PL57, un projet de loi qui rate la cible et met en péril les droits et libertés

À ce stade-ci, la seule action responsable que la ministre Laforest peut et doit entreprendre pour respecter réellement les droits et libertés de la population est de retirer le chapitre I du PL57. Ensuite, il s’agira de se pencher en profondeur sur l’enjeu fort important du harcèlement vécu par les élus.

Lettre publiée dans Le Devoir, le 18 mai 2024

Lynda Khelil, responsable de la mobilisation, Ligue des droits et libertés (LDL)
Valérie Lépine, responsable de la mobilisation et des communications au Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ)
Sylvain Lafrenière, coordonnateur au Regroupement des organismes en défense collective des droits (RODCD)

Depuis la fin avril, de nombreuses personnes, organisations communautaires, syndicats, chercheurs, chroniqueurs et représentants des médias lèvent des drapeaux rouges face aux menaces que représente le projet de loi no 57 (PL57) déposé le 10 avril par la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest.

Cela inclut 329 organisations signataires de la déclaration « PL57 – Un recul pour les droits et libertés » lancée au début de mois de mai. Provenant d’un peu partout au Québec, ces organisations oeuvrent dans des secteurs variés comme la santé, le logement, le handicap, l’éducation, les relations de travail, l’environnement, la défense collective des droits, etc.

Légitimes et vives sont les préoccupations face à ce projet de loi, dont le chapitre I prévoit l’adoption de la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions, qui présente des risques sérieux d’atteintes aux libertés d’expression, d’opinion et d’association.

Avec le PL57, les citoyens risquent de voir leurs droits et libertés bafoués pour des actions politiques qui relèvent de la participation démocratique et de la contestation sociale. Il s’agit d’une menace réelle dans une société démocratique juste, inclusive et respectueuse des droits humains.

Les personnes élues ont raison d’être préoccupées par des situations de harcèlement, d’intimidation et de violence. Parmi les personnes élues, ce sont surtout des femmes et des personnes issues des minorités qui vivent ce type de situations, et ce, autant de la part de citoyens, que d’autres élus. Le problème est sérieux et mérite qu’on s’y penche avec attention pour trouver les bonnes solutions qui amélioreront la situation.

Laissez-nous vous expliquer en quoi le PL57 est grandement problématique et rate complètement la cible de protéger les élus, tout en mettant en péril la liberté d’expression.

La nouvelle loi propose un régime d’injonctions pour « des propos ou gestes qui entravent indûment l’exercice des fonctions [d’un député ou d’un élu municipal] ou portent atteinte à son droit à la vie privée », ainsi que des poursuites pénales pour quiconque « cause du désordre de manière à troubler le déroulement de la séance » d’un conseil municipal (amendes de 50 $ à 500 $). Les articles en question ne mentionnent ni le harcèlement ni l’intimidation ou les menaces, qui sont pourtant les problèmes que le projet de loi vise à régler.

La notion trop large d’entrave indue ne distingue pas entre, d’une part, les menaces avérées envers des personnes élues et, d’autre part, la participation démocratique, l’action politique citoyenne et la contestation sociale. On peut penser par exemple à l’occupation de bureaux d’élus, à l’expression collective d’un mécontentement lors d’un conseil municipal en déployant une bannière et en criant quelques slogans, ou à la perturbation d’un événement public d’un élu.

Ces formes d’action politique sont au coeur d’une société démocratique basée sur la justice sociale et la défense des droits humains.

Dans le contexte de limitation de la contestation sociale que l’on observe actuellement, il est à craindre que le PL57 soit appliqué de manière abusive et arbitraire pour dissuader et faire taire des citoyens, des organisations et des médias.

Finalement, il faut rappeler qu’il existe déjà des recours légaux (infractions criminelles et injonctions) pour répondre aux menaces, au harcèlement ou à la violence envers toute personne, y compris les personnes élues.

À ce stade-ci, la seule action responsable que la ministre Laforest peut et doit entreprendre pour respecter réellement les droits et libertés de la population est de retirer le chapitre I du PL57 de l’étude détaillée qui se poursuivra le 21 mai prochain. Ensuite, il s’agira de se pencher en profondeur sur l’enjeu fort important du harcèlement vécu par les élus.

En effet, des consultations plus larges permettraient d’entendre la société civile, de tenir compte des droits et libertés protégés par les Chartes québécoise et canadienne, et d’évaluer les recommandations formulées dans divers rapports, notamment sur le plan de l’éducation et de la sensibilisation.

De telles démarches sont essentielles pour ne pas créer de nouveaux problèmes en matière d’atteinte à la liberté d’expression et pour trouver les bonnes solutions pour les élus.