La LDL commente la Déclaration commune des commissaires à la vie privée du pays à propos de la reconnaissance faciale

Le 2 mai dernier les commissaires à la vie privée du pays (fédéral, provinciaux et territoriaux) publiaient une Déclaration commune réclamant un cadre légal plus strict dans l’utilisation de la reconnaissance faciale par les services de police.

Le 2 mai dernier les commissaires à la vie privée du pays (fédéral, provinciaux et territoriaux) publiaient une Déclaration commune[1] réclamant un cadre légal plus strict dans l’utilisation de la reconnaissance faciale (RF) par les services de police.

Le constat des commissaires

Une mosaïque de lois plus ou moins adaptées réglemente la reconnaissance faciale au pays. Le cadre actuel crée de l’incertitude. Les grands principes des lois de protection des renseignements personnels sont insuffisants à eux seuls pour encadrer correctement une technologie aussi intrusive. Les commissaires estiment que la RF peut avoir son utilité pour résoudre certains crimes graves ou pour la recherche de personnes disparues; mais elle peut aussi conduire à une surveillance policière compromettant le droit à la vie privée, à l’anonymat, et à l’exercice d’autres droits humains. Le cadre juridique actuel comporte des lacunes qu’il faut combler pour éviter des préjudices graves aux personnes.

Les recommandations des commissaires comportent quatre volets; nous les résumons ici :

1) Définition claire et explicite des fins auxquelles le recours à la RF par les services de police serait permis, sous réserve de zones interdites

  • la loi devrait clairement indiquer que la police ne peut utiliser la RF qu’à des fins expressément autorisées par la loi (ex : crimes graves, recherche des personnes disparues) et à aucune autre fin ;
  • la loi devrait imposer des restrictions claires et explicites à certaines utilisations (c’est-à-dire des zones interdites), quelles que soient les fins visées. Ces limites devraient inclure une interdiction explicite de toute utilisation de la RF pour surveiller des personnes participant à une manifestation pacifique, et de toute utilisation pouvant donner lieu à une surveillance de masse;
  • il devrait être interdit de recueillir sans distinction des images faciales permettant d’établir une comparaison, y compris les images prélevées en ligne. . Des restrictions devraient aussi s’appliquer à l’autorisation d’accès aux bases de données d’images créées ou alimentées par d’autres organismes publics ou par des entités privées;
  • la loi devrait également imposer des restrictions relativement aux circonstances dans lesquelles l’image d’une personne peut être versée dans une base de données permettant d’établir une comparaison – par exemple, uniquement en cas de déclaration de culpabilité pour certaines infractions ou lorsque des critères précis de menace sont remplis;

2) Exigences strictes en matière de nécessité et de proportionnalité

  • les critères de nécessité et de proportionnalité devraient être inclus explicitement dans la loi en tant que conditions préalables essentielles à toute utilisation de la RF;
  • le critère de nécessité devrait être défini de manière à ce que toute utilisation autorisée soit strictement nécessaire pour répondre à un besoin précis; compte tenu du caractère intrusif de la RF, il ne suffit pas d’invoquer des objectifs généraux de sécurité publique pour en justifier l’utilisation;
  • de même, le critère de proportionnalité devrait être défini de manière à ce que les avantages possibles de l’utilisation de la RF soient examinés par rapport, d’une part, à l’incidence générale qui en découle (p. ex. l’augmentation de la surveillance généralisée) et, d’autre part, à l’incidence du projet proposé sur des personnes et des groupes en particulier;

3) Surveillance indépendante des projets de RF

  • il faut accorder à un organisme public externe et indépendant les pouvoirs nécessaires pour surveiller, de manière proactive et utile, le recours à la RF par les services de police;
  • il faut exiger des services de police qu’ils procèdent à une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP), ou à une évaluation similaire des risques, avant toute utilisation prévue de la RF, et qu’ils soumettent cette évaluation à l’organisme de surveillance aux fins d’examen;
  • les services de police devraient être tenus d’obtenir l’autorisation préalable d’un organisme de surveillance ou de donner à ce dernier un préavis de l’utilisation proposée, avant de lancer un projet de RF;
  • l’organisme de surveillance doit disposer des pouvoirs nécessaires pour assurer de manière efficace la conformité et l’application de la loi;

4) Droit à la vie privée et mesures de protection

  • ces modifications (nouveau cadre) pourraient soit être apportées aux lois actuelles sur la protection des renseignements personnels, soit figurer dans une loi régissant la RF de manière distincte, puisque l’utilisation de cette technologie a une incidence sur les droits au-delà de la vie privée (comme l’égalité et la non-discrimination);
  • il faut assurer l’exactitude des systèmes de RF et contrôler l’existence de biais discriminatoires;
  • la loi devrait interdire la conservation d’images de personnes innocentes ou lavées de tout soupçon, comme les passants qui ont été filmés, les personnes qui n’ont jamais été déclarées coupables d’une infraction ou les personnes dont le casier judiciaire a été suspendu;
  • des mesures de transparence dans l’utilisation de la RF s’imposent : elles devraient comprendre des exigences explicites quant à la publication d’information sur la nature, la portée, les méthodes, les fins et le traitement des renseignements personnels dans les projets de RF;
  • tout cadre juridique pour le recours à la RF par les services de police devrait comporter une exigence de consultation véritable en continu avec les peuples autochtones, ainsi qu’avec d’autres groupes qui subissent un nombre disproportionné d’interventions policières et qui sont surreprésentés dans le système de justice pénale.

Cet appel à la mise en place d’un cadre adapté à la RF s’inscrit dans la foulée du dossier Clearview AI.

Rappelons qu’en février 2021 les commissaires ont interdit l’utilisation au Canada du logiciel de RF Clearview AI[2], les photos utilisées par l’application ayant été recueillies en ligne sans le consentement des personnes concernées. Le 10 juin 2021, le Commissaire fédéral à la protection de la vie privée (CPVP) complétait le travail en déclarant illégale l’utilisation du logiciel Clearview par la GRC[3].

Ces deux décisions importantes ont conduit les commissaires à lancer une consultation conjointe sur l’utilisation de la technologie de RF par l’ensemble des services de police (SP) au pays. [4]La Ligue des droits et libertés a participé à cette consultation[5]. Le cadre que proposent aujourd’hui les commissaires rejoint plusieurs de nos demandes.

Bien qu’il concerne les services policiers, l’encadrement mis de l’avant pourrait, aux dires même des commissaires, s’appliquer à d’autres contextes.

Cette déclaration ne doit pas rester lettre morte. La LDL entend bien talonner les gouvernements fédéral et provincial  dans les prochains mois pour  que les recommandations des commissaires se traduisent par l’adoption de lois sévères concernant l’utilisation de la RF.


[1] https://priv.gc.ca/fr/mesures-et-decisions-prises-par-le-commissariat/conseils-au-parlement/2022/s-d_prov_20220502/

[2] https://www.priv.gc.ca/fr/mesures-et-decisions-prises-par-le-commissariat/enquetes/enquetes-visant-les-entreprises/2021/lprpde-2021-001/

[3] https://www.priv.gc.ca/fr/mesures-et-decisions-prises-par-le-commissariat/ar_index/202021/sr_grc/

[4] https://www.priv.gc.ca/fr/a-propos-du-commissariat/ce-que-nous-faisons/consultations/consultations-terminees/consultation-rf/avis_frt/

[5] https://liguedesdroits.ca/memoire-consultation-cpvp-cai-reconnaissance-faciale-services-policiers-2021/