Violations des droits et profilages
Quelles sont les personnes les plus à risque d’être interpellées par la police?
Les personnes autochtones et racisées, ainsi que les personnes en situation d’itinérance, les personnes aux prises avec des enjeux de santé mentale, les travailleuses et travailleurs du sexe, les personnes utilisatrices de drogues et les personnes en situation de marginalité, sont plus à risque d’être interpellées par la police.
Les interpellations à Montréal
Selon une étude[1] menée sur les interpellations policières à Montréal entre 2014 et 2017, les personnes autochtones, noires et arabes [2] sont interpellées plus fréquemment que les personnes blanches.
Les personnes autochtones et les personnes noires sont 4 et 5 fois plus à risque d'être interpellées que les personnes blanches;
Les femmes autochtones sont 11 fois plus à risque d’être interpellées que les femmes blanches;
Les personnes arabes sont 2 fois plus à risque d’être interpellées que les personnes blanches;
Les personnes arabes de 15 à 24 ans sont 4 fois plus à risque d’être interpellés que les jeunes personnes blanches du même âge.
Un phénomène qui n’est pas nouveau
Les politicien-ne-s et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) se sont dits choqué-e-s par l’ampleur du phénomène. Pourtant, déjà en 2009, une étude commandée par le SPVM notait une surreprésentation des jeunes Noirs dans les interpellations. Cette étude démontrait que, dans certains quartiers de Montréal, les personnes noires représentaient près de 40 % des jeunes interpellés entre 2006 et 2007 [3].
Puis, en 2011, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) publiait un rapport issu d'une consultation sur le profilage racial. Plusieurs jeunes racisés y déclaraient qu’ils étaient incapables de se déplacer librement, particulièrement en groupe, sans être ciblés par la police [4].
Déconstruire le mythe de la criminalité
Certains affirment que les populations racisées sont davantage interpellées parce qu’elles commettraient plus d’infractions. Ce n’est pas le cas, selon les deux études sur les interpellations à Montréal et Repentigny :
Au prorata de leur supposée « contribution » collective à la criminalité à Montréal, les personnes noires et arabes sont nettement sur-interpellées (de 66 % et de 93 % respectivement) par rapport aux personnes non-racisées. Au prorata des incivilités (contraventions aux règlements municipaux), ces groupes sont également sur-interpellés (de 137 % et de 180 % respectivement) [5].
— Rapport sur les interpellations à Montréal
[U]ne personne issue de la communauté noire a entre 2,5 et 3 fois [...] plus de [risque] de se faire interpeller qu’une personne appartenant à la majorité blanche, non racisée. [L]es disproportions observées [à Repentigny] ne s’expliquent pas par la participation présumée à la criminalité des groupes concernés. […] Également, les personnes interpellées appartenant à la communauté noire n’ont pas plus d’antécédents criminels que celle venant de la communauté blanche [6].
— Rapport sur les interpellations et interceptions routières à Repentigny
Et même si c’était le cas, les surinterpellations ne seraient pas pour autant justifiées. Elles pourraient s’expliquer par le phénomène de sur-surveillance des populations marginalisées, autochtones et racisées. En effet, plus des policiers surveillent une population, plus ils sont susceptibles d’y constater des infractions.
Un profilage racial systémique
Le phénomène de surinterpellation des personnes racisées et autochtones constitue du profilage racial et participe au racisme systémique, tel que l’indique le deuxième paragraphe de la définition du profilage racial adoptée par la CDPDJ en 2005 :
[L]e profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée[7].
Les interpellations et le profilage social
Le profilage social et la surjudiciarisation des personnes en situation d’itinérance ont aussi été documentés depuis plus de 20 ans[8]. La plus récente étude révèle qu’à Montréal, 50 727 constats d’infraction liés à la paix et au bon ordre ont été émis à des personnes en situation d’itinérance entre 2012 et 2019, totalisant près de 40 % de tous les constats émis pour ces motifs. Entre autres, les jeunes et les personnes autochtones sont davantage ciblés[9].
En plus d’être surreprésentées lors de la remise de constats d’infraction, les personnes en situation d’itinérance sont également excessivement interpellées dans l’espace public.
Un rapport publié en 2020 par le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) révèle que 52,3 % des personnes en situation d’itinérance sondées ont été interpellées au moins une fois au cours de l’année précédente.
Il est rapporté qu’il est fréquent que ces personnes « se fassent interpeller par leurs noms à voix haute (ou même au micro) et se fassent poser des questions intrusives sur les déplacements et leurs activités alors que rien ne porte à croire qu’elles ont commis une infraction ou qu’elles s’apprêtent à le faire [10] ».
Les témoignages du terrain indiquent aussi que les travailleuses du sexe, les personnes consommatrices de drogues, les personnes aux prises avec des enjeux de santé mentale, ainsi que les personnes en situation de marginalité sont davantage visées par les interpellations policières (street checks).
Précisons aussi qu’au-delà de la problématique des interpellations, de nombreuses dispositions criminelles ou règlementaires font en sorte que ces communautés sont plus surveillées et ciblées par la police. En plus de l’interdiction des interpellations, d’autres actions sont nécessaires pour mettre fin aux profilages social et racial, au harcèlement et à la surveillance.
NOTRE POSITION
Pour l'interdiction des interpellations policières par le gouvernement du Québec.
Références
[1] Armony, Hassaoui et Mulone, Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées. Analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial., 2019.
[2] Selon les auteur-e-s du rapport : « La catégorie "Arabe” regroupe les personnes identifiées comme maghrébines (avec des racines dans l’Afrique du Nord arabo-berbère, une source importante de l’immigration au Québec) et les personnes en provenance du Proche et du Moyen Orient (ce qui englobe des pays à majorité arabes comme l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie). » (Armony, Hassaoui et Mulone, 2019, p. 48).
[3] Mathieu, Mécontentement populaire et pratiques d’interpellation du SPVM depuis 2005. Doit-on garder le cap après la tempête?, 2009.
[4] CDPDJ, Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés. Rapport de la consultation sur le profilage racial et ses conséquences, 2011.
[5] Armony, Hassaoui et Mulone, op. cit., 2019, p. 10.
[6] Armony, Hassaoui et Mulone, Portrait de recherche sur les interpellations dans le dossier profilage. Rapport présenté au Service de police de la Ville de Repentigny, 2021, p. 36. Il est à noter que les données analysées concernent les interpellations au sens de street checks ainsi que les interceptions routières effectuées en vertu du Code de la sécurité routière.
[7] CDPDJ, Le profilage racial : mise en contexte et définition, 2005, p. 15.
[8] CDPDJ, La judiciarisation des personnes itinérantes à Montréal : un profilage social, 2009.
[9] Bellot et al., Judiciarisation de l’itinérance à Montréal : des données alarmantes témoignent d’un profilage social accru (2012-2019), 2021.
[10] RAPSIM, Nouvelles réalités, autant d'enjeux pour le respect des droits 5e portrait de la situation dans l'espace public montréalais, 2020, p. 16-17.