochelaga-Maisonneuve, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de sécurité publique
Sol Zanetti, député de Jean-Lesage, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de santé et services sociaux
Pascal Bérubé, député de Matane-Matapédia, chef du troisième groupe d’opposition
Lorraine Richard, députée de Duplessis, porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière de sécurité publique
Joel Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine, porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière de santé
Marie Rinfret, Protectrice du citoyen
Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse