Revitaliser les langues et cultures autochtones

Un des éléments clés de la réalisation du droit à l’autodétermination des peuples autochtones est la revitalisation des langues et des cultures autochtones. Or, il y a beaucoup à faire en ce sens et le temps presse.

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Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, Kontinon:sta’ts – Mohawk Language Custodians and First Nations Peoples Human Rights Coalition

Traduit par Aurélie Arnaud

« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) est un outil important dans le processus de décolonisation et de réconciliation. Ainsi, un des éléments clés de la réalisation du droit à l’auto-détermination des peuples autochtones est la revitalisation des langues et des cultures autochtones. Les lois et politiques sur les langues au Canada ne visent pas vraiment la revitalisation des langues et des cultures autochtones. Maintenant plus que jamais, on assiste à un véritable état d’urgence dans la plupart des communautés qui sont en train de perdre des locutrices et des locuteurs, détentrices et détenteurs de savoirs traditionnels, chaque année. La perte de ces locutrices et de ces locuteurs équivaut à fragiliser la fondation même sur laquelle l’identité d’un peuple est construite.

Des dogmes et des attitudes vieilles de plusieurs siècles ont été le fondement des doctrines et des législations coloniales racistes ayant pour objectif l’assimilation et l’accaparement des terres. La colonisation a visé les familles des peuples autochtones, leur identité, leur langue, leur culture et leur mode de gouvernance et cela a été commodément omis dans l’enseignement de l’histoire canadienne, leur génocide ayant été déguisé en évolution normale et naturelle de la société.

La version de l’histoire des Amériques propagée par les colons a été écrite à travers une lentille raciste faisant des peuples autochtones des méchants et en normalisant les politiques assimilationnistes et génocidaires alors que, pourtant, les autochtones défendaient leurs terres et leurs peuples. La résistance à la vérité et au respect des droits humains des peuples autochtones était particulièrement évidente lors du refus du gouvernement du Canada d’adopter puis de mettre en œuvre un outil de droits humains internationalement reconnu tel que la DNUDPA en la décrivant comme un idéal sans pouvoir contraignant. Cette attitude apathique du gouvernement et de ses bureaucrates doit changer rapidement.

Les langues autochtones telles que le Kanien’kéha[1] sont proactives en cela que dans leur majorité elles sont constituées de 80% de verbes. Leur nature descriptive leur a permis d’évoluer à travers les générations jusqu’à aujourd’hui.

Cependant, les politiques d’assimilation continuent d’être imposées aux communautés autochtones via le système d’éducation des jeunes d’âge scolaire : les politiques de financement obligent en effet l’utilisation prédominante des deux langues coloniales officielles au Canada : l’anglais et le français. Cela est problématique dans la perspective d’une revitalisation des langues autochtones qui ont été sévèrement attaquées par le système des pensionnats autochtones puisque les conseils de bande ne pourront recevoir de financement pour leurs écoles à moins qu’ils n’adhèrent aux programmes scolaires conçus par les provinces, reléguant ainsi les langues autochtones à la troisième place, au mieux.

Les efforts de revitalisation de la langue dans les communautés sont compliqués par une bureaucratie gouvernementale paternaliste gérant de petits budgets qui ne prennent pas en compte l’impact des pensionnats sur l’identité des peuples autochtones. La situation est précaire pour la plupart des communautés au sein desquelles le chômage est élevé et les lois gouvernementales restreignent le développement économique et social[2]. Des locutrices et des locuteurs qui maîtrisent parfaitement la langue et qui ont été ou sont enseignant-e-s sont rares et sont maintenant très âgés. Chaque année qui passe, les communautés perdent certain-e-s de ces locutrices et de ces locuteurs détenteurs de savoirs traditionnels, réduisant de nombreuses langues autochtones à la catégorie des langues en danger.

Une étude de Statistique Canada estimait que sur les 53 langues autochtones parlées au Canada, seulement 3 survivraient à la fin de ce siècle. Elles incluent l’Inuktitut, le Cree et l’Algonquin. Cela est dû à une bulle papale du 15ième siècle, fondant l’archaïque doctrine de la découverte[3] qui proclamait que toute terre non occupée par des chrétiens deviendrait la propriété de la Couronne[4]. Les peuples autochtones ont été et sont toujours vu comme une nuisance aux objectifs impériaux de domination économique et d’exploitation de la terre.

Le système des pensionnats autochtones, la Loi sur les Indiens, la Doctrine de la découverte ont tous contribué à l’actuelle disparition des langues, cultures, gouvernance traditionnelle et identité autochtones. Ils sont encore et toujours utilisés aujourd’hui comme outils légitimant l’accaparement des terres, ressources et enfants des peuples autochtones.

Dans le Canada de la Loi sur les Indiens, les croyances et les doctrines racistes continuent à avoir le vent en poupe avec la normalisation des politiques assimilationnistes, des méthodes gouvernementales coercitives utilisant les formules de financement, ou encore les politiques mises en œuvre par les conseils de bande, sous la contrainte.

La Commission des Nations unies sur la culture et le développement (1985) souligna que « le développement, séparé de son contexte humain et culturel, est une croissance sans âme. » Malgré des siècles de résistance des peuples autochtones à l’assimilation colonialiste, ils ont tout de même été relégués à la position de pupilles de l’État qui contrôle alors tous les aspects de nos vies, empêchant la revitalisation de nos langues et la réalisation de notre droit à l’autodétermination.

La langue est plus qu’un outil d’expression. C’est un don de nos ancêtres. Elle reste aujourd’hui un lien vers notre cosmologie ancestrale, elle révèle une profonde compréhension de notre place dans le monde et auprès de la Terre-Mère et elle régénère avec chaque nouvelle génération la connexion entre tous les êtres vivants. La langue, la culture, le développement social et politique sont indivisibles pour la réalisation des droits humains et de l’autodétermination des peuples autochtones.

La DNUDPA est parsemée de références à la protection des langues, cultures et identités des peuples autochtones. En particulier son article 14.1 parle du « droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires, où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue… » L’article 15.1 stipule que « les peuples autochtones ont droit à ce que l’enseignement et les moyens d’information reflètent fidèlement la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs traditions, de leur histoire et de leurs aspirations »… L’esprit de la Déclaration des Nations Unies exprime clairement que, à tous les niveaux, pour que les peuples autochtones puissent jouir de leur droit à l’autodétermination, « les États doivent prendre des mesures efficaces en consultation et en coopération avec les peuples autochtones concernés pour combattre les préjugés et éliminer la discrimination et pour promouvoir la tolérance, la compréhension et les bonnes relations entre les peuples autochtones et avec toutes les autres composantes de la société[5]. »

La DNUDPA reflète le genre de réconciliation, restitution et décolonisation obligatoire à tout processus favorisant la justice, la liberté et la réalisation des droits humains des peuples autochtones.

Chaque jour qui passe, les défenseurs des langues autochtones sont confrontés à des défis plus lourds du fait de la technologie et de la culture de masse quant à la façon de rendre leur langue ancestrale utile et pertinente à la communauté et aux jeunes. Mais ce qui rend le défi plus complexe est le manque de ressources humaines et financières pour le relever, amenant ces professionnels à passer la moitié de leur temps à rédiger des demandes de subventions et à compléter des rapports mensuels d’activités et des rapports financiers.

La militante malécite bien connue, Andrea Bear Nicholas, rappelait récemment que les langues autochtones subissent actuellement un déclin rapide et accéléré[6]. Elle continue en disant que tous les efforts mis en œuvre jusqu’à présent n’ont pas permis de remplir le fossé éducationnel dans les communautés autochtones. Il reste qu’ « un triste 60% des enfants ne complètent pas leur scolarité et ce taux est resté inchangé au cours de la dernière décennie[7]. »

Pour changer cette situation, il faudrait :

  • Assurer des financements récurrents pour les centres de langues et cultures autochtones. Le financement doit être supérieur à ce qui peut être comparable pour le français ou l’anglais du fait de l’urgence de la régénération des langues dans la plupart des communautés autochtones.
  • Mettre en place des programmes de revitalisation de la langue dans les communautés, menés par des professeur-e-s, des militant-e-s des locutrices et des locuteurs afin de recruter de nouveaux locuteurs et de nouvelles locutrices. Par exemple, Kahnawà:ke a créé un programme de 3 ans dans lequel les participant-e-s étaient payés pour suivre les cours sur une base journalière. Leur programme a été un succès, beaucoup des étudiant-e-s travaillant maintenant dans les écoles de la communauté.
  • Que les parents jouent un rôle actif dans la revitalisation des langues autochtones et apprennent leur langue en même temps que leurs enfants à la maison.
  • Que les aîné-e-s, qui sont des locutrices et des locuteurs détenteurs de savoirs traditionnels, fassent obligatoirement partie de tout programme de revitalisation, régénération de la langue.
  • Mettre en œuvre les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation pour les jeunes et les enfants. Cela est essentiel pour comprendre les conséquences de l’impérialisme, de la colonisation et l’assimilation sur l’érosion des langues et des cultures.

Au cœur de l’identité de toute personne est sa langue, sa culture et son système de croyance. Il n’est nul besoin de « réinventer la roue » ici quant à ce qu’il faut faire. La revitalisation des langues et des cultures est souvent marginalisée face aux problèmes sociaux des peuples autochtones, dont on retrouve les causes dans les politiques colonialistes d’assimilation. Nous devons nous imprégner de la vision de la Déclaration des Nations Unies en revitalisant toutes les institutions qui continuent d’être attaquées par des dogmes, des politiques et des lois coloniales. Cela doit être fait avec respect, avec la consultation sur un pied d’égalité des peuples autochtones, en particulier avec les défenseurs de leur langue.

Malheureusement, le temps n’est pas de notre côté sur l’enjeu de la revitalisation des langues et des cultures. Comme nos ancêtres avant nous, notre identité est inextricablement liée à notre terre, à notre relation à la terre et à toutes nos relations. Parler nos langues nous permet d’approfondir et de renforcer ces relations. Mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones permet de prendre en compte tous les piliers de notre identité. C’est essentiel pour la revitalisation des langues et des cultures autochtones et pour que les peuples autochtones puissent jouir de leur droit à l’autodétermination.

 

Bibliographie

[1] Kanien’kéha est le terme utilisé pour la langue des Kanien’kehá:ka (Mohawk)

[2] Bureau du vérificateur général, Chapitre 4, Juin 2011, 4.15 « nous relevons que AADNC (Affaires autochtones et développement du Nord Canada) a utilisé une formule de financement datant des années 1980 et manquait d’informations qui lui auraient permis de comparer les coûts avec ceux des services éducatifs comparables fournis par les provinces. En conséquence, le Département ne savait pas si le financement qu’il fournissait aux Premières Nations était adéquat. »

[3] La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones rappelle dans le paragraphe 4 de son préambule que « Affirmant en outre que toutes les doctrines, politiques et pratiques qui invoquent ou prônent la supériorité́ de peuples ou d’individus en se fondant sur des différences d’ordre national, racial, religieux, ethnique ou culturel sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement condamnables et socialement injustes, »

[4] Doctrine de la découverte « Toute terre non occupée par des Chrétiens était ouverte à la « découverte », et pouvait être réclamée et exploitée. Si les habitants « païens » pouvaient être convertis, ils pouvaient être épargnés. Si non, ils seraient réduits en esclavage ou tués. » http://www.doctrineofdiscovery.org/, http://www.un.org/press/fr/2010/DH5019.doc.htm

[5] Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, article 15.2

[6] « Linguistic Decline and the Educational Gap: A Single Solution is Possible in the Education of Indigenous Peoples », par Andrea Bear Nicholas, Chaire en études autochtones, St. Thomas University, Fredericton, NB

[7] Mendelson 2008:1.

 

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