Retour sur la crise au Service de police de la Ville de Québec I Profilage racial

La Ville de Québec et le SPVQ continuent de nier l’existence du profilage racial, sur la base d’un manque de données probantes permettant de le démontrer. Au même moment, la Ville de Québec refuse de produire des données sur l’ethnicité, l’origine ou la couleur de peau des personnes interpellées.

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Revue Droits et libertés, printemps / été 2022

Maxim Fortin, coordonnateur de la Ligue des droits et libertés – Section Québec et politologue

Mélina Chasles, stagiaire à la Ligue des droits et libertés – Section Québec et organisatrice communautaire

Le profilage racial est l’une des formes de racisme systémique   les   plus   fréquentes   et   constitue   en   soi une violation de droits. Pire, lorsqu’une interpellation policière tourne mal, ce profilage est souvent accompagné de violences et de brutalités qui mettent en danger la liberté, la sécurité et même la vie des personnes racisées. Nous avons pu le constater avec le cas de George Floyd aux États-Unis et avec celui de Fredy Villanueva au Québec. Depuis plusieurs décennies déjà, des voix s’élèvent partout dans le monde pour dénoncer cette forme de racisme. À l’automne 2021, un cas de profilage racial et de brutalité policière dans la Ville de Québec a relancé le débat et provoqué une polémique qui a fait de cette question un enjeu désormais central dans le dossier du vivre-ensemble.

Le 28 novembre 2021, des policiers du Groupe de relations et d’intervention policière auprès de la population (GRIPP) interpellent des jeunes afro-descendants sur la Grande Allée à Québec, à la sortie des bars. Les agents interviennent dans ce qui apparaît être une dispute entre fêtards éméchés, mais, rapidement, la tension monte d’un cran : les jeunes sentent alors qu’ils sont l’objet d’une attention démesurée de la part des forces de l’ordre. Un jeune homme et une jeune femme sont violemment interpellé-e-s. Le jeune homme est immobilisé au sol et un policier lui envoie de la neige au visage… La jeune femme est elle aussi maîtrisée et immobilisée. Le jeune homme a subi des blessures. Les images de l’arrestation montrant des agents largement supérieurs en nombre rudoyant des jeunes racisé-e-s et utilisant des techniques rappelant celles qui ont causé le décès de George Floyd par arrêt respiratoire ne passent pas : leur publication sur les réseaux sociaux déclenche une salve de dénonciations. Rapidement, le nouveau maire Bruno Marchand fait part de sa volonté de faire la lumière sur cette histoire. L’affaire prend même une dimension nationale alors que le journaliste Antoine Robitaille1, l’humoriste Eddie King2 et le député fédéral Joel Lightbound3 expriment publiquement leurs préoccupations quant à ce dossier. Cinq policiers impliqués dans les événements sont suspendus et une enquête interne est déclenchée.

La diffusion des images et la dénonciation des actions du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) ont un effet inattendu. De nouvelles images sont alors rendues publiques, montrant cette fois-ci des agents du SPVQ brutalisant des personnes blanches dans des contextes où le suspect ne représente pas une menace directe. Le 30 novembre 2021, une nouvelle vidéo est publiée sur les réseaux sociaux. On peut cette fois-ci y voir des agents du SPVQ, membres de l’escouade GRIPP, malmener et blesser un client d’un restaurant du secteur Sainte-Foy lors de son arrestation4. Une autre vidéo est publiée pendant la semaine. Celle-ci montre un client d’un bar du centre-ville se faire projeter contre un mur5. Deux autres vidéos, moins médiatisées, témoignent quant à elles du niveau d’hostilité et d’agressivité des agents du SPVQ à l’égard des citoyen-ne-s lorsqu’ils sont contrariés. C’est donc la diffusion des vidéos de ces arrestations violentes qui mettent en lumière une problématique qui s’ajoute et se lie à celle du profilage racial : la brutalité policière flagrante du SPVQ et plus particulièrement de l’escouade GRIPP.

Pour la reconnaissance du profilage racial

Dans la foulée des événements, le collectif d’organisations à l’origine de la fresque publique La vie des noir-e-s compte/ Black Lives Matter Qc6, réalisée à l’été 2021, lance un appel à la mobilisation. La Ligue des droits et libertés – Section Québec, le Collectif 1629 et des groupes de la communauté afro-descendante de Québec organisent une marche le 4 décembre. Cette marche Contre le prolage racial et la brutalité policière réclame notamment la reconnaissance du profilage racial et des engagements fermes pour y mettre un terme. Le 5 décembre, le gouvernement du Québec annonce qu’une Formation pour contrer le racisme et le prolage racial et social sera mise en place pour l’ensemble des corps policiers de la province.

La Ville de Québec, visiblement ébranlée par cette histoire, annonce de nouvelles mesures pour rétablir la confiance envers son service de police. Un Plan de développement pour de meilleures pratiques policières est annoncé le 9 décembre. Le SPVQ s’associe à la Chaire de recherche sur l’intégration et la gestion des diversités en emploi (CRIDE) de l’Université Laval afin d’améliorer ses compétences culturelles et se pencher sur la question des possibles biais inconscients7. Elle annonce aussi l’embauche d’un examinateur externe en la personne de Mario Bilodeau. La Ville se montre aussi ouverte à la création d’un registre des interpellations et à une révision du mandat de l’unité GRIPP8.

Documenter les interpellations

La poussière est retombée au courant de l’hiver sans que les principales doléances des groupes et personnes racisées dans le dossier du profilage racial n’aient été satisfaites ou réellement entendues. La Ville de Québec et le SPVQ continuent de nier l’existence du profilage racial, sur la base d’un manque de données probantes permettant de le démontrer. Au même moment, la Ville de Québec refuse de produire des données sur l’ethnicité, l’origine ou la couleur de peau des personnes interpellées. Dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme de mars 2022, les groupes antiracistes de Québec ont lancé une nouvelle mobilisation. Deux des trois revendications de cette mobilisation s’adressent directement à la Ville de Québec. Si la reconnaissance du racisme systémique par le gouvernement québécois fait toujours partie du programme, l’accent, cette année, a été mis sur la demande de documenter les interpellations faites par le SPVQ en utilisant la méthodologie développée par l’équipe de recherche dirigée par les chercheur-se-s Victor Armony, Mariam Houssaoui et Massimiliano Mulone. Précisons que c’est grâce à cette méthodologie qu’il a été démontré que, durant les dernières années, les personnes racisées ont été 2 à 3 fois9 plus interpellées à Montréal et à Repentigny10. La troisième et dernière revendication concerne la tenue d’une nouvelle consultation des groupes de la diversité ethnique et culturelle. Une marche a lieu le 27 mars.

La poussière est retombée au courant de l’hiver sans que les principales doléances des groupes et personnes racisées dans le dossier du profilage racial n’aient été satisfaites ou réellement entendues.

Quelques semaines avant, la Ville de Québec avait convoqué en comité plénier le SPVQ afin qu’il réponde aux questions des élu-e-s sur son travail. Loin d’avoir à se défendre ou à se justifier, le SPVQ a bénéficié de trois heures d’encensement par des membres du conseil municipal. La Ligue des droits et libertés – Section Québec et l’organisme communautaire Droit de cité11 ont d’ailleurs dénoncé haut et fort cet exercice de promotion.

« Les élu-e-s de la Ville de Québec semblent préférer ignorer le sujet du profilage racial dans leurs questions posées au directeur du SPVQ. Bien que le comité plénier portait principalement sur le plan d’action mis en place à la suite des arrestations de l’automne dernier, plus de la moitié des questions posées concernait des sujets ayant pu être abordés à d’autres moments – les plaintes sur le bruit dans les rues, par exemple12».

Néanmoins, certains acteurs politiques intéressés par le dossier continuent de faire pression afin d’instaurer des politiques publiques respectueuses des droits humains des personnes racisées. Le député solidaire Sol Zanetti a organisé une assemblée publique en mars sur la question du profilage racial. Plusieurs acteurs et groupes du mouvement antiraciste ont participé à la rencontre. La conseillère municipale Jackie Smith (Transition Québec), seule élue à aborder le profilage lors du comité plénier, a déposé le 21 mars dernier une proposition afin qu’une étude sur l’ethnicité, l’origine et la couleur de peau des personnes interpellées par la police soit réalisée à Québec et que cette étude utilise la méthodologie Armony13. Or, sa proposition ne fut ni appuyée par le comité exécutif ni par aucune autre personne élue du Conseil municipal; elle a donc été rejetée le 4 avril.

Néanmoins, certains acteurs politiques intéressés par le dossier continuent de faire pression afin d’instaurer des politiques publiques respectueuses des droits humains des personnes racisées.

La mobilisation pour faire pression

Que conclure de la crise au SPVQ et des mobilisations récentes contre le profilage racial? Premièrement, soulignons le manque de volonté politique de la Ville de Québec et de ses élu-e-s. Bien que sensibles à la question du racisme, les élu-e-s du Conseil municipal semblent sous-estimer la réalité du profilage racial et le degré de méfiance/défiance qu’il suscite au sein des populations racisées. Deuxièmement, la Ville de Québec semble ne pas vouloir s’opposer à ce que le SPVQ nie l’existence du profilage racial, tout en refusant de produire les données qui attesteraient de son ampleur. Troisièmement, les mobilisations contre le profilage racial ont fait en sorte que les communautés afro-descendantes de Québec sont plus mobilisées, qu’une perspective sociopolitique centrée sur la défense collective des droits et libertés émerge au sein des groupes racisés et que nous pouvons désormais construire un rapport de force avec les autorités afin de maintenir et d’accentuer la pression.


  1. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2021/11/30/il-sappelle- pacifique-1
  2. En ligne : https://www.journaldemontreal.com/2021/11/29/arrestation- musclee-de-pacifique-eddy-king-annule-des-spectacles-a-quebec
  3. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2021/12/01/arrestations- musclees-a-quebec-une-enquete-externe-serait-mieux-selon-lightbound
  4. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1844000/enquete- independante-spvq-protofino-police-quebec-intervenation-arrestation
  5. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1844406/quatrieme-video- spvq-crise-interventions-musclees-district-saint-joseph
  6. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2021/08/16/black-lives- matter-une-fresque-inauguree-dans-une-rue-de-quebec
  7. En ligne : https://www.ledevoir.com/societe/653046/le-spvq-se-penchera- sur-ses-possibles-biais-inconscients
  8. Ibid.
  9. En ligne : https://spvm.qc.ca/upload/Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf En ligne : https://cridaq.uqam.ca/wp-content/uploads/2021/09/Rapport- Armony-Hassaoui-Mulone-SPVR.pdf
  10. À Montréal, les personnes noires, autochtones et arabes avaient respective- ment 4,2 fois, 4,6 fois et 2 fois plus de chances d’être interpellées que les per- sonnes blanches, selon le À Repentigny, les personnes noires avaient 2,5 à 3 fois plus de chance d’être interpellées que les personnes blanches.
  11. En ligne : https://www.lesoleil.com/2022/03/06/un-exercice-dautopromotion-qui-fait-fi-des-abus-policiers-a-legard-de-certaines-citoyenes-52d4d2b93ef3d464a4126c543c931e42
  12. En ligne : En ligne : http://liguedesdroitsqc.org/2022/03/comite-plenier-des-fleurs-pour-le-spvq-et-des-elu-e-s-qui-tournent-autour-du-pot/
  13. En ligne : https://wchttp://www.carrefourdequebec.com/2022/03/jackie-smith-veut-documenter-le-profilage-racial-a-quebec/