Retour à la table des matières
Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021
Mercédez Roberge, coordonnatrice de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles
D’autres mots pour désigner le droit à la santé
C’est généralement sans le nommer que les personnes qui fréquentent, travaillent ou militent dans les groupes communautaires interviennent dans une perspective de droit à la santé. Ceux qu’on identifie comme les OCASSS, soit les organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux, utilisent davantage des termes qui décrivent leur manière d’intervenir et les personnes auprès desquelles ils agissent. Ils se désigneront comme des centres de femmes, des maisons des jeunes, des ressources pour faire face à des situations de crise, pour contrer la discrimination découlant de la santé physique ou mentale ou de limitations fonctionnelles, etc. Malgré leurs 3 000 particularités et vocabulaires distincts, il s’agit toujours fondamentalement de créer, de renforcer et de développer la santé globale de chaque personne tout autant que la santé de la société.
Dans son rapport, à la suite de sa visite canadienne en 2019, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé possible, a bien mis en évidence l’apport des groupes communautaires pour le respect du droit à la santé[1].
« Les organismes de la société civile contribuent de manière importante à combler les lacunes restantes [de pleine réalisation du droit à la santé pour toutes et tous, sans discrimination] ; ils sont parfois financés par les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux et, dans la plupart des cas, ils ont développé des approches novatrices, incluant souvent une approche de droits humains, même si elles ne sont pas toujours explicites. » (Notre traduction).
Des pratiques démocratiques incontournables
Au Québec, la société civile à laquelle réfère le Rapporteur n’est pas uniquement composée d’OCASSS, mais il demeure que ceux-ci portent une responsabilité particulière à l’égard des déterminants sociaux de la santé en formant une alternative au réseau institutionnel et à son extension du côté du secteur privé.
Que l’action engage le groupe ou ses membres individuellement, elle sera le fruit de réflexions et de décisions collectives. En offrant des lieux et des moments où toutes ces étapes se vivent, les groupes communautaires arriment quotidiennement le droit à la santé et le droit d’association, sans même les nommer.
Si, dans le réseau institutionnel, la population peut de moins en moins participer aux décisions qui affectent la santé, notamment depuis la réforme de l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette (2015), il en va autrement chez les OCASSS. Lorsque les membres d’un groupe communautaire adoptent les plans d’action, elles et ils décident autant de la forme des prochaines réalisations que de l’intention sociale sur lesquelles elles se fondent. Que ce soit en facilitant l’entraide, en réagissant face à la crise climatique, en offrant du soutien ou un refuge ou en revendiquant l’accès à des soins ou la hausse du salaire minimum, les membres des OCASSS agissent pour pouvoir naître, vivre et vieillir en santé et dans un monde juste. Les pratiques démocratiques des OCASSS, leurs approches globales et leur enracinement dans les communautés font en sorte que même les interactions individuelles de prévention, d’écoute ou de soutien mènent vers des transformations sociales. Mais en amont de ces actions, il aura fallu vulgariser et adapter l’information aux réalités et intérêts du groupe. Les discussions auront fait ressortir l’importance du progrès social visé, pour soi autant que pour la collectivité. Il aura aussi été nécessaire de contrebalancer le discours dominant qui carbure au sentiment d’impuissance devant des causes ambitieuses.
Contrer le regard calculateur de l’État pour contribuer à la réalisation du droit à la santé
Alors qu’il était interpellé pour soutenir financièrement les personnes en situation de pauvreté, Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, a naturellement répondu en énumérant les fonds d’urgence attribués aux organismes communautaires depuis le début de la COVID-19[2]. Cette propension de l’État à se dédouaner de ses responsabilités directes a teinté les fonds d’urgence, de sorte que la COVID-19 a mis en lumière le regard calculateur décomplexé de l’État face à ce qu’il retire du travail des groupes communautaires.
Les OCASSS ont été très peu pris en compte dans les décisions du gouvernement en lien avec la pandémie.
Il a continuellement fallu transposer des consignes adressées au secteur privé aux réalités du milieu communautaire. Lorsqu’ils ont été nommés, c’était pour souligner le besoin de bénévoles pour s’occuper des plus mal pris[3], pour éviter que le confinement n’entraîne de la violence conjugale et des problèmes de santé mentale et parce qu’il n’était « pas question qu’il y ait quelqu’un au Québec qui n’ait pas quelque chose à manger »[4].
L’opportunisme de l’État est visible dans le choix des secteurs ciblés par les fonds d’urgence et leurs exigences, huit des neuf fonds destinés aux OCASSS ayant été réservés aux services directs à la population, et conditionnels à l’augmentation du nombre de personnes soutenues dans des domaines répondant à ses urgences sanitaires. De plus, chaque fonds d’urgence étant une subvention distincte, les OCASSS ont dû multiplier les rapports.
Que ce soit en soutenant les ressources d’hébergement en dépendance, pour femmes victimes de violence, ou pour personnes itinérantes à Montréal ou encore par le dépannage alimentaire, le gouvernement a tout d’abord soutenu les groupes agissants sur la subsistance directe : se nourrir et se réfugier. Ce n’est qu’en août que la santé mentale a fait l’objet d’un montant spécifique. Quant aux montants moyens disponibles, en raison du grand nombre de groupes touchés, ils auront varié entre 2 000 $ et 3 300 $ par mois, la presque totalité ne s’appliquant qu’aux quatre premiers mois de la pandémie.
Qui plus est, ce n’est qu’à la mi-novembre que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a finalement accepté d’ajuster les règles du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) au contexte de la pandémie en cessant d’obliger la tenue d’assemblées générales annuelles avant la fin de décembre. Il aura fallu deux mois et demi d’intenses démarches pour qu’il arrête de nier le droit des membres des OCASSS de contribuer à la réalisation du droit à la santé, par les moyens qu’ils choisissent, et, par conséquent, cesse d’enfreindre leur autonomie.
Loin d’être des détails administratifs, les règles du PSOC, comme celles des fonds d’urgence, ont des conséquences majeures sur la capacité des OCASSS à contribuer à la réalisation du droit à la santé. Leurs lourdeurs bureaucratiques s’ajoutent aux difficultés prévisibles que les mesures de distanciation physique et d’isolement social auront sur leurs actions individuelles et collectives de transformation sociale. Ce n’est pas d’hier que le gouvernement voit les OCASSS surtout en fonction des biens et services qu’il n’a pas à fournir. La pandémie a révélé que cette vision est toujours sur le point de remonter à la surface dès que l’État veut mesurer les effets du financement qu’il accorde, sur la santé de la population, mais aussi sur les économies qu’il réalise.
Les membres des OCASSS doivent non seulement s’activer à créer, renforcer et développer la santé de la population, mais aussi faire perdurer le groupe qu’elles et ils se sont donné. C’est pourquoi leurs revendications financières prennent tant de place dans leurs actions et préoccupations.
La responsabilité du gouvernement à l’égard de la santé de la population est à géométrie variable lorsqu’il s’agit de la mission des OCASSS. Tant qu’il n’accordera que 1% du budget du MSSS pour les soutenir et maintiendra un modèle d’indexation qui les appauvrit chaque année, étant en deçà de la hausse des coûts de fonctionnement, il utilisera deux poids, deux mesures à ses responsabilités envers la population. Tant que la subvention annuelle de la moitié des 3 000 OCASSS sera de 100 000 $ ou moins et que le montant dévolu au PSOC[5] ne sera pas massivement rehaussé, il ne permettra pas aux communautés de contribuer à réaliser le droit à la santé. Tant que les OCASSS ne disposeront pas de bases de financement communes appliquées sur tout le territoire, la population aura un accès variable à des OCASSS en mesure de la soutenir.
Le sous-financement et les iniquités qui en découlent se répercutent donc sur la population et perpétuent des inégalités sociales. C’est peut-être ce qui a rendu les exigences bureaucratiques imposées aux OCASSS encore plus inacceptables durant la pandémie. La situation est d’autant plus troublante qu’un Plan d’action gouvernemental en action communautaire est annoncé pour le printemps prochain. Avant la pandémie, tous les espoirs étaient permis quant à ce document devant renforcer les capacités et les caractéristiques du mouvement. Les derniers mois changeront notre manière de le lire et hausseront nos attentes. En plus d’espérer qu’il réponde au sous-financement chronique, nous y chercherons l’assurance que les conditions d’exercice de notre autonomie et de nos pratiques seront protégées lors de situations d’urgence, qu’elles soient brèves ou non.
[1] Rapport final du Rapporteur spécial sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé possible, sur sa visite au Canada – déposé au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies le 24 juin 2019, paragraphe 43, Référence : A/HRC/41/34/Add.2 (en anglais), https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session41/Pages/ListReports.aspx
[2] Interpellation du ministre, Assemblée nationale, 1er octobre
[3] François Legault, Premier ministre, conférence de presse du 21 mars
[4] François Legault, Premier ministre, conférence de presse du 26 mars
[5] Le gouvernement ne rehausse l’enveloppe du PSOC que depuis Même la plus forte augmentation, soit 40M $ pour 2020, n’a répondu qu’à 11% des besoins des OCASSS, puisqu’il manque annuellement 370M $ tel que revendiqué par la campagne Communautaire autonome en santé et services sociaux – Haussez le financement (CA$$$H).