Mobilisation 6600 dans Hochelaga – une lutte aux croisements de plusieurs droits humains

Le droit à un environnement sain, le droit de manifester et le droit à la participation sont mis à mal avec le projet de Ray-Mont Logistics.
Militants se mobilisent contre le projet Ray-Mont logistiques dans le quartier Hochelaga
Ce carnet de droits humains a été rédigé par Sarah Choubane, stagiaire à la Ligue des droits et libertés, à la suite à une entrevue avec Anaïs Houde, citoyenne de Hochelaga-Maisonneuve et porte-parole de Mobilisation 6600.

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


En faisant l’acquisition d’anciens terrains de la fonderie Canadian Steel dans quartier Hochelaga-Maisonneuve en 2016, l’entreprise Ray-Mont Logistics avait pour projet d’élargir considérablement ses activités, d’immenses opérations de transbordement voué au transport international des conteneurs. Un projet qui attise l’inquiétude des résident-e-s, révèle la co-porte-parole de Mobilisation 6600, Anaïs Houde. Ce collectif se mobilise depuis plus de cinq ans maintenant pour faire entendre les droits des citoyen-ne-s du quartier.

Les citoyen-ne-s du quartier d’Hochelaga-Maisonneuve portent un grand attachement à ce terrain pour lequel ils revendiquent la création d’un parc nature. Très fréquenté, ce terrain n’est situé qu’à une centaine de mètres de certaines habitations. Cette proximité entre le quartier résidentiel et le terrain racheté par l’entreprise a de gros impacts sur les citoyens.

« Pour les gens qui vivaient juste à côté, c’était vraiment l’enfer », explique la co-porte-parole de Mobilisation 6600 en faisant référence aux travaux entamés par l’entreprise afin d’asphalter le terrain, provoquant ainsi d’importantes nuisances et des perturbations.

Mais au-delà des simples perturbations, ces projets représentent un danger pour la santé des habitants du quartier. Le terrain a été acheté dans l’optique d’y acheminer des milliers de camions. Si Ray-Mont Logistics affirme qu’un tel projet aidera à réduire les émissions de GES — l’entreprise prétend que rapprocher sa zone de transbordement de quelques kilomètres lui permettra de réduire ses émissions, — la réalité est tout autre. Même si la distance est réduite, l’augmentation des camions acheminés amplifiera le phénomène de pollution atmosphérique nocif pour la santé humaine.

Le droit à un environnement sain

Les résidents du quartier d’Hochelaga-Maisonneuve se mobilisent aussi pour défendre leur droit à un environnement sain. En manifestant contre ce projet industriel gigantesque, les citoyens cherchent, certes, à stopper l’augmentation des émissions de GES, mais aussi à protéger un terrain qui est l’un des rares espaces verts que l’on trouve dans le quartier. Les projets de Ray-Mont Logistique sont une menace pour les milieux naturels présents dans ce terrain. « À plusieurs endroits, il y a des milieux humides, dont un marais qui se trouvait sur le terrain de Ray-Mont et qui était vraiment bien délimité et cartographié. Mais il a eu le droit de remblayer le marais sans compensation, alors qu’il y a une loi sur les milieux humides », déplore Anaïs. Elle ajoute qu’ironiquement, Ray-Mont Logistics a eu le droit de faire cela, car le terrain était contaminé par des métaux lourds utilisés par la fonderie Canadian Steel. « Parce que l’entreprise précédente a laissé un terrain contaminé, l’entreprise actuelle a le droit de détruire les milieux naturels ! » s’insurge-t-elle.

Toutefois, les projets de Ray-Mont Logistics ne menacent pas uniquement la biodiversité du quartier d’Hochelaga-Maisonneuve. En réalité, ils font partie d’un système mondial de transport massif de marchandises, dépassant les frontières québécoises et participant d’une industrie agroalimentaire mettant en danger la santé des sols et les possibilités d’agriculture écologique. En effet, Ray-Mont envoie les grains du Canada partout sur la planète. « C’est tellement dramatique pis dangereux pour l’ensemble de la planète ! Forcer tous les producteurs du Canada à produire une seule affaire, pour que Ray-Mont puisse l’envoyer partout sur la planète. Qu’est-ce ça fait à notre agriculture locale, à la qualité de notre terre ? » s’alarme Anaïs Houde.

Militants se mobilisent contre le projet Ray-Mont logistiques dans le quartier Hochelaga
Crédit : Mobilisation 6000

Le droit de manifester mis à mal

Depuis 2016, les manifestations tenues par les citoyen-ne-s mobilisés entraînent des réactions de plus en plus agressives. Cette hausse de la tension est ressentie surtout depuis que Ray-Mont Logistics a embauché des gardes de sécurité privée.  Des gestes d’intimidation ont été posés par certains travailleurs de l’entreprise, qui au lieu d’éteindre leurs machines lorsqu’ils se trouvent à proximité des citoyens mobilisés, font semblant de s’apprêter à les écraser.

La réponse policière a aussi changé de ton au fil des ans, et fut souvent disproportionnée, alors que Mobilisation 6600 faisait des actions de désobéissance civile. « On est complètement à un autre niveau de présence policière », constate Anaïs Houde en se remémorant le fort déploiement de la police en réponse aux manifestations de décembre 2022. Lourdement équipée, la police arrive de plus en plus rapidement sur les lieux de la manifestation. De plus, il est arrivé que des policiers du SPVM poursuivent des manifestants jusque chez eux. L’objectif derrière ces manœuvres est de dissuader les citoyens de se mobiliser, et le but est partiellement atteint : plusieurs résidents n’osent plus manifester par crainte des conséquences et des risques qu’ils encourent.

Comme le définit la Ligue des droits et libertés sur son site sur le droit de manifester, « manifester, c’est l’exercice même des libertés d’expression et de réunion pacifique. Ces libertés sont garanties dans les chartes canadienne et québécoise. (…) Le fait de pouvoir manifester son opposition ou sa dissidence est essentiel dans une démocratie ». À travers leurs manifestations, les citoyen-ne-s de Hochelaga devraient avoir le droit de faire entendre leurs revendications sans craindre pour leur sécurité.

Quel véritable espace pour la participation démocratique?

Les résidents du quartier d’Hochelaga-Maisonneuve ont le droit d’être consultés et de participer activement aux décisions prises quant à ce qui sera fait du terrain en question. Leurs voix ne devraient pas être ignorées, pourtant c’est à peine si elles sont prises en considération par les différents acteurs. Pour se faire entendre, les personnes impliquées dans Mobilisation 6600 ont dû s’imposer, personne ne venait les consulter. S’ils ne s’étaient pas mobilisés, ils n’auraient jamais été pris en compte.

Durant son dernier mandat, Projet Montréal définissait la consultation des citoyens comme l’une de ses priorités. Pourtant, Projet Montréal ne se montre que très peu réceptif, du moins beaucoup moins réceptif qu’au départ en adoptant un tel comportement, les élus découragent la participation des citoyens. Le droit de consultation et participation est aussi bafoué lorsque les manifestants demandent un BAPE (Bureau d’audiences publiques en environnement) au sujet du projet de Ray-Mont Logistics, mais écopent d’un refus catégorique : « Un tel projet ne peut pas se développer sans avoir des études d’impact dans un Bureau d’audiences publiques en Environnement. Ça devrait être obligatoire, ça devrait être nécessaire. les potentiels leviers que pourraient utiliser les citoyens sont ralentis ou entravés.

La lutte de Mobilisation 6600 se poursuit, pour qu’un terrain de Hochelaga-Maisonneuve demeure un précieux espace vert, plutôt que de s’ajouter au mécanisme industriel gigantesque de Ray-Mont Logistics. Cette lutte affecte plusieurs droits humains et nous donne une indication que la participation du public aux décisions est clef pour assurer le respect des droits.