Réveillez-vous – Projet Wide Awake vous surveille!

La GRC pratique une surveillance préventive des réseaux sociaux. L’organisation s’éloignerait-elle de son travail policier de lutte à la criminalité?

Dominique Peschard
Comité sur la surveillance des populations, Ligue des droits et libertés

Le 25 mars 2019, Bryan Carney, du média indépendant The Tyee, révélait l’existence du programme Project Wide Awake de la Gendarmerie royale du Canada (GRC)2. Selon les réponses fournies au Tyee par la GRC, ce programme de surveillance des réseaux sociaux permet à la GRC de passer de ce qu’elle qualifie d’approche réactive à une approche proactive. Toujours selon la GRC, l’approche réactive consiste à fouiller les réseaux sociaux dans le cadre d’une enquête criminelle, alors que l’approche proactive consiste à « déceler et prévenir le crime avant qu’il ait lieu ».

La GRC pratique bien une surveillance de masse de l’Internet

Dans une lettre datée de juin 2017 obtenue par The Tyee, la GRC déclarait au Commissaire à la vie privée du Canada qu’elle ne pratiquait pas une surveillance de masse de l’Internet. Cependant, suite aux révélations du Tyee sur Project Wide Awake, la GRC a avoué à ce média qu’elle avait depuis modifié ses pratiques afin de profiter pleinement de la richesse du contenu des médias sociaux.

La GRC maintient que l’utilisation de tels logiciels ne requiert pas de mandat et qu’il n’y a pas « d’attente raisonnable de vie privée » sur les réseaux sociaux. … Selon M. Parsons du Citizen Lab, même lorsqu’un mandat n’est pas requis, l’État doit pouvoir justifier le motif de la surveillance d’une communication.

En effet, depuis février 2018, la GRC utilise le logiciel d’une compagnie américaine, Carahsoft, qui compare la surveillance des réseaux sociaux à une mouche sur le mur à l’intérieur des domiciles des consommateurs-trices. Le logiciel permet à la GRC de suivre les échanges sur Facebook, Twitter, Instagram et autres plateformes à partir de mots clés. La GRC a refusé de rendre publiques ses politiques concernant de telles pratiques ainsi que l’évaluation d’impact sur la vie privée qu’elle dit avoir faite. La GRC maintient que l’utilisation de tels logiciels ne requiert pas de mandat et qu’il n’y a pas « d’attente raisonnable de vie privée » sur les réseaux sociaux.

Cette vision étriquée de la vie privée est contestée par les défenseur-euse-s des droits. Que des individus suivent certains échanges d’une personne sur les réseaux sociaux et que l’État collige et analyse l’ensemble de ces échanges sont deux choses différentes. Selon M. Parsons du Citizen Lab, même lorsqu’un mandat n’est pas requis, l’État doit pouvoir justifier le motif de la surveillance d’une communication.

Des informations publiques servant à constituer des banques de données du SCRS

La surveillance de masse de la population et l’exploration de données deviennent de plus en plus ouvertes et légales au Canada. Rappelons que le projet de loi C-59, présentement à l’étude par le Sénat, octroie au SCRS le pouvoir de constituer des banques de données sur les canadien-ne-s à partir d’informations disponibles publiquement.

Quelle différence entre le SCRC et la GRC?

Dans les années 1980, les révélations de la Commission Macdonald sur les activités illégales de la GRC entraînèrent la création du Service Canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Dorénavant, le SCRS devait se charger de surveiller les menaces à la sécurité nationale et la GRC devait se limiter au travail policier de lutte à la criminalité. Avec les pouvoirs accordés au SCRS de prendre des mesures actives pour contrer les menaces et les pratiques de surveillance de la population par la GRC, cette distinction s’estompe de plus en plus.

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