Simplifier le régime d’assistance sociale? C’est un peu court!

Le projet de loi 71, qui réforme le programme d’aide sociale, propose une nouvelle approche, celle de la médicalisation des prestataires. Les besoins des prestataires, qui sont variés et qui requièrent des mesures sociales et économiques, sont réduits à une contrainte de santé. Inquiétant!

 

Simplifier le régime d’assistance sociale ? C’est un peu court !

Un carnet rédigé par Me Lucie Lamarche, professeure en sciences juridiques à l’UQÀM et militante à la Ligue des droits et libertés

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


La ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire a présenté le 11 septembre 2024 le projet de loi no 71 intitulé Loi visant à améliorer l’accompagnement des personnes et à simplifier le régime d’assistance sociale (PL 71) à propos duquel la Commission de l’économie et du travail de l’Assemblée nationale tient ces jours-ci (8, 9 et 10 octobre 2024) des consultations particulières. Ce projet de loi amende notamment la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles sans pour autant que nous puissions parler d’une réforme en profondeur. Comme l’évoque le titre du PL 71, il s’agit d’accompagner les bénéficiaires et de simplifier le régime, deux objectifs distincts.

Nous accueillons favorablement les propositions contenues au projet de loi qui visent à soustraire les bénéficiaires aux nombreuses contraintes administratives de nature humiliante. Tel n’est toutefois pas notre propos, lequel s’attarde au projet d’accompagnement des bénéficiaires, dont le projet de loi ne représente certes pas la première mouture. Le Rapport annuel de gestion 2023-2024 du ministère de l’Emploi et de la sécurité sociale illustre d’ailleurs d’importants investissements en matière d’employabilité, tant en en ce qui concerne les services publics que les ententes de services avec les organismes communautaires.

Des bénéficiaires et des programmes en évolution

Le nombre total de bénéficiaires de l’aide de dernier recours a décru de 42% au Québec au fil des vingt dernières années. On dénombrait en juin 2024, 232 021 prestataires. De ce nombre, plus de 90% des ménages est composé de personnes seules et environ 30% de ces personnes seules sont âgées de plus de 55 ans alors qu’environ 4500 d’entre elles sont sans adresse. La Loi sur l’aide aux personnes et aux familles est donc la loi des personnes seules et démunies, une population fort mal servie par les nombreuses aides fiscales qui pour leur part sont d’abord destinées aux familles.

On ne s’étonnera donc pas du titre du PL 71 qui vise à accompagner les personnes vers une intégration sociale, une intégration en emploi ou une participation active à la société, y précise-t-on. Sauf pour le public visé, rien de nouveau sous le soleil diront les observateurs des évolutions de ce régime de dernier recours.

Bref aperçu des programmes

Les bénéficiaires de l’aide sociale sont regroupés en quatre programmes distincts : le programme d’aide sociale; le programme de solidarité sociale; le programme de revenu de base et le programme Objectif emploi. Le programme d’aide sociale est celui du « petit barème » et est réservé aux personnes qui ne présentent pas de contraintes sévères à l’emploi. Le programme de solidarité sociale est réservé aux personnes présentant de telles contraintes et à  auquel s’ajoute les celles qui affichent des contraintes temporaires à l’emploi prévues par règlement. Le programme Objectif emploi, introduit en 2016, concerne les primo demandeurs qui, pour leur part, sont tenus de se soumettre à un plan d’accompagnement personnalisé afin de toucher une prestation d’aide sociale. Enfin, le programme de revenu de base, introduit en 2018, prévoit une allocation mensuelle bonifiée au bénéfice des personnes présentant des contraintes sévères à l’emploi depuis cinq années. Le programme d’aide sociale est celui qui fédère le plus haut pourcentage des bénéficiaires, soit environ 60% contre environ 10% pour le programme de solidarité sociale. Environ 60% des bénéficiaires du programme d’aide sociale affichent une durée de séjour à l’aide sociale supérieure à 4 années.

Cet orage de chiffres révèle de manière convaincante la réalité suivante : au Québec, le gouvernement et ses partenaires communautaires échouent à accompagner vers une vie digne plus ou moins 150 000 personnes, surtout des jeunes adultes. Dès 2002, la Cour suprême, dans l’affaire Gosselin, avait eu à se pencher sur l’imposition d’une importante pénalité aux prestataires de moins de 30 ans qui ne participaient pas, faute de disponibilité dans l’offre, à des mesures d’accompagnement. Elle avait alors jugé la mesure non discriminatoire. Si la limite explicite d’âge a disparu depuis longtemps, la réalité statistique ne ment pas pour autant.

Davantage de médicalisation

Le PL 71 propose une nouvelle approche : la médicalisation des prestataires de l’aide sociale. D’abord, il regroupe les prestataires dans un programme unique intitulé Programme d’assistance financière de dernier recours. Ce programme du petit barème (aujourd’hui fixé à 762$) pourra être enrichi d’une allocation pour contraintes de santé à court ou long terme, laquelle remplace les notions de contrainte temporaire ou sévère à l’emploi. Dans les deux cas, court ou long terme, cette allocation, peut-on le présumer, avoisinera le montant actuel de l’allocation de 161$. Dans tous les cas, la contrainte de santé – physique ou mentale – devra être attestée par un rapport médical. Cette exigence touche environ 70% de la clientèle de l’aide sociale. Le rapport médical pourra être émis par divers professionnels de la santé et des services sociaux habilités à le faire.

Nous nous inquiétons grandement de cette médicalisation d’une panoplie de besoins qui à vrai dire, requièrent des mesures sociales et économiques dont l’absence peut difficilement être réduite à une contrainte de santé. De plus, la médicalisation du dossier des bénéficiaires de l’aide sociale ajoute à la stigmatisation en fonction de la condition sociale dont souffrent déjà grandement ceux-ci.

Cette mesure fait de surcroît preuve d’un défaitisme cruel. D’une part, on estime irrémédiable la situation d’un pourcentage important des bénéficiaires de l’aide sociale – dorénavant bénéficiaires de l’Assistance financière – qui ne pourront que légèrement bonifier leur misère en invoquant la maladie, désignée comme contrainte de santé. D’autre part, dans le cas des contraintes à long terme, on assimile les contraintes qualifiées de socioprofessionnelles à la maladie.

Les déterminants sociaux de la santé dans l’angle mort

Les bénéficiaires de l’assistance financière sont-ils malades ? Répondre par la positive, c’est faire fi des déterminants sociaux de la santé qui se destinent à expliquer largement l’exclusion sociale pouvant impacter sur la santé. Les bénéficiaires de l’aide sociale sont en général mal logés, mal nourris, souvent peu éduqués et de plus en plus, relégués à la rue. Voici nous semble-t-il qui interpelle l’éthique professionnelle des intervenants en santé.

La ministre de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire en proposant le PL 71 pose un diagnostic sur ces personnes. On utilise à cette fin des expressions diverses : manque d’habiletés sociales, relationnelles ou cognitives; difficultés susceptibles de nuire à l’insertion; par exemple. En matière d’employabilité, il sait néanmoins que les mesures et les programmes participent trop souvent à la dynamique des portes tournantes (entrées et sorties de l’aide sociale successives).

Fort de cette longue expérience qui fait porter au bénéficiaire seul le fardeau de son insertion tout en niant l’importance de la prise en compte des déterminants sociaux de la santé, la ministre multiplie dorénavant les « peut » en parlant de l’employabilité : le ministre peut élaborer des projets pilotes; et, fait nouveau, il peut même créer des programmes spécifiques d’aide financière. Ces éventualités font contrepoids à l’engagement de la ministre d’établir un plan d’intervention à la demande du ou de la prestataire. Mais voilà qui nous ramène à Gosselin et à la décision de la Cour suprême du Canada.

Qu’advient-il lorsque la demande excède l’offre et que le déficit d’offre sensible aux déterminants sociaux de la santé stigmatise dans les faits une population : les personnes seules? Cela s’appelle de la discrimination et participe de la perverse dynamique des portes tournantes.

Il est de bon ton de dénoncer l’insuffisance des ressources en santé mentale au Québec. Le 4e Plan d’action gouvernemental visant la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale réfère d’ailleurs abondamment aux investissements de l’État à cet égard. La détresse est toutefois souvent la conséquence de nombreuses privations. Elle est multifactorielle, sociale et économique.

Conclusion

Voici donc où nous en sommes.

Des angles morts sur les déterminants sociaux de la santé et une valorisation utilitariste des contraintes de santé. Ajoutons à cela le refus gouvernemental d’universaliser le revenu de base et celui d’augmenter le salaire minimum. Le gouvernement reconnaît enfin ce que la société civile clame depuis des décennies : prendre l’employabilité par le petit bout de la lorgnette ne fonctionne pas. Mauvaise nouvelle à l’heure de l’Austérité renouvelée. Aussi bien, dans les circonstances, simplifier la loi et les frais de gestion de celle-ci. Cela avantagera quelques bénéficiaires et c’est bien tant mieux. Néanmoins, de tels choix condamnent à la médicalisation plutôt qu’à la recherche de la dignité la large cohorte des bénéficiaires qui sont des personnes seules.

Qu’en pensent les professionnels de la santé ?