On ne «renforce» pas la laïcité en violant les droits humains

Rarement dans l’histoire du Québec a-t-on vu un gouvernement s’arroger un pouvoir aussi discrétionnaire et attentatoire aux droits avec une telle désinvolture : nous le répétons, c’est l’ensemble des Québécois-e-s qui devraient s’en inquiéter au plus haut point.

Lettre ouverte publiée dans La Voix de l’Est et les médias des Coops de l’information, le 19 mai 2025.

On ne «renforce» pas la laïcité en violant les droits humains

Diane Lamoureux, membre du CA de la Ligue des droits et libertés
Paul-Etienne Rainville, responsable de dossiers politiques à la Ligue des droits et libertés.

L’Assemblée nationale envisage d’adopter une loi qui marquerait un recul majeur dans l’histoire du mouvement pour la protection des droits humains au Québec. Le projet de loi n° 94 visant à renforcer la laïcité dans le réseau de l’éducation (PL94), présentement à l’étude, s’attaque de manière directe à plusieurs droits qui sont au fondement de notre démocratie et de notre État de droit.

La Ligue des droits et libertés, qui milite depuis plus de 60 ans pour la défense des droits humains, s’alarme au plus haut point de ce projet de loi déposé précipitamment par le ministre de l’Éducation Bernard Drainville dans la foulée des incidents pédagogiques survenus à l’école Bedford. Non seulement ce projet de loi n’apporte aucune réponse pertinente et adéquate aux incidents en question, mais il éloigne le Québec d’une véritable laïcité de l’État, tout en menaçant de faire reculer le droit à l’éducation.

Comme plusieurs autres lois adoptées par le gouvernement Legault, le PL94 utilise de manière préemptive les clauses dérogatoires des Chartes canadienne et québécoise pour se soustraire à l’examen des tribunaux et empêcher toute personne de faire invalider ses articles attentatoires aux droits humains.

Le PL94 déroge à plusieurs droits protégés par la Charte québécoise, dont le droit à l’égalité, les libertés de conscience, de religion et d’expression, et même le droit à la vie, à la dignité, à la sûreté et à l’intégrité des personnes.

Cette utilisation généralisée des clauses dérogatoires est un aveu même, de la part du gouvernement, qu’il ne respecte pas les droits inscrits aux chartes, et qu’il ne prend pas au sérieux les obligations au Québec en vertu du droit international des droits humains.

L’interdiction du port de signes religieux pour l’ensemble du personnel du système d’éducation public constitue une entorse aux libertés de croyance, de conscience et d’expression. Elle viole explicitement le droit à l’égalité en instituant une discrimination à l’embauche fondée sur l’expression d’une conviction religieuse.

Sous couvert de s’appliquer à l’ensemble des religions, elle cible en particulier les femmes musulmanes portant le hijab. Cette discrimination provoque une violation en chaîne de nombreux autres droits : les impacts dorénavant avérés de la Loi sur la laïcité de l’État, en vigueur depuis 2019, permettent à présent d’en saisir l’ampleur.

Il est essentiel de reconnaitre le contexte islamophobe dans lequel s’inscrit ce projet de loi et la tendance du gouvernement, à travers le PL94 comme à travers d’autres interventions, de banaliser et de légaliser l’exclusion de certains groupes de population. Le PL94 ne limiterait pas seulement l’accès à certains postes, mais éloignerait de l’école publique des personnes compétentes qui reflètent la diversité et la réalité sociale du Québec d’aujourd’hui, et qui contribuent activement à son tissu collectif.

En adoptant une logique répressive pour imposer des valeurs aux individus, le gouvernement prend une tangente autoritariste et liberticide qui devrait alerter l’ensemble de la population québécoise.

En effet, le PL94 entend régir — à travers divers mécanismes de surveillance et de reddition de compte — les conduites, les comportements, les attitudes et les propos des acteurs du réseau de l’éducation afin qu’ils se conforment aux «valeurs québécoises».

Rappelons qu’aucun gouvernement n’a le pouvoir ni la légitimité d’imposer des valeurs aux individus; et il ne peut en aucun cas imposer que leurs propos, comportements et attitudes s’y conforment.

Rarement dans l’histoire du Québec a-t-on vu un gouvernement s’arroger un pouvoir aussi discrétionnaire et attentatoire aux droits avec une telle désinvolture : nous le répétons, c’est l’ensemble des Québécois-e-s qui devraient s’en inquiéter au plus haut point.

Le PL94 menace également d’ébranler le droit à l’éducation. Il porte atteinte au droit des enfants d’évoluer dans un environnement éducatif respectueux du pluralisme et exempt de discrimination qui, selon l’UNESCO, sont des conditions essentielles au droit à l’éducation. L’école publique devrait incarner la société dans toute sa pluralité, et non devenir le théâtre d’une homogénéisation imposée.

Il risque aussi d’aggraver une crise déjà bien présente, la loi 21 ayant déjà contribué à fragiliser le recrutement et la rétention du personnel enseignant. Dans le contexte actuel caractérisé par la pénurie de personnel, étendre l’exclusion des personnes portant des signes religieux à l’ensemble du personnel scolaire, on ne fait qu’accentuer ce problème.

En imposant l’usage unique du français pour toutes les personnes appelées à œuvrer auprès des élèves, le gouvernement ajoute en outre un obstacle à l’apprentissage du français. En effet, plusieurs études montrent que l’usage des langues maternelles par et pour les élèves, à des fins pédagogiques, est un outil précieux pour favoriser leur francisation, leur socialisation et leur intégration au milieu scolaire.

Le gouvernement actuel fait fausse route de façon dramatique en «renforçant» une conception erronée de la laïcité qui provoque des reculs inacceptables des droits et libertés.

Alors que nous célébrons cette année le 50e de la Charte québécoise, nous invitons l’ensemble de la société civile à se mobiliser pour contrer ces attaques répétées et délibérées à notre système de protection des droits humains.