Pinel : Les cas complexes crient au secours !

À l’Institut Pinel, et dans d’autres établissements psychiatriques au Québec, des pratiques autoritaires et déshumanisantes sont encore utilisées dans de trop nombreux cas. Ces méthodes, qui rappellent les anciens asiles, révèlent la nécessité d’une réforme, pour une approche humaine et respectueuse des droits des personnes.

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Droits et libertés, printemps / été 2024

Pinel : Les cas complexes crient au secours !

Jean-François Plouffe, chargé de dossiers et de communications, Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal

1961 : Jean-Charles Pagé publie Les fous crient au secours, le récit de son internement de près d’un an à l’asile Saint-Jean-de-Dieu, devenu plus tard l’hôpital Louis-Hyppolite-Lafontaine et aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal1. Il consacre un chapitre aux sinistres Salles à cellules, le repaire des malades qui ont manqué à la discipline :

« La façade comprend de lourdes portes de bois ayant au moins six pouces d’épaisseur, consolidées de deux verrous aux extrémités. Au centre, une énorme chaîne et un robuste cadenas. Sur l’uniformité de la porte, un judas de huit pouces carrés muni d’un carreau détachable qu’ouvrent les gardiens à l’occasion, afin de vérifier si le captif n’est pas mort. […]

Dans la pénombre d’une cellule, on aperçoit un homme maigre n’ayant pour tout vêtement que la salopette gris-bleu spéciale à cette salle. […]

      • Depuis combien de jours es-tu ici ?
      • Un an, quatre mois, dix-sept jours.
      • Sans jamais sortir de cette cellule ?
      • Non, toujours enfermé. […]

À voix basse, je demande au gardien la cause de son incarcération.

Il a frappé une sœur. »

On pourrait penser que ces méthodes brutales, arbitraires, inhumaines et dégradantes n’ont plus cours de nos jours dans nos établissements de santé mentale où règnent l’excellence, les bonnes pratiques et l’amélioration continue.

Malheureusement, elles existent toujours…

2024 : Après avoir commis un crime violent, Gilbert2 est détenu depuis six ans à l’Institut de psychiatrie légale Philippe-Pinel (Pinel). À la suite de conflits qui l’ont opposé à des membres du personnel, il est confiné depuis sept mois à sa chambre, 24 heures par jour. S’il doit sortir, par exemple pour aller à la douche, il est menotté aux poignets et enchaîné aux chevilles. Lors de très rares et très courtes sorties à l’extérieur, il est enchaîné à un fauteuil roulant. Gilbert est un cas complexe, selon la terminologie de l’établissement. Sa situation n’est pas exceptionnelle. Des dizaines de personnes incarcérées à Pinel subissent ou ont subi un traitement semblable au sien.

« Je suis un sportif, j’aimerais dépenser mon énergie, ça m’aiderait à me recentrer et ça me permettrait peut-être de diminuer mes doses de médicaments. Je voudrais apprendre un métier et reprendre une vie un peu plus normale. Au lieu de ça, je perds mon temps dans ma cellule à regarder les murs » déplore Gilbert.

Le Code criminel prévoit que les mécanismes liés à la non-responsabilité pour cause de troubles mentaux n’ont pas pour but de punir les personnes concernées, puisque l’acte qu’elles ont posé n’engage pas leur responsabilité criminelle. À l’usage, pourtant, les conséquences de ce plaidoyer peuvent être beaucoup plus contraignantes qu’une peine d’emprisonnement. Elles sont si contraignantes que ce sont souvent les procureur-e-s de la Couronne qui enclenchent le processus. Contrairement à une sentence de prison, un suivi par la Commission d’examen des troubles mentaux3 (CETM) n’a pas de durée prédéfinie et peut être beaucoup plus difficile à vivre qu’un séjour en prison.

 

En pratique, il règne à Pinel, tout comme dans la plupart des établissements institutionnels en santé mentale, une culture directement héritée des asiles d’aliéné-e-s. C’est une culture basée sur la méfiance, l’autoritarisme et le rapport de force.

On retrouve des personnes suivies par la CETM dans différents établissements du réseau de la santé mais c’est l’Institut Pinel qui porte le mandat de « l’évaluation, la garde et le traitement des accusés déclarés inaptes à subir leur procès ou non criminellement responsables et soumis à une décision de détention stricte en raison du risque très élevé qu’ils représentent pour la sécurité publique4 ». C’est à cet endroit que se concentrent la plupart des cas complexes, comme Gilbert.

Pinel fait étalage de sa vision où « le patient est au centre des soins et services qu’il reçoit, où la primauté de l’individu est un enjeu quotidien et qui se distingue par son désir de toujours être à l’affût des meilleures pratiques5 ».

En pratique, il règne à Pinel, tout comme dans la plupart des établissements institutionnels en santé mentale, une culture directement héritée des asiles d’aliéné-e-s, que Jean-Charles Pagé a très bien décrite au fil de son récit. C’est une culture basée sur la méfiance, l’autoritarisme et le rapport de force. Si la personne collabore au traitement préconisé par les soignant-e-s, elle sera valorisée et cheminera sur la voie du rétablissement. Si elle s’oppose ou émet des réserves ou des questionnements, souvent en raison des importants effets secondaires physiques et psychiques que les médicaments provoquent chez elle, elle fera face aux contraintes, à l’intimidation et à l’autoritarisme et même à l’hostilité des soignant-e-s, souvent amplifiés par des décisions obtenues auprès des tribunaux.

Pour les cas complexes, tout se passe comme si on voulait casser par la force et par des manœuvres punitives la résistance de la personne aux interventions décrétées par les psychiatres et les autres membres de l’équipe traitante, sans jamais se demander si d’autres options peuvent exister.

À Pinel, la culture des asiles d’aliéné-e-s est d’autant plus présente qu’elle est légitimée en amont par le tribunal et qu’elle s’appuie sur la commission passée d’un acte criminel. La personne n’est pas que folle, elle a aussi un passé violent qui légitime les abus de droit dont elle fait l’objet. Pour les cas complexes, tout se passe comme si on voulait casser par la force et par des manœuvres punitives la résistance de la personne aux interventions décrétées par les psychiatres et les autres membres de l’équipe traitante, sans jamais se demander si d’autres options peuvent exister.

À Saint-Jean-de-Dieu, dans les années 1960, on avait une expression pour ça. Les gardien-ne-s disaient : Y va d’y goûter comme il faut…

Résultat, un nombre non négligeable de personnes référées vers Pinel pour y obtenir des soins favorisant leur réinsertion sociale n’en sortiront jamais plus. Elles y auront vécu, parfois pendant des décennies, une accumulation de frustrations et de vexations qui ont aggravé les difficultés  émotionnelles  réelles avec lesquelles elles étaient aux prises et qu’on devait les aider à surmonter. À Pinel, comme dans tout le réseau québécois de la psychiatrie, il faut explorer des avenues autres que la médication, améliorer la capacité d’écoute des équipes soignantes et associer davantage les personnes concernées à l’élaboration de leurs traitements. En d’autres termes, délaisser l’approche autoritariste traditionnelle pour miser davantage sur les forces des personnes, sur leurs talents et sur leur motivation à acquérir le maximum d’autonomie.

Moins d’un mois après la publication de Les fous crient au secours, le gouvernement Lesage mettait en place une commission d’étude des hôpitaux psychiatriques, la Commission Bédard, qui a mené à des changements importants dans les conditions d’hébergement et de traitement des personnes porteuses de diagnostic en santé mentale.

Plus de 60 ans après la Commission Bédard, le gouvernement du Québec et le ministère de la Santé et des Services sociaux devraient de nouveau prendre les moyens pour mettre un terme aux privations de droits et de dignité imposées quotidiennement aux cas complexes de Pinel et à de trop nombreux autres utilisatrices et utilisateurs de services en psychiatrie.


  1. Jean-Charles Pagé, Les fous crient au secours, réédition présentée par Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin, Montréal, Éditions Écosociété,
  2. Le nom de la personne a été changé pour préserver sa vie privée.
  3. « La Commission d’examen des troubles mentaux relève du Tribunal administratif du Québec. Elle a entre autres pour mandat d’évaluer « l’importance du risque que représente une personne accusée [d’un délit criminel] pour la sécurité du public, en fonction, notamment, de son état Elle décide si la personne doit être libérée, avec ou sans condition. Si elle décide que la personne doit être détenue dans un hôpital, elle fixe les mesures qui doivent être prises pour assurer la sécurité du public. »  En ligne : https://www.taq.gouv.qc.ca/fr/sante-mentale/commission-d-examen-des-troubles-mentaux/role
  4. En ligne : https://pinel.qc.ca/qui-sommes-nous/
  5. Ibid.